A la question que nous lui avons posée à chaud via Twitter le 14 février « l’Egypte peut elle se payer de telles armes ? », Ludovic Subran, le chef économiste d’Euler Hermes, répond sans hésiter : « ils le peuvent… Ils dépensent 3 à 4 points de PIB dans des subventions énergétiques, la baisse des prix du pétrole paie le Rafale ». Et de nuancer à juste titre : « sinon, vu la crise de la balance des paiement, c’est un peu cher, mais la défense ça paie, c’est stratégique ».
Estimé à 5,2 milliards d’euros (dont 3,5 Mds EUR pour les Rafale) en incluant également une frégate Fremm et des missiles, le premier contrat d’exportation du Rafale -24 appareil à l’Egypte- signé au Caire le 16 février par le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian et le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi concerne un pays pour lequel les assureurs-crédits privés ont une appréciation plutôt négative : en ce mois de février 2015, il est considéré comme un risque élevé par Euler Hermes à court et moyen terme, avec une note D4, de même que par par Coface qui l’évalue à C (sur une échelle de A à D, du meilleur au pire) et qui le cote « risque élevé » à moyen terme.
Ce pays de 86 millions d’habitants, gros importateur de produits alimentaires, se remet à peine d’une crise politique et économique qui perdure depuis 2011. En proie à des tensions politiques internes persistantes, il affiche un déficit de sa balance des paiement de l’ordre de 5 % du PIB et un service de la dette extérieure qui atteint près de 20 % du PIB, selon les dernières analyse de Coface*. Si ses réserves de change se sont reconstituées, atteignant 4 mois d’importation en début d’année, il doit sa survie financière au fort soutien financiers des pays arabes, notamment de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis.
Mais, dans le contexte géopolitique actuel, marqué par la mobilisation générale contre l’extension de Daech (l’Etat Islamique), le pays du Canal de Suez, allié des Occidentaux, a un rôle stratégique à jouer. Et c’est bien dans ce contexte que le risque pays qui pourrait être considéré comme rédhibitoire pour tout autre exportateur de biens civiles à la recherche d’une couverture est apprécié bien différemment.
En l’occurrence, la politique d’assurance-crédit de l’Etat français, qui soutient les opérations d’exportations de moyen terme (c’est à dire des crédit bancaires remboursables sur des périodes de plus de deux ans) qui ne trouvent pas de couvertures sur le marché privé de l’assurance-crédit, était déjà très souple l’an dernier sur l’Egypte, qui était dans la catégorie « ouvert »*.
Pour le contrat égyptien, d’après des informations de presse**, l’assurance-crédit de l’Etat français à été promise dans le cadre d’un crédit acheteur qui couvre 60 % du financement du contrat (l’Egypte devant trouver 40 % par ses propres moyens, qui passeront probablement par ses soutiens extérieurs habituels dans le Golfe), soit environ 3,1 milliards d’euros. Trois banque françaises seraient impliquées dans le montage du prêt à l’Etat égyptien, pour lequel les négociations ont commencé : Crédit Agricole, BNP Paribas et Société Générale. La garantie publique, gérée par Coface, doit couvrir, conformément aux règles de l’OCDE, 95 % du crédit. Pour les 5 % restant, généralement, les banques cherchent à se couvrir ou à se refinancer auprès du marché privé.
Pour les Echos, à juste titre, le risque est « mesuré »**. D’autant plus que la défense étant un domaine stratégique pour les Etats, s’ils peuvent demander à renégocier les conditions de crédits, il est plutôt rare qu’ils se risquent à ternir leur réputation par des impayés… sauf en cas de force majeure.
En 2013 (les chiffres 2014 seront révélés début mars), tout secteur confondu (civil et militaire) , l’Etat, via Coface, a ainsi accordé pour un total de 11,9 Mds Eur de promesses garanties à l’exportation dont quelque 7 Mds ont effectivement été conclues. L’encours total garanti atteignait alors 61 Mds EUR ***. Une chose est sûre, l’Egypte fera son entrée au top 10 des pays bénéficiaires de l’assurance-crédit de l’Etat français cette année, certainement en bonne place !
Christine Gilguy
*Sources :
–Carte des risques pays 2015 (http://www.eulerhermes.fr/etude-economique/Pages/carte-risques-pays.aspx)
–Guide Coface Risque Pays 2015 (http://www.coface.fr/Actualites-Publications/Colloque-Coface-Risque-Pays)
-Sur la Politique d’assurance-crédit export 2014 de l’Etat français, lire notamment Assurance-crédit export : la PAC 2014 s’assouplit sur neuf pays, dont cinq en Afrique
**Lire en particulier, sur www.lesechos.fr, Un risque mesuré pour les finances publiques françaises
***Assurance-crédit export : la PAC s’assouplit sur neuf pays dont cinq en Afrique
Pour prolonger :
–La France signe en Égypte le premier contrat d’exportation du Rafale
–Défense : le Rafale doperait des exportations d’armement déjà en pleine forme