Alors que le feuilleton continue mais que le risque d’une sortie du Royaume-Uni sans accord s’éloigne, les Européens réfléchissent à « l’après Brexit ». Leur préoccupation : réfréner les ambitions dé-régulatrices du Premier ministre britannique Boris Johnson, ouvertement encouragées par les États-Unis de Donald Trump.
Les derniers épisodes du feuilleton sont connus. Le Premier ministre britannique a remporté une demi-victoire. Car s’il a réussi l’exploit, mardi 22 octobre, d’obtenir pour la première fois une majorité en faveur de l’accord de sortie. Le Parlement britannique lui a, cependant, refusé la ratification en trois jours, obligeant Boris Johnson à demander un report au delà du 31 octobre.
«Pour éviter un Brexit sans accord, je recommanderai aux 27 d’accepter la demande d’une extension», a rapidement rétorqué, sur Twitter, Donald Tusk, le président du Conseil européen. Le président du Parlement européen s’est prononcé pour la même solution quelques heures plus tard.
Vers un modèle économique libéré des contraintes de Bruxelles ?
Report du Brexit ou sortie sans accord, quelle que soit l’issue du feuilleton, « l’après Brexit » ne s’annonce pas non plus sous les meilleurs auspices.
Si le scénario du pire – une sortie désordonnée du Royaume-Uni – semble aujourd’hui moins probable, l’adoption et la ratification de l’accord de retrait « ne signifiera pas pour autant la fin des problèmes », reconnaît un négociateur européen gagné, comme tant d’autres, par la fatigue du Brexit.
Car dans ce cas de figure, de nouveaux rounds de pourparlers viendront à nouveau rythmer le quotidien des équipes techniques européennes et britanniques. Il s’agira, lors de cette seconde étape, de dessiner les contours de la relation future entre Londres et Bruxelles.
Et une fois encore deux conceptions s’affrontent, la vision de Boris Johnson, très dé-régulatrice, demeurant très éloignée du modèle régulateur européen dont il rêve de s’affranchir.
« Depuis 1973, le navire de notre État est au mouillage ; désormais, il pourra larguer les amarres et prendre le large pour la haute mer – et donc pour le vaste monde – au lieu de rester confiné dans la sphère de l’Europe », a récemment clamé le député conservateur Jacob Rees-Mogg, faisant écho aux déclarations tonitruantes de son Premier ministre.
La ligne a le mérite d’être claire : dans le camp des Tories on mise avant tout sur une économie de marché libérée des contraintes imposées par Bruxelles.
Des garanties de concurrence équitables
Cette ambition dé-régulatrice sensible chez les conservateurs britanniques commence à provoquer des sueurs froides sur le continent.
Face au Bundestag il y a quelques semaines, Angela Merkel a très bien résumé le nouveau conflit qui se profile. Même si le Royaume-Uni est destiné à rester un proche allié, un partenaire privilégié, elle aura fatalement un « concurrent direct sur le plan économique face à elle », a mis en garde la chancelière allemande.
Certes la menace n’est pas nouvelle. Berlin avait déjà fait pression, en 2017, pour que la déclaration politique, annexe de l’accord de retrait, contienne un paragraphe garantissant des conditions de concurrence équitables dans le futur traité commercial entre les deux blocs. D’abord opposé à l’inscription de cette référence à un « level playing field », comme on dit dans le jargon bruxellois, Boris Johnson a finalement cédé en décidant de maintenir cet engagement accepté l’an passé par Theresa May.
Reste à savoir la ligne qui sera choisie une fois que les négociateurs entreront dans le vif du sujet. « La convergence réglementaire souhaitée par l’UE, en particulier en matière de droit à la concurrence, risque de s’opposer aux objectifs du gouvernement à Londres. BoJo [Ndlr : surnom du Premier ministre britannique] a bien fait comprendre qu’il comptait savourer la liberté retrouvée du Royaume-Uni une fois le divorce prononcé », analyse un diplomate à Bruxelles.
Le risque d’un « Singapour sur Tamise » aux portes de l’UE
A ce stade rien, donc, ne garantit l’inscription, dans le futur accord de libre-échange, d’un socle commun, sur les standards applicables pour ce qui concerne les droits sociaux, la protection de l’environnement, les aides d’État et les questions de fiscalité. Un « level playing field, que « les États membres, les Parlements et les entreprises que j’ai rencontré appellent de leurs vœux », a rappelé Michel Barnier.
Car la déclaration politique, contrairement à l’accord de divorce, n’est pas juridiquement contraignante.
D’où la mise en garde du négociateur en chef européen, jeudi 18 octobre, peu après l’annonce d’un compromis entre les deux camps : « l’ambition et la portée de notre futur accord de libre-échange avec le Royaume-Uni seront bien proportionnelles au niveau et à la qualité des règles du jeu économique entre nous, entre l’UE et le Royaume-Uni », a-t-il averti. « Des droits de douane à taux 0 supposeront un alignement complet des Britanniques sur les réglementations européennes », renchérit une source diplomatique française.
« S’associer dans les pourparlers commerciaux contre l’UE »…
De quoi faire le bonheur de Donald Trump, partisan de la première heure du divorce entre le Royaume-Uni et le club européen. Les négociations futures sur un traité de libre-échange entre Londres et Bruxelles seront donc très certainement scrutées de près à Washington où l’on n’hésite pas à semer publiquement les graines de la discorde.
« Les États-Unis et le Royaume-Uni doivent s’associer dans des pourparlers commerciaux contre l’UE », a déclaré Wilbur Ross, le 21 octobre dernier, sur la chaîne Fox Business.
Pour le secrétaire d’État américain au Commerce, les négociations pourraient en outre se conclure rapidement. « Les problèmes entre les États-Unis et le Royaume-Uni sont beaucoup moins importants que ceux entre nous et l’UE. C’est donc un accord naturel », a-t-il insisté.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles