« L’économie mondiale va bien, pas la mondialisation ». En une phrase, voilà donc tracé l’état de la planète. Cette phrase fort pertinente est sortie de la traditionnelle synthèse annuelle du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), intitulée « l’économie mondiale en 2019 »*.
D’abord un chiffre pour aller dans le sens de l’optimisme : 4 %, c’est la croissance de l’activité mondiale attendue cette année par la FMI, après + 3,8 % l’an dernier. Ensuite, un pays qui illustre parfaitement cet optimisme : les États-Unis, qui « bénéficient d’une croissance insolente », a souligné Sébastien Jean, qui dirige le Cepii, lors de la conférence de présentation de l’ouvrage, le 12 septembre. Outre-Atlantique, un taux de 2,9 % est prévu cette année, après + 2,3 % en 2017. Après la crise de 2008, l’économie y est repartie depuis 2009.
Donald Trump se recentre sur la Chine
En même temps, ce qui pourrait paraître paradoxal, si la mondialisation se porte mal, une des causes en est aussi les États-Unis et plus particulièrement la politique commerciale et l’imprévisibilité du président américain. « Les États-Unis, architecte de l’après-guerre du multilatéralisme, changent de cap dans beaucoup de domaines, comme le climat et avec l’Unesco. L’Administration Trump applique aussi une politique commerciale agressive et ouvertement protectionniste », a exposé Sébastien Jean.
Donald Trump, menace globale sur l’économie mondiale ?
Selon le directeur du Cepii, les États-Unis sont une puissance confrontée à la montée d’autres puissances. Et s’ils se sont attaqués d’abord à leurs alliés avant la Chine, aujourd’hui il y a des signes du retournement, comme la rencontre et la déclaration commune à Washington de Donald Trump et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ou encore l’accord annoncé par les États-Unis et le Mexique.
« Il semble, a expliqué Sébastien Jean, que le chef d’État américain devienne plus conciliant avec ses alliés, qu’il adopte une politique plus pragmatique à l’approche des élections de mi-mandat (midterm) dans son pays, qu’il prenne aussi conscience qu’une guerre globale a un coût et que, finalement, il ait choisi de recentrer sur la Chine, parce que ce pourrait être plus payant ».
Dans « l’économie mondiale 2019 », Sébastien Jean écrit : « le développement foudroyant de l’économie chinoise menace la position dominante des États-Unis juste dans les secteurs de haute technologie, qui seront les moteurs de la croissance et de la puissance de demain ». Le directeur du Cepii fait ainsi référence explicitement au plan Made in Chine 2025 qui viserait « à acquérir des positions dominantes dans des secteurs sensibles comme la robotique, l’intelligence artificielle ou les véhicules électriques ».
« Pour y parvenir, poursuit-il, la politique industrielle chinoise s’appuie sur le rôle de coordination de l’État et du Parti, tout en laissant s’exprimer la concurrence et les logiques de marché ». Un système, rappelle l’économiste français, qui « n’existait pas en tant que tel lorsque les règles de l’Organisation mondiale du commerce ont été conçues ». Or, conclut-il sur ce chapitre, « les États-Unis, comme d’ailleurs beaucoup d’autres économies avancées, sont sceptiques sur la capacité à permettre une concurrence internationale non faussée dans ce contexte ».
S. Jean : les Chinois « veulent négocier »
Maintenant, qui peut dire jusqu’où Donald Trump est prêt à aller ? Seule certitude, si la surenchère américaine visait à taxer 500 milliards de dollars d’exportations chinoises, l’impact serait fort pour la Chine, mais aussi pour les États-Unis en termes d’investissement, de demande et d’inflation. Déjà, si la moitié des importations en provenance de l’ex-Empire du Milieu, y compris l’automobile, était concernée, cette mesure entraînerait un point d’augmentation de l’inflation outre-Atlantique.
De son côté, la Chine, en guise de rétorsion, serait-elle tentée de vendre les bons du Trésor américain qu’elle détient en masse. Sébastien Jean n’y croit pas, estimant que Pékin « est beaucoup plus dans l’apaisement ». Selon lui, les Chinois « veulent négocier », parce que vendre les bons du Trésor seraient « un jeu dangereux » et « appauvriraient le pays », ce qui aurait un effet « déstabilisant ». Et ce alors que la Chine « économiquement persiste à contre courant des voix qui annonçait une chute brutale ».
Sur le front de l’économie globale, on peut ajouter d’autres bonnes nouvelles : une « nouvelle accélération » en Inde, un Japon « qui ne se porte pas si mal », une Union européenne (UE) qui « consolide », une Russie et un Brésil qui « sortent de la crise ».
Le défi planétaire de la dette
Pour autant, il faut faire preuve de prudence pour deux raisons :
1/- L’économie est artificiellement dopée :
- États-Unis : réforme fiscale votée par le Congrès en décembre 2017 représentant 1 500 milliards de dollars de baisse de recettes fiscales sur la décennie à venir,
- Chine : politique de relance monétaire et fiscale de même ampleur qu’aux États-Unis, représentant 0,8-0,9 % du produit intérieur brut (PIB), soit 800 milliards de renminbis, ainsi qu’une baisse des crédits bancaires décidée dans le cadre des tensions commerciales.
- Japon : politique de relance fiscale et monétaire des Abenomics avec des taux d’intérêt à 0 % maintenus à l’horizon de dix ans,
- UE : politique monétaire encore accommodante.
2/– Deuxième source d’inquiétude, qui touche les économies avancées, comme en développement, y compris l’Afrique : l’endettement.
G7 + Chine : le taux d’endettement aurait bondi d’un peu de 200 % du PIB en 2008 à 260 % aujourd’hui. Chez les émergents, il a doublé en une décennie. Deux pays sont à l’heure actuelle en grande difficulté : Turquie et Argentine.
« Il n’y a pas d’alternative au dollar »
« En Argentine, c’est une crise comparable à celle de 2001. Même si son économie est moins dollarisée qu’à l’époque, il y a quand même beaucoup de dollars dans sa dette. Et, dans ces conditions, il va certainement y avoir une dévaluation très importante », estime Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du Cepii.
La question de l’utilisation du dollar dans l’économie mondiale se pose maintenant avec acuité, en raison du comportement agressif des États-Unis et du rôle central de la monnaie américaine dans l’extraterritorialité des sanctions commerciales appliquées unilatéralement par les États-Unis. Il faudrait quelques devises clés, il n’y en a pas, les marchés financiers ne les réclament pas. Aujourd’hui, affirme Sébastien Jean, « il n’y a pas d’alternative au dollar ».
François Pargny
*L’ouvrage est publié par les Éditions La Découverte. 125 pages. Pour en savoir plus : cliquer ici.