« L’UANI exprime son désaccord face à la décision de Coface de faciliter les investissements en Iran, devenant un potentiel soutien à un régime dépourvu de lois et promouvant le terrorisme ». C’est le titre d’une « alerte presse » diffusée le 20 octobre par l’agence de communication parisienne A+ Conseils pour le compte de l’organisation non gouvernementale (ONG) américaine UANI (United against nuclear Iran). Le recrutement cet été de cette agence en France par UANI est le signe que cette organisation fondée en 2008 par Mark Wallace, un Républicain réputé proche de Georges W. Bush, ancien ambassadeur des États-Unis auprès de l’ONU, compte bien poursuivre sa campagne contre l’actuel régime iranien auprès des entreprises françaises – et plus largement occidentales- pour les dissuader de faire des affaires en Iran.
Le communiqué reproduit le contenu d’un courrier adressé par UANI, le même jour, aux dirigeants de Coface, mettant en garde l’assureur-crédit français contre le risque d’une reprise de ses activités en Iran : « Coface est bien implantée sur le territoire nord-américain avec Coface-USA, et se lancer sur le marché iranien compromet dangereusement ses chances de pouvoir encore agir à l’échelle internationale, compte tenue de la position très stricte des États-Unis à l’encontre de l’Iran », lit-on, entre autres amabilités.
En l’occurrence, UANI s’est trompé de cible : contactée par Le Moci, la direction de la communication de Coface renvoie à juste titre à la Direction générale du Trésor (DG Trésor). Car Coface n’a pas d’activités en propre en Iran, c’est l’État qui a décidé de rouvrir le guichet de l’assurance-crédit export publique fin janvier 2016 dans ce pays, lors de la visite en France du président iranien Hassan Rohani*. Coface gère ce guichet pour le compte de l’État. L’UANI « n’est pas un interlocuteur », dit-on à Bercy. « Ils ne sont pas très courageux de prendre à partie Coface : ils devraient s’en prendre à l’État français », ironise-t-on.
Mark Wallace n’a peur de rien et a réponse à tout
En bon professionnel américain de la politique et de la diplomatie internationale, rompu aux campagnes de communication, Mark Wallace n’a peur de rien et a réponse à tout. Lors d’un entretien téléphonique exclusif le 26 octobre, il a maintenu la position d’UANI lorsque Le Moci lui a appris que c’est bien au titre de ses activités d’agence de crédit export publique de l’État français que Coface avait rouvert sur l’Iran. Et d’ajouter qu’écrire au Trésor français était « une bonne idée ».
Coface est en fait la énième cible d’une campagne internationale d’UANI visant à dissuader les entreprises internationales de revenir en Iran. En France, où la presse s’est fait l’écho durant l’été de cette campagne, mettant en avant les liens d’UANI avec les services de renseignement américains et israéliens*, les dirigeants de plusieurs autres grands noms de l’industrie et des services français comme Peugeot ou Orange, ont reçu des lettres similaires ces derniers mois dès qu’ils ont posé des jalons pour revenir en Iran, comme si leur moindre fait et geste dans ce pays été surveillé à la loupe.
Plus de 500 lettres envoyées dans le monde entier
Mark Wallace, qui répète à l’envie ne pas croire en la volonté du régime iranien de changer en profondeur ni en matière nucléaire, ni en matière de respect des droits de l’homme ou de soutien au terrorisme, ce qui justifie selon lui son action, se défend d’en vouloir spécialement à la France : « je suis francophile », affirme-t-il, précisant, sans doute à l’attention de ceux qui voient en son organisation une main invisible protégeant les intérêts américains en Iran, que ses campagnes ont « commencé par les sociétés américaines » et qu’elles visent aujourd’hui des entreprises à travers le monde. « Nous avons envoyé plus de 500 lettres dans le monde entier », affirme le fondateur d’UANI.
Et de nous faire envoyer par mail les copies sous formats Pdf d’une dizaine de lettres adressées ces derniers mois aux CEO (chief executive officers) de divers groupes américains et européens : les américains Honeywell International et Boeing, les italiens Finmeccanica Spa, Ignazio Messina & Co et Eni, les allemands Lufthansa et Siemens, le suisse Liebherr… Depuis février 2016, elle n’a pas arrêté. L’ONG américaine se targue d’avoir eu un rôle majeur, avant l’accord sur le nucléaire iranien, pour obtenir l’éjection des banques iraniennes du système interbancaire de paiement Swift en 2012, ou encore le retrait de Peugeot d’Iran pour permettre son rapprochement avec General Motors…
Pourquoi un tel acharnement ?
Pourquoi cet acharnement alors que la communauté internationale –États-Unis, Union européenne, ONU- a signé un accord global avec l’Iran sur le nucléaire, au terme de longues négociations dans lesquelles la France est d’ailleurs apparue comme plus sévère que les États-Unis, et adopté, le 16 janvier 2016, un plan global d’action qui prévoit une levée progressive des sanctions en échange du respect par les Iraniens de leurs engagement en matière nucléaire ?
« La question que vous posez est exactement la raison pour laquelle nous continuons cette campagne » a répondu sans hésiter Mark Wallace, pour qui justement, rien n’est encore fait, notamment côté iranien. « Ça reflète une importante incompréhension de la situation de la part de la communauté des affaires ».
Et comment a-t-il réagi à l’octroi par l’OFAC (Office of Foreign Assets Control) de licences à Boeing (pour 80 appareils) et Airbus (pour 17 avions sur un total de 108 commandés) pour répondre aux besoins de renouvellement de la flotte vieillissante d’Iran Air, le 20 septembre dernier ? « Nous sommes préoccupés par ces licences », a-t-il affirmé, tout en concédant qu’en réalité, elles répondent aussi à un souci « humanitaire » compte tenu du mauvais état de la flotte iranienne, devenue « dangereuse» pour la population.
Relativiser la puissance réelle d’UANI
Lors de leur conférence de presse pour la présentation de leur rapport sur « l’extraterritorialité de la législation américaine », le 5 octobre, les députés Pierre Lellouche et Karine Berger ont cité les agissements de ce lobby qu’est UANI parmi les faits illustrant le climat de « guerre économique » existant actuellement entre les deux rives de l’Atlantique***. Une lettre de l’ONG américaine à Vinci est annexée à leur rapport. Et l’on sait que les courriers ciblés de cette organisation ne sont pas pris à la légère par leurs destinataires, qui prennent soin d’y répondre.
Reste qu’il faut relativiser la puissance réelle de l’UANI : c’est surtout l’écheveau des sanctions américaines et internationales et la manière peu claire dont l’administration comme la justice américaines appliquent la législation dans ce domaine, bloquant notamment la réouverture des circuits financiers avec le pays, qui est le vrai frein actuel au développement des affaires avec l’Iran dans tout les secteurs. Les députés Pierre Lellouche et Karine Berger l’ont découvert avec effarement. Les entreprises françaises en ont pris bien vite conscience, bien avant qu’UANI ne s’en prenne à elles.
Christine Gilguy
*Iran / Crédit export : accord pour la réouverture des garanties publiques par Coface
**Voir notamment Le Parisien du 04/08 ou encore Challenge du 29/08. Dans son CV, Mark Wallace revendique ouvertement et sans complexe d’avoir au comité consultatif de son ONG divers experts et personnalités officiels comme Franc Townsend, ex-membre du Conseil de sécurité intérieure américain, Meir Dagan, ex-chef du Mossad israélien, mais aussi Dr. August Hanning, ex-chef du service de renseignement allemand et encore Sir Richard Dearlove, ex-chef du M16 britannique. Il rappelle aussi que l’ancien ambassadeur américain Richard Holbrooke et l’ex-directeur de la CIA Jim Woolsey ont cofondé avec lui UANI en 2008…