C’est une histoire que racontait un homme d’affaires iranien à Téhéran : lors d’un débat à la télévision, un mollah est invité à s’exprimer devant une assemblée de femmes en tchador. Puis vient le temps des questions. Une femme ose demander alors au dignitaire musulman ce qu’il pense de l’obligation du voile faite aux femmes en Iran. Réponse un peu sèche du membre du clergé chiite : « la priorité n’est pas là, la priorité, c’est la lutte contre la corruption et le marché noir ».
On image facilement la surprise, sinon la stupéfaction dans ce pays où, si l’on en croit ce représentant du secteur privé, le marché noir est l’œuvre des pasdarans, une génération dans la tranche d’âge des 40-50 ans ayant vécu la guerre contre l’Irak, ceux que l’on appelle aussi les gardiens de la Révolution islamique qui ont dominé la vie économique et parlementaire jusqu’à aujourd’hui. Et ce, malgré l’arrivée au pouvoir d’un président dit réformateur, Hassan Rohani, qui est venu en France en janvier dernier pour vanter l’ouverture de son pays après la signature en juillet 2015 à Vienne de l’accord sur le désarmement nucléaire avec les puissances occidentales.
L’élection d’un conservateur modéré à la tête du Parlement
Toutefois, lors du second tour des élections législatives, les partisans du chef de l’État l’ont emporté, au point que la liste « Espoir » des réformateurs et des conservateurs modérés, sans devenir majoritaire, devenait de loin la première force politique représentée au Parlement. C’est un modéré qui a été élu le 29 mai à la tête du Parlement, Ali Larijani, qui avait approuvé l’accord nucléaire. Certes, les réformateurs vont devoir négocier avec les modérés à un an de la présidentielle de 2017 à laquelle Hassan Rohani devrait se représenter pour un second et dernier mandat. Mais, selon le chef d’entreprise iranien, « le gouvernement est en train de mettre le verrou » et « le processus est irréversible ».
Il ne croit pas un moment aux rumeurs les plus pessimistes, notamment le retour du précédent président entre 2005 et 2013 Mahmoud Ahmadinejad, « dur, ultraconservateur ». Il profiterait alors du fait que l’accord de Vienne n’a pas débouché sur un décollage économique de l’Iran, comme l’aurait promis son successeur pour convaincre le Guide suprême Ali Khamenei et le Parlement.
Une jeunesse en quête d’une certaine liberté
« Quel que soit le développement du pays, les jeunes et les femmes, dans leur majorité, ne voteront jamais pour les conservateurs », affirmait encore l’homme d’affaires iranien. « Il faut être conscient que la société iranienne évolue et les jeunes sont devenus les rois du contournement », expliquait encore un acteur de la vie économique des entreprises à Téhéran. Officiellement, il est interdit de boire et de danser, mais, selon lui, « il suffit de payer un douanier pour se fournir en champagne » ou « d’avoir un dealer pour obtenir une bouteille de whisky et boire de temps en temps », confiait un autre homme d’affaires iranien.
Certaines fêtes clandestines font l’objet de répressions, mais la demande pour une plus grande liberté dans les grandes villes semble s’étendre. « Si les conservateurs perdent le bénéfice du marché noir, vous pouvez vous attendre à ce qu’ils deviennent agressifs dans les mois à venir », estimait, néanmoins, un observateur économique à Téhéran. Et ce, au moins jusqu’aux futures élections présidentielles.
De notre envoyé spécial à Téhéran
François Pargny
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