Les risques d’une sortie de l’Iran du Programme conjoint d’action global ou Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), conclu en juillet 2015 avec le G5 + 1 (États-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France + Allemagne), sont réels après la décision unilatérale des États-Unis de sortir de l’accord. En outre, on ne voit toujours pas comment les entreprises européennes sortiront de ce piège tendu par les « alliés » d’outre-Atlantique.
De fait, quinze jours après l’annonce faite par Donald Trump, le 8 mai, on n’a pas beaucoup avancé. Certes, les Européens se sont jusqu’à présent montrés unis face aux États-Unis*, comme l’a relevé Emmanuel Macron, lors du Sommet informel européen de Sofia, le 17 mai.
Des solutions ont même été avancées : pour contrer les lois d’extraterritorialité américaines (application du droit américain interdisant aux entreprises étrangères de travailler dans un pays hors des États-Unis), on envisage de revitaliser le règlement européen de 1996, dite « loi de blocage », qui permet de ne pas se conformer aux injections venues d’outre-Atlantique ; et, pour financer les projets en Iran, on évoque la possibilité de recourir au canal de la Banque européenne d’investissement (BEI).
J-Y Le Drian : Hassan Rohani « voulait négocier »
Sur le plan diplomatique, le ministre français de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a encore déploré « la posture » américaine favorisant les conservateurs en Iran au détriment du président modéré Hassan Rohani « qui voulait négocier ». Le patron du Quai d’Orsay faisait ainsi allusion aux activités balistiques iraniennes, voire à la présence militaire croissante de l’Iran au Moyen-Orient, directe ou indirecte, qui sont dénoncées par Washington.
Pour autant, on n’a pas avancé sur les trois grands dossiers qui intéressent le secteur privé, les deux premiers – commerce et investissement – s’agissant des entreprises européennes, et le troisième – le pétrole – en ce qui concerne les opérateurs ainsi que l’État en Iran, dont les hydrocarbures sont la ressource essentielle.
« Il importe que les entreprises qui le souhaitent puissent poursuivre leurs activités en Iran. C’est la contrepartie de l’engagement iranien à respecter ses obligations nucléaires », rappelait le 22 mai le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE), une semaine après que Jean-Yves Le Drian et son collègue de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, aient reçu les entreprises françaises à Bercy.
« L’Iran demeure un marché difficile » (Quai d’Orsay)
Sur le commerce. Si les exportations françaises ont triplé en deux ans pour atteindre 1,5 milliard d’euros en 2017, on rappelle, dans l’entourage de Jean-Yves Le Drian, que « l’Iran demeure un marché difficile », qu’il l’est pour les PME « qui n’ont pas vu leur marché exploser », mais aussi pour de grands noms, comme L’Oréal, qui ne perce pas notamment sur le segment des shampoings, parce que « le marché est protégé ».
Pour autant, certains groupes tricolores se trouveraient plus particulièrement dans une « position difficile », à l’instar d’Airbus, auquel la compagnie Iran Air a commandé en décembre 2016 une centaine d’avions pour un montant de 17,5 milliards d’euros. Produisant en partie outre-Atlantique, Airbus pouvait, avant le retrait américain, respecter ses obligations en matière de contenu local américain (30 à 40 %). Mais aujourd’hui, comme à Boeing, sa licence pour livrer en Iran va lui être retirée et le constructeur européen devra avoir abandonné le marché iranien d’ici le 6 août. C’est la date butoir fixée par l’Administration américaine pour que le groupe français ne soit pas sanctionné d’une amende au titre des lois d’extraterritorialité américaine.
La France fait valoir la bonne foi de ses entreprises
Sur l’investissement. Les constructeurs européens, PSA et Renault, n’auront pas d’autres choix que de se retirer également d’ici le 6 août, alors que Total, comme tous les opérateurs dans l’énergie, dispose d’un délai plus long jusqu’au 4 novembre. Le cas de la major française, qui s’était engagée à développer le champ gazier de SouthPars, le plus grand au monde, situé dans le golfe Persique et les eaux territoriales iraniennes, est défendu, côté français, avec deux arguments.
Le premier : Total a agi de bonne foi, puisque le contrat a été conclu avant le retrait américain. Le second : il est impossible de ne pas en tenir compte, car ce serait rompre la confiance entre partenaires. C’est pourquoi à Bruxelles, on milite pour des exemptions et des délais revus à la hausse pour l’ensemble des entreprises qui ont lourdement investi. Pour sa part, Total a demandé une exemption.
La Chine, bénéficiaire de la décision américaine
Si Total n’obtenait pas d’exemption, le contrat que le groupe français a signé avec la société pétrolière publique iranienne National Iranian Oil Company (NIOC) prévoit le transfert de ses parts (50,01 %) dans l’exploitation de la phase 11 de South Pars au troisième partenaire du projet, le géant chinois des hydrocarbures China National Petroleum Corporation (CNPC). On espère, côté français, que la perspective de voir le projet rebondir dans l’escarcelle d’un groupe chinois fera réfléchir Washington.
Sachant que les canaux financiers sont impactés par la décision de Donald Trump, la question principale est de savoir qui pourra acheter le brut iranien. « Il faut qu’il y ait suffisamment de gain. Si l’Iran se retire, on ne pourra pas maintenir l’accord en tant que tel », estime-t-on dans l’entourage de Jean-Yves Le Drian.
« On regarde avec des clients », confie-t-on prudemment au MEAE. Sur ce sujet, on avance à tâtons. Mais la Chine pourrait être un débouché enviable, permettant au passage à l’Empire du Milieu d’accroître son empreinte dans l’ex-Perse. Elle est déjà le premier marché extérieur de l’Iran, qui lui ainsi a livré des marchandises pour un montant supérieur à 8 milliards d’euros en 2017 et de 2,74 milliards entre janvier et avril 2018, d’après la base de données GTA (groupe IHS Markit). Matières plastiques, produits chimiques organiques, combustibles et minerais sont les principaux produits vendus par l’Iran.
L’appel de Téhéran pour exploiter son pétrole
A l’occasion du déplacement à Pékin, le 13 mai, du chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif, de nouveaux contacts auraient été établis pour que la Chine poursuive ses achats de pétrole iranien. Depuis 2015, le poste Combustibles-minéraux-huiles-matières bitumineuses représente entre 65 et 68 % des importations de l’ex-Empire du Milieu en provenance de l’Iran.
En attendant, la République islamique cherche de nouveaux candidats à l’exploitation de ses hydrocarbures. Le 22 mai, prenant acte des craintes des grandes compagnies pétrolières, son vice-ministre du Pétrole, chargé des Affaires et échanges commerciaux internationaux, Amir Hossein Zamaninia, lançait un appel aux opérateurs européens de taille moyenne. Une solution qui serait défendue par les 28.
François Pargny
*UE / Iran : face à D. Trump, les Européens tentent un front uni et UE / États-Unis : les Européens préparent leur réponse à l’unilatéralisme de Washington
Pour prolonger :
–UE / Iran : quels scénarios pour défendre les intérêts européens face à Washington ?
–Iran : la France veut renforcer l’arsenal de défense commerciale de l’UE contre les États-Unis
–Iran : Medef et Medef International créent un numéro vert pour les PME
–Iran / Export : les entreprises plongées dans l’incertitude et le flou juridique