Du 24 au 29 septembre, Pierre Gattaz, qui préside le Mouvement des entreprises de France (Medef), conduira en Inde une délégation de plus de 60 personnes, dont 43 dirigeants d’entreprises*, avec Marianne Laigneau, vice-présidente du Conseil d’affaires France-Inde de Medef International et Senior Executive de la division International d’EDF, et Gérard Wolf, président de la « task force » Ville durable de Medef International et de la société d’accompagnement dans les pays émergents Brics Access. Alors que cette semaine, une mission de 11 entreprises de la filière agro-équipements française montée par Bpifrance, Business France et la banque HSBC s’est également envolée pour l’Inde, c’est un signe de la volonté des pouvoirs publics comme des milieux d’affaires d’effectuer une percée plus large, dans ce vaste pays, que le secteur aéronautique et de Défense ouvert par le décollage du Rafale en décembre 2016…
« Ce sera notre sixième mission en dix ans dans ce pays, mais la première fois avec une délégation propre », a-t-il indiqué d’entrée, lors d’une conférence de presse, qui s’est tenue le 19 septembre à Paris. « N’allez pas y voir un quelconque problème le secrétaire d’État à l’Europe et aux affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, que vous avons, d’ailleurs, rencontré récemment », a précisé le patron des patrons français, répondant ainsi à une question du Moci sur les raisons du choix du Medef « d’y aller de façon autonome », pour reprendre l’expression de Pierre Gattaz. En fait, cette mission s’inscrirait plutôt dans le cadre général de la politique très proactive sur l’international de son président, qui pilote volontiers des délégations de sociétés françaises, petites et grandes, hors de l’Hexagone. Après l’Inde, ce sera encore le Kenya et l’Éthiopie en novembre.
Le déjeuner de presse, organisé par le Medef, le 19 septembre, s’est tenu parallèlement à une série de séminaires, pilotés par le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas). Dans un communiqué de presse, en date du 21 septembre, le Gifas explique que « Rafale International composé de Dassault Aviation, Safran et Thales, a rencontré plus de 100 PME françaises en présence de représentants de l’ambassade d’Inde en France, au cours de deux séminaires de travail qui se sont tenus le 19 septembre à Paris et le 21 septembre à Bordeaux sous le patronage du Conseil régional de la Nouvelle Aquitaine », en présence également de « BPI France et la Direction Générale de l’Armement » pour exposer notamment « leur engagement dans la politique du Make in India » et présenter « les opportunités qui s’offraient aux PME françaises pour investir et installer des activités de production » dans le cadre du » programme de compensations Rafale pour l’Inde ».
Les Français auraient compris le « Make in India »
Après le sud de la Méditerranée, « Gattaz l’Africain » a sillonné un peu plus l’Europe et l’Amérique latine et maintenant la priorité est plutôt donné à l’Asie, avec aujourd’hui, après la Chine, l’Inde, deux pays que le patron de Radiall connaît bien, puisque le fabricant de composants électroniques possède une usine de 400 personnes au chiffre d’affaires de 60 millions d’euros à Shanghai et une autre de 100 personnes pour un CA de 6 millions à Bangalore.
« En Chine, j’ai vu une restructuration du monde des télécommunications, avec l’arrivée de Nokia ou d’Ericsson et d’équipementiers européens ou américains, ce qui n’a pas été le cas en Inde, où on s’est orienté plus vers les services et où on achetait les produits à l’extérieur », a expliqué Pierre Gattaz. D’où l’importance du « Make in India », l’industrie ne représentant pas plus de 12 à 13 % du produit intérieur brut (PIB) de ce vaste pays. Un concept, porté par son Premier ministre en personne, Narendra Modi, et que les entreprises françaises, notamment les 165 sociétés implantées sur place, auraient bien compris, en apportant de la technologie et en créant de l’emploi localement.
La délégation tricolore passera deux jours à Delhi (24-25 septembre), capitale politique, où elle devrait être reçue par Narendra Modi et une toute série de ministres : Finance et entreprises, Commerce et industrie, Énergie, Logement et développement urbain, Chemin de fer et charbon, Défense, etc. Les sociétés françaises devraient donc en apprendre plus sur les réformes du gouvernement Modi (démonétisation, harmonisation de la TVA, libéralisation des investissements étrangers, etc.) et les priorités sectorielles (programmes Smart Cities, Clean India, Digital India, Skill India, Power for All, etc.).
Les Indiens souhaitent une approche sectorielle
Le voyage serait complété par deux journées à Mumbai (26-27 septembre), capitale économique, où des rencontres sont prévues avec les deux patronats indiens, la Federation of Indian Chambers of Commerce and Industry (Ficci) et la Confederation of Indian Industry, et une journée à Bangalore (28 septembre), capitale high tech. Selon Pierre Gattaz, la French Tech est un concept qui intéresse les Indiens, « c’est un argument pour la France », ses entreprises faisant preuve « d’innovation, de créativité digitale dans tous les secteurs qui intéressent ».
C’est l’approche sectorielle qui intéresse l’Inde, car il y a une très forte volonté du gouvernement de constituer des filières intégrées », a renchéri Gérard Wolf. Avec, notamment, trois secteurs prioritaires : énergie, villes durables, agroalimentaire.
Si la délégation du Medef ne comprend pas de sociétés agroalimentaires, c’est qu’un forum sectoriel les concernant est prévu en novembre en Inde, avec une délégation spécifique de spécialistes tricolores.
Les besoins sont là : Narendra Modi souhaiterait augmenter de 30 % la part de la transformation locale des produits agroalimentaires d’ici à 2019. Par ailleurs, l’Inde serait confrontée à « un problème de déperdition, en raison notamment d’un chaîne de droit défaillante », a complété Géraldine Lemblé. Selon la directrice de Medef International, « ce sont ainsi 40 à 50 % des produits qui sont perdus ».
S’agissant de la ville durable, l’Inde compte déjà 58 métropoles de plus d’un million d’habitants et 108 villes nouvelles de même taille sont projetées. Un programme, certes, ambitieux, qui s’expliquerait par le fait que les Indiens prévoient un potentiel de 500 millions d’habitants supplémentaires en zone urbaine d’ici à 2050, en raison de l’exode rural. Cette nouvelle ambition amènerait aussi le gouvernement à « infléchir sa politique des corridors d’infrastructures pour mailler les villes nouvelles », selon Gérard Wolf.
Jusqu’à présent, la politique de corridors n’a pas beaucoup profité à la France, qui est, cependant, « attendue sur trois smart cities, Pondichéry, Nagpur et Chandigarh, selon l’organisation patronale qui n’est pas inquiète. « On ne baisse pas les bras et les besoins sont tellement énormes que ni les Chinois, ni les Japonais, Américains ou Français ensemble ne pourront tout faire », a justifié Géraldine Lemblé. « Aujourd’hui, ajoutait Gérard Wolf, les Indiens ne savent pas comment faire pour restructurer leurs villes. Ils peuvent certes les moderniser, mais surtout ils veulent organiser et aménager autour de villes nouvelles ».
L’Alliance solaire internationale, un partenariat franco-indien
Troisième secteur, l’énergie. L’Inde aurait besoin de 300 000 mégawatts supplémentaires. Les besoins sont donc immenses. En outre, la France s’est associée à elle pour développer le secteur des énergies renouvelables dans les pays en voie de développement. De façon concrète, l’Inde, fondateur de l’Alliance solaire internationale, qui regroupe 121 pays, en a co-présidé avec la France deux premiers comités de pilotage en 2015 (Paris) et 2016 (Abu Dhabi), avant d’organiser un événement de haut niveau dédié au déploiement massif du solaire dans les pays du Sud, en marge de la Cop 21.
« On a constaté qu’entre les tropiques du Cancer et Capricorne vivaient 73 % de la population mondiale, mais que seulement 23 % de la capacité solaire y étaient installés, en d’autres termes, que là où il y a le plus de soleil, paradoxalement, il y a le moins de capacité installée », a exposé Gérard Wolf. D’où la volonté des deux pays de se concentrer sur « cette géographie », avec « idéalement deux programmes de 1 000 milliards pour réaliser des installations solaires ».
Des bailleurs multilatéraux ont manifesté leur intérêt et Emmanuel Macron est annoncé en Inde le 9 décembre prochain, soit trois jours avant le Sommet d’étape sur le changement climatique que veut réunir le président français. « Dans le cadre de l’Alliance solaire, nous allons discuter avec le Premier ministre indien et son ministre de l’Énergie du nombre de panneaux solaires à installer et de la façon de financer l’initiative », a promis Gérard Wolf.
Pierre Gattaz a encore relevé l’importance que l’Inde prenait dans le monde. Sa population passerait de 1,3 à 1,7 milliard d’habitants en 2050, doublant au passage la Chine, qui stagnerait à 1,3 milliard, sa classe moyenne serait de 300 000 de personnes et la croissance de son économie l’an prochain poursuivrait au même rythme qu’en 2016-2017, soit 7 %. Pour autant, reconnaissait-il, c’est un pays immense composé de 29 États, ce qui ajoute à la complexité inhérente à la bureaucratie.
Or, la corruption est aussi une réalité tenace. « Nous en sommes conscients, et c’est pourquoi nous nous focalisons sur les États dits fréquentables avec des besoins réels », a affirmé Géraldine Lemblé. Une politique de raison, car, a-t-elle assuré, « nous encourageons les entreprises à trouver des partenaires locaux ». Ce qui explique aussi que dans la délégation patronale se trouvent déjà des entreprises qui possèdent une expérience du marché, à l’instar du groupe familial d’origine lorraine FM Logistic, qui opère, par facilité depuis un an, avec un partenaire indien. Quant aux autres, l’accompagnement sera primordial.
François Pargny
* Sur une délégation d’une soixantaine de personnes, 43 sont des entrepreneurs, dont 40 % représentent des groupes, 30 % des PME et startups et 20 % des ETI.
Par secteur, six sont dans les transports et la logique : FM Logistic, Michelin, Dimotrans, Poma, SNCF, Transdev ; quatre dans l’industrie maritime et la logistique portuaire : CMA CGM, Bolloré, Soget, Louis Dreyfus Armateurs ; sept dans l’énergie et l’environnement : CEA-Ines, EDF, Engie, Ikos Environnement, Private Ltd, Suez, Citellium (EDF) ; six dans la construction : Egis, FNTP, Fiec, Matière SAS, Alcor Equipements, Architecture Studio ; cinq dans le numérique : Bull/Atos, Famoco, Gemalto, Groupe Muller, Techway SAS ; cinq dans l’aéronautique, l’espace, la défense : Airbus, Boccard, Dassault Aviation, Nexter Systems (groupe KNDS), Techway ; trois dans l’audit, la banque et l’assurance : BNP Paribas, Euler Hermes Services, Groupe Audit-Serval & Associés ; quatre dans le juridique et conseil : Altios, D & Consultants SAS, DS Avocats, Brics Access ; trois divers : Bic (biens de consommation), Inventec Performance Chemicals (solutions chimiques dans les industries de haute technologie) et Vanel (commerce).
Pour prolonger :
–Automobile / Monde : la Chine et l’Inde tirent les ventes mondiales, selon Euler Hermes
–Medef / International : après l’Afrique, P. Gattaz veut pousser les PME en Asie
–Inde / Export : Business France et la CCI France-Inde signent un partenariat pour mieux aider les PME
–Inde / France : le Rafale décolle en Inde