La signature le 15 janvier de la trêve dans la guerre commerciale entre Washington et Pékin a été accueillie avec prudence à Bruxelles. Car si les Européens se félicitent d’un accord commercial conclu entre les deux premières puissances mondiales mettant fin à une escalade tarifaire sans précédent, ils craignent toutefois d’en subir les frais.
Cette inquiétude est sensible dans les milieux d’affaires. « Hier soir les règles de la mondialisation ont été réécrites. Et nous nous demandons quelle est notre place », s’est ainsi interrogé le lendemain Jörg Wuttke, le président de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine (EUCCC). En France, une note récente du think tank français Cepii en fait à cet égard une analyse critique qui confirme cette crainte, comme nous le signalons dans un autre article de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui.
Mêmes inquiétudes au sein de la Commission européenne où chaque soubresaut, dans les tumultueuses relations sino-américaines, est analysé à la loupe. Promettant que ses services scruteront les moindres détails de l’accord scellé, Phil Hogan a affiché une position ferme : « S’il y a un problème de conformité à l’OMC, bien sûr nous ferons valoir nos arguments », a-t-il assuré au moment de la signature de l’accord sino-américain.
Un commentaire fait depuis Washington, où Phil Hogan effectuait sa première visite officielle en tant que commissaire au Commerce, et où il venait de boucler une proposition commune sur la réforme de l’OMC, avec le Japon et les États-Unis.
Produits agricoles, aéronautique, victimes « collatérales »
Dans le viseur des Européens : l’engagement de Pékin d’augmenter de 200 milliards de dollars sur deux ans ses importations de produits américains par rapport à 2017. « Ils risquent dès lors d’acheter moins de produits made in EU », pronostique la Commission à Bruxelles, qui craint de voir les Européens devenir les principales « victimes collatérales » de ce deal longuement négocié sur un mode résolument bilatéral entre la Chine et les États-Unis.
L’examen des détails de cet accord de 96 pages donne des informations sur ces « victimes » potentielles côté européen. Car sur les 200 milliards de dollars d’achats de produits américains, 32 milliards sont réservés aux produits agricoles (oléagineux, viande, céréales ou coton) et 80 milliards à des biens manufacturiers, notamment de l’industrie aérospatiale. De quoi provoquer des sueurs froides chez les agriculteurs mais aussi au sein d’Airbus.
Alors que le constructeur européen avait pris l’avantage sur Boeing ces dernières années sur le marché chinois, la clause pourrait profiter à l’avionneur américain. « Je ne serais pas surpris de voir des commandes de Boeing dans le proche avenir », a ironisé Nicolas Chapuis, l’ambassadeur de l’UE à Pékin. « Les objectifs quantitatifs ne sont pas compatibles avec l’OMC », s’ils entraînent des distorsions commerciales, a indiqué le diplomate européen, menaçant à son tour de saisir l’organisation genevoise « pour régler cette question».
La règle d’or inscrite dans le traité du GATT, dont l’OMC est le garant et l’administrateur, est la clause dite de la « nation la plus favorisée » (article 1 du traité). Elle prévoit que les avantages accordés par un État à un autres sur le commerce d’un produit ou d’un service seront automatiquement accordés aux produits similaires provenant d’autres États. Sauf à obtenir une exception, procédure étroitement encadrée par l’OMC.
Des menaces qui ont toutefois peu de chance de faire trembler les deux puissances signataires de l’accord commercial. Car faute du minimum requis de trois juges pour traiter ce type de plaintes, l’organe de règlement des différends (ORD), pièce maîtresse de l’OMC, est paralysé depuis décembre. Les Américains refusent toujours d’autoriser le renouvellement des magistrats siégeant au sein de cette instance d’appel.
La Chine s’efforce de calmer les craintes
Mais si l’administration Trump est restée muette à ce stade, les Chinois n’ont pas ménagé leurs efforts pour rassurer les Européens.
Invité au ministère des Affaires étrangères chinois, dès le lendemain de la signature du pacte sino-américain, Nicolas Chapuis aurait ainsi reçu des « assurances formelles » que les entreprises de l’UE ne seraient pas lésées par l’accord scellé entre les deux puissances mondiales. Autre engagement de Pékin : les promesses faites aux États-Unis en matière de respect de la propriété intellectuelle ou d’ouverture des services financiers s’appliqueront aussi aux autres partenaires de la Chine.
L’accord « profitera au monde entier » a également assuré le vice-Premier ministre Liu He. Ce sujet figurera au menu des discussions lors de sa prochaine visite officielle à Bruxelles courant février. Avec ses homologues européens, Liu He devrait également faire le points sur les progrès réalisés dans les négociations bilatérales pour un traité d’investissement entre les deux blocs. Les deux camps espèrent clôturer les pourparlers, entamés il y a sept ans, « avant la fin de l’année », indique-t-on à Bruxelles.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
avec Le Moci à Paris