Quelles seraient pour la France les conséquences économiques d’un abandon des accords de Schengen ? Une question posée par Vincent Aussilloux et Boris Le Hir dans un rapport publié le 3 février par France Stratégies, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective basé à Paris. Une question également posée outre-Rhin. La réponse : la facture sera lourde.
Les analystes de France Stratégie évaluent d’abord les conséquences à court terme du rétablissement des frontières. Les plus touchés seraient les touristes en provenance des États voisins, les touristes non-européens visitant plusieurs pays en Europe, les travailleurs frontaliers et enfin le trafic routier de marchandises. « Le coût direct pour la France serait de un à deux milliards d’euros selon l’intensité des contrôles aux frontières », estiment les auteurs du rapport.
La moitié de ce coût proviendrait d’une baisse de la fréquentation touristique ; 38 % de l’impact sur les travailleurs frontaliers et 12 % des freins au transport de marchandises. Sur le plus long terme, les contrôles généralisés aux frontières intérieures de l’UE équivaudrait à une taxe de 3 % sur le commerce entre pays de la zone, soit une perte d’une dizaine de milliards d’euros (1/2 point de PIB) pour la France. Sans compter les effets à prévoir sur l’investissement étranger et la mobilité des travailleurs. France Stratégies évalue la baisse du nombre de travailleurs frontaliers entre 5 000 et 10 000, avec une perte pour l’économie de 150 millions à 300 millions d’euros. Des chiffres qui ne tiennent pas compte des coûts liés à l’accroissement du chômage.
À Bruxelles, le sujet inquiète les milieux patronaux
Mais le think tank du gouvernement n’est pas le seul à s’être penché sur l’impact économique potentiel d’une remise en cause des accords de Schengen. À Bruxelles, le sujet fait couler beaucoup d’encre et soulève de nombreuses inquiétudes, notamment au sein des associations patronales, dont les membres bénéficient largement du principe de libre-circulation des biens et des personnes au sein de l’UE.
Ainsi, 3,5 millions de citoyens traversent quotidiennement une des frontières des 22 pays membres de la zone Schengen, auxquels s’ajoutent l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse. Près de 1,7 million de personnes en Europe travaille dans un pays de Schengen et réside dans un autre. Chaque année, 2 000 milliards d’euros de biens et de services circulent au sein de la zone.
« L’effondrement de Schengen entraînerait de profonds bouleversements et une calamité sur le plan économique », pronostique-t-on à la Commission européenne. Selon France Stratégie, le coût du rétablissement des frontières est estimé à 100 milliards d’euros, soit une réduction de 0,8 % du PIB de l’économie du bloc au cours de la prochaine décennie. Une autre analyse, publiée fin janvier par DIHK, l’association allemande des Chambres de commerce et d’industrie, évalue aussi à 10 milliards d’euros par an, pour la seule Allemagne, le coût du rétablissement définitif des frontières.
La présentation de ce rapport intervient alors qu’une portion croissante de la population se dit favorable à un contrôle plus strict des frontières. Une évolution des mentalités qui inquiète le patronat Outre-Rhin. Le nouveau lobby pro-Schengen vise donc à mettre en exergue les conséquences économiques de ces mesures, afin faire pression sur les autorités et influer sur l’opinion publique. Car, pour préserver sa première place en Europe et son rang de troisième exportateur dans le monde, l’Allemagne doit veiller à préserver des échanges commerciaux fluides, un des principaux fondements de sa bonne santé économique.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*L’Espace Schengen regroupe 28 pays, dont des États membres de l’UE et 4 États associés : l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein. Le Royaume-Uni, l’Irlande, Chypre, la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie n’en font pas partie. Source : brochure de l’UE sur l’Espace Schengen
Pour en savoir plus :
Le rapport de France Stratégie est téléchargeable au lien suivant : http://www.strategie.gouv.fr/publications/consequences-economiques-dun-abandon-accords-de-schengen