« France-Turkménistan : la redynamisation de nos échanges passe par une visite présidentielle ». Ainsi formulée, dans l’objet d’un courrier daté du 6 décembre 2014 que la Lettre confidentielle a pu consulter, la demande a le mérite d’être claire et nette. Elle émane du président de la Chambre de commerce France-Turkménistan (CCFT), Gilles Rémy, par ailleurs président du groupe Cifal, un groupe français de services aux entreprises particulièrement implanté dans l’ex-Empire soviétique, et elle s’adresse au président François Hollande.
Cette lettre résume un message que martèle le président de la jeune chambre franco-turkmène depuis son lancement en novembre 2012 : la visite de François Mitterrand dans la jeune République ex-soviétique en 1994 avait permis d’enclencher de grands contrats de construction et dans le domaine spatial, dans un pays où, écrivait Gilles Rémy, « tout contrat est approuvé par le président qui intègre systématiquement la qualité et les enjeux de la relation d’État à État ». Mais depuis, l’élan de cette impulsion initiale se serait épuisé. Si Laurent Fabius s’est activé–visite en mars 2014, notamment, dans le cadre d’une tournée en Asie centrale- cela ne suffit pas. Et la vingtaine de grandes entreprises françaises qui constituent les membres de la CCFT – Bouygues, Vinci, Thales, Total, Airbus, Alstom, etc.- voient les entreprises turques, chinoises, mais aussi japonaises et coréennes leur rafler de beaux contrats.
« La Chambre se mobilise pour une visite présidentielle au premier semestre 2016 » confirme à la Lettre confidentielle le président de la CCFT, qui considère que le Turkménistan, petit pays d’un peu plus de 5 millions d’habitants gorgé de gaz, est l’exemple typique d’un pays émergent encore très étatisé où la diplomatie économique a un rôle majeur à jouer en matière de relations économiques et commerciales. L’an dernier, Matteo Renzi, le chef du gouvernement italien, a fait une escale de quelques heures à Achgabat au retour du G20 en Australie, en novembre 2014, et « en quelques heures, il a pu régler les problèmes des Italiens » affirme Gilles Rémy, notamment ceux du groupe ENI dans le gaz.
En outre, le pays présente des singularités intéressantes au plan géopolitique : détenteur des cinquièmes réserves gazières mondiales au bord de la Mer Caspienne, il a opté pour la neutralité au plan diplomatique, ce qui lui permet de bien s’entendre avec tout le monde alors qu’il possède une longue frontière avec l’Afghanistan. A cet égard, Gilles Rémy balaye les éventuelles réticences pour les régimes autoritaires d’Asie centrale qui pourraient freiner la diplomatie française dans cette zone : « on est plus libre au Turkménistan et dans les pays d’Asie centrale en général qu’au Qatar, le pays qui a le plus reçu le président français depuis 2012…Et je ne parle pas de l’Arabie Saoudite « .
10 milliards de contrats potentiels sur 5 ans
Gilles Rémy a, d’ailleurs, eu l’occasion de le dire en direct à François Hollande, lors d’un petit déjeuner organisé au cours du déplacement du président français au Kazakhstan, début décembre 2014. Le président de la CCFT aurait mis sur la table un potentiel de quelque 10 milliards d’euros de contrats sur 5 ans pour les entreprises françaises pour le cas où une visite présidentielle à Achgabat serait mise sur pied : projet de ville nouvelle de Vinci dans la province d’Ahal, liaisons ferroviaires –dont LGV de 7 km Avaza- Turkmenbachi-Achgabat-, et tramway pour la capitale qui intéressent Systra et Alstom, infrastructures énergétiques… « Pourquoi pas ?» aurait réagi à l’époque le président français, remettant ainsi le Turkménistan en meilleure position dans les radars de la diplomatie économique française.
Depuis, la CCFT, qui agit en coordination avec le Medef, remobilise ses relais à Paris pour maintenir la pression : Colette Langlade, président (PS) du groupe d’amitié France-Turkménistan à l’Assemblée nationale ; Yves Pozzo Di Borgo, sénateur de Paris (UDI) et président du groupe France-Asie centrale au Sénat ; implication active dans la visite à Paris fin juillet du vice-président du Cabinet des ministres turkmène, Rachid Meredov… « Cette visite pourrait se faire au retour d’un déplacement lointain, comme pour le Premier ministre italien l’an dernier, où dans le cadre d’une tournée en Asie centrale qui inclurait l’Ouzbékistan et le Kirghizistan » veut croire Gilles Rémy. Pour l’heure, si le principe de cette visite semble acquis, son organisation semble encore buter sur des problèmes pratiques, et d’agendas.
Christine Gilguy