La relance des relations avec la Russie et le renforcement de l’axe indopacifique font partie des nouveaux piliers stratégiques de la politique étrangère présentée par Emmanuel Macron aux ambassadeurs fin août. Non sans arrière-pensées en matière de diplomatie économique. Décryptage.
Les traditionnelles Rencontres économiques France-Russie se tiendront cette année le 16 octobre chez Business France. Cette manifestation, illustrant l’intensité des relations d’affaires bilatérales (7,7 milliards d’importations et 5,6 milliards d’exportations françaises en 2018), bénéficiera d’un environnement politique particulièrement porteur.
En effet, depuis un mois, Paris ne cesse d’annoncer une inflexion de sa politique étrangère vis-à-vis de Moscou. Les séquences de cette nouvelle stratégie se sont ainsi succédé, depuis l’accueil de Vladimir Poutine à Brégançon (19 août), avant le G7 à Biarritz (24-26 août), au déplacement de deux ministres majeurs, Jean-Yves Le Drian (Europe et affaires étrangères) et Florence Parly (Défense), à Moscou (8-9 septembre), pour relancer un dialogue interrompu depuis 2011, en passant par le discours d’Emmanuel Macron aux ambassadeurs, lors de la rituelle conférence de ces représentants de l’État à Paris (27-30 août).
E.Macron : la France, un « rôle » de « puissance d’équilibre »
Cette inflexion dans la stratégie nationale a plusieurs raisons. La plus importante a été développée par Emmanuel Macron, dans son discours aux ambassadeurs, le 27 août. La France n’étant pas une hyperpuissance à l’instar des États-Unis et de la Chine, son « rôle » ne peut être que celui d’une « puissance d’équilibre ».
En d’autres termes, la France est une puissance moyenne. Ce qui signifie qu’elle a quand même une puissance. Ainsi, le chef de l’État, chef des Armées, est loin de désarmer quand il dit aux ambassadeurs que la France « dispose de la première armée européenne par les investissements », et leur rappelle, comme si cela était nécessaire, qu’elle est « membre permanent du Conseil de sécurité » de l’ONU.
Reste que, face aux deux hyperpuissances, si l’on veut éviter que les deux géants choisissent l’Europe comme « le théâtre d’une lutte stratégique », il faut avancer dans la construction de l’Europe. Et dans l’esprit du président, s’il y a d’abord la construction européenne, il y a aussi la Russie.
Le président n’a pas manqué de citer l’initiative européenne d’intervention qu’il a portée et qui été a signée y compris, s’est-il félicité, par la Grande-Bretagne, en dépit du Brexit, et à laquelle d’autres membres de l’Union européenne (UE) veulent aujourd’hui se joindre. Il ne parle, certes pas d’une Europe qui irait jusqu’à Vladivostok, mais il le dit aux ambassadeurs : sa volonté est d’éviter que Moscou se rapproche de Pékin.
Faiblesse et force de la Russie
Comme Emmanuel Macron estime que ce ne serait pas l’intérêt de la Russie de se rapprocher de la Chine – ce n’est pas « la vocation de la Russie » d’être « l’alliée minoritaire de la Chine », a-t-il justifié – une fenêtre d’opportunités s’ouvrirait. « Cette grande puissance, a-t-il encore observé, qui investit beaucoup dans son armement, qui nous fait si peur, a le produit intérieur brut de l’Espagne, a une démographie déclinante et un pays vieillissant, et une tension politique croissante ».
En même temps, force est de constater que sur le plan de la politique extérieure, la Russie a fait un bond. Elle s’est ainsi renforcée ces dernières sur un ensemble de territoires de l’Europe (Ukraine…) à l’Afrique, en passant par le Moyen-Orient (Syrie…). Il faut en tenir compte. Et pour toutes ces raisons, il est temps de dialoguer avec Moscou.
Mais, en même temps ce ne peut être qu’un « dialogue franc et exigeant » – on pourrait dire viril, comme l’ont montré les piques échangées par Vladimir Poutine et Emmanuel Macron lors de leur rencontre à Brégançon. « Je n’ai aucune naïveté en voulant revisiter cette relation » avec la Russie, a ponctué le président français devant les ambassadeurs. Il faudra du temps. Ce temps devra être mis à profit pour sortir peu à peu de la « défiance » et d’une « tension profondément stérile » qui isole la Russie.
Hormis les différents sur les théâtres d’opération extérieurs, le président français rappelait que la Russie s’était engagée dans une guerre qui ne dit pas son nom : « attaques sur le plan cyber, déstabilisation démocratique ». C’est « un projet russe » qu’il a qualifié de « profondément conservateur » et « opposé » à celui de l’UE.
La visite des ministres de Jean-Yves Le Drian et de Florence Parly à Moscou avait pour but de « commencer à évoquer ce qui pourrait redevenir une architecture de sécurité et de confiance », confiait, à son tour, le patron du Quai d’Orsay aux ambassadeurs, le 29 août.
Lors de leur déplacement, le chef de la diplomatie française et sa collègue chargée de La Défense ont, semble-t-il, avancé avec leurs homologues, Sergueï Lavrov et Sergueï Choïgou, sur le dossier ukrainien. Après l’échange de 70 prisonniers entre Moscou et Kiev, une rencontre entre les présidents des deux pays concernés, Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky, pourrait se tenir avec Emmanuel Macron et Angela Merkel en septembre à Paris.
Développer un axe indopacifique complémentaire
Par ailleurs, le chef d’État français serait attendu en Russie en mai 2020 pour assister aux célébrations du 75e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. Tous ces gestes en direction de Moscou ne l’empêche pas de réitérer jour après jour sa foi dans la construction d’une « souveraineté européenne ».
Une grande entreprise qu’il n’a pas hésité à la mettre en avant lors de la visite de son homologue chinois, Xi Jinping, à Paris (24-26 mars). Étaient invités à se joindre à eux Angela Merkel, la chancelière allemande, et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Une belle preuve de son engagement dans une « stratégie européenne » et la construction d’un « partenariat euro-chinois du XXIe siècle ».
Il est clair que seul l’Hexagone ne peut pas peser face à la Chine et aux États-Unis, même si, rappelait Emmanuel Macron aux ambassadeurs, Washington est un allié traditionnel. Nuance : « nous devons être une puissance d’équilibre », mais « pas une puissance alignée » ; « les ennemis de nos amis ne sont pas forcément les nôtres », a -t-il précisé.
Comme l’Europe ne peut pas peser sans alliés, la France doit aller chercher des alliés. Outre l’Europe, il y a une autre région, l’Asie-Pacifique, où la France doit jouer son rôle de puissance d’équilibre. Face à la Chine toujours, face aux États-Unis aussi. Aux ambassadeurs, le chef de l’État a demandé de se « mobiliser pleinement pour construire une stratégie française dans l’axe indopacifique ». Un axe qu’il estime être « le complément » de sa « stratégie chinoise ». Et de citer « les partenaires » de cet axe : Inde, Australie, Japon, Indonésie, Singapour.
Ni la France, ni ces pays ne peuvent ignorer le géant chinois. L’inde craint l’encerclement par la Chine, alliée du Pakistan, via l’initiative One Belt One Road (route de la Soie) et de la politique du Collier de perles, visant à sécuriser les voies maritimes.
L’Australie, sous-continent isolé en Asie, craint l’expansionnisme du géant régional. Sa chance, c’est que si le marché de la Chine lui est indispensable, ses matières premières sont au moins aussi vitales à la Chine. Fruit d’un partenariat qui prend forme en Asie-Pacifique, Paris a vendu des Rafale à New Delhi et des sous-marins Barracuda à Canberra.
On n’en est pas là avec les trois autres, mais l’expansionnisme chinois fait peur à chacun. Rival, voire ennemi séculaire de la Chine, le Japon peut s’inquiéter d’être dépassé. Jouant à la fois sur les deux tableaux, la Chine, avec la route de la Soie, et l’Inde, notamment pour travailler en Afrique, l’archipel nippon peut être aussi un allié objectif de l’Hexagone. Reste que les relations avec l’Inde semblent plus faciles, aussi parce que Paris, l’hôte de la Cop 21, a lancé avec New Delhi une initiative internationale sur le climat, l’Alliance solaire.
S’assurer une « souveraineté technologique »
Si l’Afrique demeure une évidence pour la France, il faudra aussi que Paris y développe son aide au développement en Asie et y renforce ses investissements, notamment technologiques.
« Si nous voulons réussir sur la souveraineté technologique et celle des connexions, nous devons jouer sur l’axe indopacifique. La souveraineté des câbles sous-marins comme celle des technologies 5G et autres se construira par des alliances géographiques parce que vous avez là nombre d’États qui n’ont qu’une peur : avoir des câbles sous-marins contrôlés par les Chinois et avoir des technologies qui ne sont que chinoises », a alerté Emmanuel Macron.
« Notre vision de l’indopacifique est inclusive », soutenait, pour sa part, Jean-Yves Le Drian, en mentionnant les voyages du président et les siens dans la région : Inde, Japon, à venir en Australie. Pour cela, « trois piliers » doivent être soutenus : sécurité maritime, environnement et climat, développement d’infrastructures de qualité.
Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a clôturé la conférence des ambassadeurs, le 29 août. « Je pense, ajoutait-il, qu’il faut que nous puissions mettre en œuvre au cours de l’année qui s’ouvre la stratégie de la France dans l’axe indopacifique dans sa globalité, mais aussi dans sa diversité ». Ce serait ainsi la promesse d’une France qui bouge et n’avance pas masquée. Une France qui pèse avec une véritable stratégie.
François Pargny