Cet article a fait l’objet d’une Alerte diffusée dès le 3 mars à 17H50 aux abonnés de la Lettre confidentielle du Moci. Voir également dans la rubrique « Ça bouge » pour le suivi.
Enfin une solution française de financement des transactions commerciales avec l’Iran sur le point d’émerger ? « Il y a encore quelques étapes de gouvernance à passer et ensuite on sera en mesure d’annoncer quelque chose ». Malgré l’intérêt évident qu’un tel projet suscite auprès des milieux d’affaires français, venus en masse assister à la troisième édition du séminaire Bercy financements exports au ministère de l’Economie et des finances, Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance et président de sa nouvelle filiale Bpifrance Assurance export, n’a pas voulu en dire plus ce matin du 3 mars, lors de cette grand-messe du crédit export tricolore, sur les mécanismes qui pourraient être mis en place par la France pour palier le refus des grandes banques commerciales de financer les exportations sur ce pays par crainte de déroger aux règles de conformité américaines.
Mais cette annonce a fait souffler un petit vent d’optimisme parmi les nombreuses entreprises françaises qui prospectent l’Iran ou sont en attente d’une solution de financement sûre pour concrétiser des contrats. Car le dossier est brûlant puisque selon nos informations, une réunion du comité des risques de Bpifrance se tenait cette après-midi même sur ce dossier alors que le projet était en tête des priorités de Michel Sapin, pour son premier déplacement en Iran (à Téhéran et Ispahan) du 4 au 6 mars. Le ministre français de l’Economie et des finances pourrait faire une annonce dans le courant du week-end depuis Téhéran sur ce sujet.
Une dizaine de projets garantis sont bloqués
Le contexte est connu. Le refus des grandes banques commerciales françaises de s’engager sur le financement de transactions commerciales avec l’Iran freine, voire bloque un grand nombre de projets, même ceux que Coface DGP –aujourd’hui Bpifrance Assurance export- avait accepté de couvrir après sa réouverture en février 2016 : « nous avons une dizaine de projets pour lesquels nous avons accordé une garantie mais qui ne se font pas faute de financement », nous a confirmé Christophe Viprey directeur délégué de Bpifrance Assurance export. Parmi ces opérations, plusieurs concernent des contrats de vente de lignes de production pour l’industrie moyenne, a-t-il précisé, ainsi que le projet d’extension de l’aéroport de Téhéran porté par ADP…*
Les solutions temporaires passant par des banques françaises de petite taille non exposées aux Etats-Unis – Wormser et Delubac- ou par de rares banques étrangères ont donc trouvé leurs limites. Et les banques iraniennes qui ont relancé leurs activités en France, à l’instar de Tejarat, Melli et Saderat, peinent, jusqu’à présent, à concrétiser des partenariats de véritable correspondant banking avec leurs homologues françaises : « elles ne trouvent aucun interlocuteur bancaire de taille majeure pour opérer des transferts de fonds sur une base normalisée » soulignait un article du quotidien Les Echos paru le 2 mars 2017. Si la Banque Postale a ouvert un compte chez la banque iranienne Tejarat, c’est à la demande de la Banque de France, et pour des raisons techniques, selon le quotidien.
« Un sujet sur lequel nous sommes très mobilisés »
C’est « un sujet sur lequel nous sommes très mobilisés dans le cadre d’un dialogue avec les Etats-Unis » avait confirmé Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor, en ouverture de la matinée. Une mobilisation répondant à une forte attente des entreprises françaises : elle fait partie des trois chantiers prioritaires mis en avant par les conseillers du commerce extérieur (CCE) et le Medef dans un mémo remis fin janvier à Michel Sapin, Jean-Marc Ayrault et Matthias Fekl**.
Déblocage de prêts du Trésor, mise en place d’accord-cadre de crédit export par Bpifrance assurance export -comme il en existait il y a quelques années-, création d’un « véhicule financier étanche» pour financer ces opérations sans risquer de contrevenir aux règles américaines sur les embargos et sanctions, font partie des solutions sur lesquelles planchaient les équipes de la DG Trésor et de la banque publique ces dernières semaines. Le redouté OFAC (Office of Foreign Assets Control) américain a été sondé à plusieurs reprises pour s’assurer que les solutions envisagées sont en conformité avec les exigences américaines.
Un luxe de précaution lié au fait que le simple usage du dollar suffit à justifier, aux yeux de l’administration américaine, le déclenchement d’éventuelles procédures extraterritoriales de contrôle de conformité à l’encontre d’entités étrangères pour un simple soupçon de fraude. Même Bpifrance a découvert inopinément qu’elle était exposée via des traces, dans ses comptes, d’émissions de titres en dollars…
La visite de Michel Sapin en Iran intervient un mois après celle de son homologue des Affaires étrangères et du développement international, Jean-Marc Ayrault, avec une délégation de près de 60 entreprises***. Il doit rencontrer plusieurs hauts responsables iraniens : outre Mohamad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères, Ali Tayeb Nia, le ministre des Affaires économiques et des finances, mais aussi Abbas Ahmad Akhoundi, ministre des Routes et du développement urbain et Mohamad Nahavandian, secrétaire-général de la présidence de la République d’Iran et conseiller économique du président Hassan Rohani. »Les discussions porteront sur l’amélioration des canaux financiers entre les deux pays et l’assistance technique que la France peut apporter dans ce domaine » précise-t-on à Bercy. Le ministre doit aussi soutenir plusieurs projets français : tramway de Téhéran (Alstom), visite de l’usine automobile d’Iran Khodro (partenaire de Peugeot), rencontre du directeur de l’aéroport d’Ispahan dont Vinci doit mener l’extension …
Christine Gilguy
*France / Iran : comment Bercy cherche à rassurer les entreprises françaises
**Aides / Export : les CCE et le Medef remettent la pression sur Bercy
***France / Iran : J-M. Ayrault et le Medef ont continué leur mission, malgré les pressions américaines