Le déficit commercial de la France en 2018 devrait repasser sous les 60 milliards d’euros. Pour psychologique que soit le passage sous cette barre, il n’en demeure pas moins que c’est une bonne nouvelle, parce que, pour la deuxième année consécutive, les exportations croîtraient plus vite que les importations. A la veille de la présentation des chiffres du commerce extérieur 2018 par le secrétaire d’État à l’Europe et aux affaires étrangères Jean-Baptiste Lemoyne, aujourd’hui 7 février, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) – fort opportunément – a publié une forte intéressante note intitulée « l’étonnante atonie des exportations françaises » dans la dernière livraison de la Lettre du Cepii (voir fichier joint en pdf).
Cette « atonie » ne s’expliquerait pas vraiment pas les arguments évoqués traditionnellement que sont « la mauvaise structuration de spécialisation » de la France, « l’irréversibilité de l’industrialisation », « la compétitivité hors prix », mais seraient surtout la conséquence du « manque de rééquilibrage macroéconomique au sein de la zone euro » et de « l’importance de l’investissement à l’étranger des entreprises françaises ».
Le résultat est là : « le manque de dynamisme des exportations de biens et services s’est reflété par une lourde chute de la part de marché mondiale, passée de 5,8 % en 1999 à 3,5 % en 2017, une baisse de 40 % ». Pour sa part, l’Italie a connu une évolution similaire, alors que l’Allemagne et l’Espagne n’ont perdu que 10 % de part de marché durant la même période.
+ 60 % du CA à l’étranger des multinationales françaises
Pour le Cepii, le poids des entreprises multinationales est une spécificité française ». Ainsi, « le nombre d’employés et le chiffre d’affaires à l’étranger des multinationales françaises ont augmenté de près de 60 % entre 2007 et 2014, un rythme deux fois supérieur à celui des multinationales allemandes ou italiennes ».
Dans l’automobile, « la part localisée dans les pays à revenu moyen inférieur à celui de la France est passé de moins de 10 % au début des années 2000 à près de 50 % en 2016 ; dans le même temps, cette part n’a augmenté que de 15 à 25 % pour les marques allemandes. Les activités de conception sont cependant restées localisées en France pour l’essentiel ».
L’investissement à l’étranger a quand même une vertu, puisqu’au final la balance courante de la France approche l’équilibre. Ses revenus d’investissement nets s’élevaient à 47 milliards d’euros, soit 1,9 % du produit intérieur brut, un niveau supérieur à ceux de l’Allemagne (1,5 %), de l’Espagne et l’Italie (autour de 0,5 %).
Pour éviter que la croissance des investissements à l’étranger nourrisse la désindustrialisation dans l’Hexagone, le Cepii estime que le renforcement de l’attractivité de la France, tant pour la conception que la fabrication, doit être une priorité.
Les arguments réfutés par le Cepii
Dan sa Lettre, le Cepii démonte encore un par un les différents facteurs fréquemment évoqués pour expliquer l’atonie des exportations françaises :
1/-Les livraisons tricolores perdraient du terrain dans un nombre limité de secteurs ? Faux, répondent les experts, selon lesquels des pertes sont visibles dans toute l’industrie, sauf l’aéronautique, et notamment dans l’automobile. Dans ce secteur, la France est passé d’un excédent de 9 milliards en 1999 à un déficit de 14 milliards d’euros en 2017, pendant que l’Allemagne a accéléré d’un excédent de 47 à 134 milliards d’euros.
2/-La France aurait un problème de coût de travail ? Vrai jusqu’en 2011, mais ensuite il y a eu des efforts et un rééquilibrage en Europe. Aux exonérations de cotisations sociales dans l’Hexagone a correspondu l’instauration d’un salaire minimum outre-Rhin. « Le rattrapage par l’Allemagne depuis 2011 est limité », note, toutefois, le Cepii, et il a « principalement concerné les bas salaires, qui influent peu sur les exportations ».
3/-Les marchés d’exportation de la France seraient peu porteurs ? Non, réfutent les experts, même si la spécialisation tricolore est insuffisante et le haut de gamme est un atout de l’Allemagne. Il n’y a pas eu d’évolution notable au sein de la zone euro.
4/-La désindustrialisation créerait un effet d’hystérèse ? Rien ne permettrait d’affirmer que « la perte de substance industrielle » se traduirait par une perte de compétitivité prix qui persisterait « alors même que les coûts ont été rééquilibrés ».
5/-La France aurait aussi un problème de compétitivité hors prix ? Certes, « la forte qualité allemande » est un fait indéniable. Pour autant, « la persistance de l’argument reste à démontrer », estime le Cepii, qui distingue trois composantes de l’investissement hors construction :
– Les machines et équipements. La France serait certes devancée par l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, mais la raison principale en serait « la faible part du secteur manufacturier dans la valeur ajoutée en France ».
– L’immatériel. Dans ce domaine, « le très haut niveau relatif d’investissement de la France dans les logiciels et bases de données est difficile à interpréter étant donné les problèmes de mesure ».
– La recherche et développement. Avec un taux de 2,5 % du produit intérieur brut (PIB) consacré à la R & D, la France est presque au niveau de l’Allemagne et se situe bien au-delà de l’Espagne et l’Italie (1,5 % du PIB).
De quoi nourir le débat autour des forces et faiblesses du commerce extérieur français !
François Pargny