Les opportunités du continent africain font partie du « rêve » à 2030 de Pierre Gattaz : dans le discours d’ouverture en forme de testament des dernières universités du Medef, le 29 août, le patron des patrons, qui achève l’an prochain son mandat et ne se représente pas, à encore une fois présenté le développement international dans les pays émergents, et en particulier en Afrique, comme un des objectifs de la « conquête » que l’organisation doit mener. Déjà l’an dernier, la fédération patronale, dont le président a conduit personnellement ces deux dernières années, pour la première fois, plusieurs importantes délégations d’entreprises sur le continent, avait marqué ses universités d’été d’une importante touche africaine en conviant plusieurs délégations d’hommes d’affaires ouest-africains, dont le célèbre banquier nigérian Tony Elumelu.
Cette année, avec le groupe de l’Agence française de développement sponsor platinum de ce grand show patronal bien visible sous le barnum de l’espace « Be global », et son directeur général, Rémy Rioux, mouillant sa chemise pour dialoguer avec les entreprises françaises sur la stratégie de son groupe et lancer son «mois du secteur privé», l’Afrique était encore bien présente. D’autant plus que Agyp (Active Growth & Youth Program), l’association lancée l’an dernier par le Medef avant le Sommet de Bamako pour promouvoir les jeunes entrepreneurs africains, était également active sur le campus d’HEC.
Mais ce frémissement semble aussi sensible hors des sphères habituelles de la fédération patronale. Car parallèlement, lors de la semaine des ambassadeurs, les représentants des entreprises n’ont pas manqué à l’appel du « off » organisé par le Quai d’Orsay avec les ambassadeurs sur l’Afrique. Et, signe que l’intérêt pour ce continent commence à sérieusement s’ancrer dans les milieux économiques du territoire : l’Afrique est arrivée en tête, juste derrière l’Europe, des zones géographiques les plus demandées par les 420 dirigeants de PME ayant participé au « Speed dating » ambassadeur / entreprises du 28 août.
Les entreprises françaises auraient-elles enfin mis le continent et ses opportunités dans la ligne de mire de leurs radars, répondant ainsi plus promptement aux appels du pied de la diplomatie économique française, qui, depuis 2013, met le développement économique de l’Afrique et les opportunités de son émergence au premier rang de ses priorités ?
« C’est un mouvement de fond », selon Étienne Giros
Une bonne question à quelques semaines des Rencontres Africa 2017, dont les préparatifs mobilisent actuellement tout l’appareil de la diplomatie économique française et se dérouleront en parallèle dans trois capitales africaines différentes – Abidjan, Tunis, Nairobi – début octobre. Entre 250 et 300 entreprises françaises y sont annoncées par les organisateurs et 1 000 côté africain.
« Nous, on s’en félicite : au moment où un nouveau pouvoir s’installe en France, il faut placer ses pions », estime Étienne Giros, le président délégué du Conseil des investisseurs français en Afrique (CIAN), qui, membre du comité Afrique du Medef, a vu de l’intérieur, progressivement, monter la prise de conscience africaine au sein de cette fédération patronale. « C’est un mouvement de fond », ajoute-t-il.
Cet ancien cadre-dirigeant du groupe Bolloré s’en félicite d’autant plus que, jusqu’à présent, les efforts français pour reconquérir l’Afrique ne lui ont pas paru à la hauteur des enjeux, ce qu’il a largement expliqué dans une tribune publiée en juin dans Le Monde, juste après les élections, et titrée : Les investisseurs français en Afrique attendent d’Emmanuel Macron un vrai « virage africain ». Partisan d’une sorte de « grande coalition » pour accélérer sur le continent, il donne volontiers en exemple le Maroc, pays qui « montre une volonté politique extraordinaire d’aller en Afrique, et qui y va groupé », derrière le Roi.
Il y a eu des progrès, mais la France en est encore loin. D’autant plus qu’elle semble avoir du mal à pleinement exploiter les atouts légués par son histoire, avec les nombreux liens et réseaux, politiques, culturels, économiques, qui existent d’ores et déjà. « Paris doit devenir un véritable hub pour les grands investisseurs qui souhaitent aller en Afrique », explique encore Étienne Giros, citant en exemple la Chine, dont il reçoit régulièrement des délégations en quête de solutions et d’appuis français pour aller sur le continent.
Le grand dessein africain d’Emmanuel Macron se fait attendre
Pour l’heure, le grand dessein africain d’Emmanuel Macron se fait attendre côté français, avec un discours présidentiel délivré aux ambassadeurs sur l’Afrique marqué par les préoccupations migratoires et sécuritaires. « Nos entreprises, nos étudiants, nos chercheurs, nos artistes doivent s’y intéresser », avait certes exhorté le président français, confirmant au passage qu’il se rendrait « prochainement à Ouagadougou » et précisant que la stratégie à mettre en œuvre consiste « à créer un axe intégré entre l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe ». Mais c’est encore peu pour redonner un élan après le changement de pouvoir, alors que beaucoup d’observateurs s’interrogent sur l’avenir de certaines initiatives lancées sous le prédécesseur d’Emmanuel Macron, à l’instar de l’association AfricaFrance.
L’inspiration viendra-t-elle du tout nouveau Conseil présidentiel pour l’Afrique annoncé le 29 août et composé de onze membres plutôt jeunes, issus de divers horizons des sociétés civiles africaines et françaises, femmes et hommes ?
Si de bons connaisseurs de l’écosystème franco-africain estime qu’il s’agit assez largement « d’une opération de communication », dans la mesure où les membres de cette structure seront amenés à consulter régulièrement les sources d’expertises existantes sur l’Afrique, les mêmes saluent, toutefois, le côté nouveau de l’initiative, avec cette volonté de bousculer les cercles économiques et institutionnels franco-africains établis et de faire monter des visions neuves des relations franco-africaines. Pour sa part, Étienne Giros attend de voir : « Je ne suis pas contre, surtout s’ils adoubent nos messages », déclare-t-il non sans un brin d’humour.
Au-delà, il faudra toutefois que le nouveau président français, qui bénéficie pour le moment d’un indéniable mouvement de sympathie dans les milieux d’affaires par la dynamique de changement qu’il a enclenchée, clarifie ses ambitions africaines. « Nous sommes en attente, mais nous sommes en confiance », résume Étienne Giros. « Le moment est important et tous les acteurs ne doivent pas le rater ».
Christine Gilguy