« 2019 est l’année de l’automobile où on va accélérer », a déclaré Beligh Ben Soltane, le président de l’Autorité d’investissement tunisienne (TIA), en marge du Forum Invest in Tunisia (FIT) « The next opportunity » (20-21 juin), dont Le Moci était partenaire. Il s’agit d’ajouter un nouveau point fort aux moteurs traditionnels de l’économie tunisienne que sont le tourisme, encore convalescent, et l’export (aéronautique, textile, électronique).
L’automobile constitue déjà un secteur fort, avec quelque 260 acteurs proposant des composants dans les domaines électrique, électronique, la plasturgie, les logiciels, ou encore les véhicules électrique et connecté.
Le câblage, secteur phare de l’automobile
Quelques segments mériteraient, toutefois, d’être renforcés, en particulier « les secteurs du métal et la métallurgie, la carrosserie, la fonderie », a détaillé au Moci Zied Braham, chef du service Technologies avancées à la Fipa (Agence de promotion de l’investissement étranger). Ce sont là que sont les véritables lacunes, mais d’autres segments mériteraient aussi d’être renforcés, comme « les activités électriques et électroniques, le câblage, l’ingénierie ».
Le câblage électrique est ainsi un peu le poisson pilote de l’automobile tunisiennes cette année. En mai, alors que les exportations nationales sont gagné 3,4 %, le câblage a affiché le double, soit + 6,8 %, masquant au passage un ralentissement relatif de l’ensemble de l’automobile (+ 0,4 %). Souvent, s’agissant des atouts du pays du jasmin, on cite le coût du travail attractif et la qualité de la main d’œuvre. En fait, selon le ministre de l’Industrie et des PME, Slim Feriani, « la Tunisie n’est pas la destination la moins chère, mais la meilleure, car elle allie la qualité et le coût de travail attractif ».
Au-delà de la nuance apportée par ce ministre, ce que l’on oublie souvent est qu’une main d’œuvre non qualifiée est aussi abondante. Elle est disponible en raison du chômage national élevé (plus de 15 %), ce dont profite en particulier le câblage électrique, une activité, au demeurant, principalement confiée à un personnel féminin.
Les groupes japonais en pole position
Ainsi, lors du FIT, des responsables du groupe japonais Yazaki ont-ils apporté leur témoignage. Ce spécialiste international des systèmes de câbles, circuits électriques et de l’instrumentation possède deux unités de fabrication en Tunisie, l’une au nord à Bizerte, l’autre dans une région parmi les plus démunies à l’intérieur du pays, Gafsa, délaissée sous le régime de l’ex-président Ben Ali.
Après la révolution du jasmin qui a chassé ce chef d’État en janvier 2011, « nous avons maintenu notre force de travail, contribuant à la stabilité sociale et au développement régional », déclarait Jeroën Deen, vice-président, directeur général de Yazaki Tunisia & Paris, en présence de Slim Feriani, lors du FIT. Au total, l’équipementier japonais compterait 17 000 emplois dans le pays.
Déjà installé sur place, son compatriote Sumitomo finalise un autre projet de câblage pour servir de nouveaux clients. « La nouvelle usine et sa localisation devraient être annoncées dans les deux prochains mois », d’après Mohamed Jaouadi, responsable à la division de promotion des Technologies avancées à la Fipa. Implanté à Ingolstadt en Allemagne, Fujikura va aussi se lancer dans le câblage.
L’enjeu de la stabilité politique
Dans le câblage électrique, le fournisseur allemand Leoni, disposant déjà de 950 salariés en Tunisie, a aussi pour objectif 4 000 à 5 000 nouveaux emplois sur place.
Le moteur tunisien ne serait pas grippé, si l’on s’en tient aux fabricants déjà implantés. En revanche, de nombreux équipementiers hésitent encore à démarrer leur première activité dans un pays dont la situation politique n’apparaît pas complètement stabilisée.
Lors du FIT, le Premier ministre, Youssef Chahed, a rappelé que l’Etat avait été obligé de consacrer « plus de la moitié de son budget à la sécurité ». Avec quelque succès, puisque les touristes reviennent et que leur nombre devrait atteindre 9 millions cette année, selon le chef du gouvernement. Le double attentat perpétré à Tunis, le 27 juin, ruinera-t-il ces espoirs ? Le spectre du terrorisme demeure ainsi une réalité, alors que se profilent les prochaines élections législative (6 octobre) et présidentielle (10 novembre), ce qui ne facilite pas la tâche des promoteurs du Made in Tunisia.
Contrairement à Yazaki, le groupe Lear avait quitté la Tunisie, où il fabriquait des câbles, après la révolution du jasmin.
Cependant, l’espoir demeure. Lear a ainsi récemment annoncé son retour dans l’État maghrébin pour y produire des sièges. Une bonne nouvelle pour l’économie tunisienne et la montée en puissance de son secteur automobile. Chez Lear comme chez les français Faurecia et Zodiac, aussi actif dans l’aéronautique, on utilise des textiles techniques utilisés dans des composants automobiles.
Développer la recherche, monter en gamme
Dans tous les métiers modernes de la Tunisie, la montée en gamme est indispensable, face à la concurrence du Maroc, de l’Asie et de l’Europe de l’Est.
Présent depuis deux ans, l’ingénieriste français Actia y dispose d’une unité de production et d’un centre de recherche et développement du plus haut niveau, représentant au total 1 300 salariés », indiquait pendant le FIT Catherine Mallet, membre du directoire d’Actia.
Faurecia aurait l’intention aussi d’ouvrir un centre de recherche, l’allemand Kromberg & Schubert dispose déjà d’une telle structure. Une partie de l’activité de câblage de Leoni dans le gouvernorat de Sousse est dirigée vers le véhicule électrique. Le tunisien Coficab fabrique, pour sa part, des câbles e-mobilité pour le raccordement des batteries haute température et moteurs électriques et des systèmes d’entraînement et dispositifs de charge supplémentaires haute tension.
S’agissant des constructeurs, PSA s’est implanté au Maroc. « Alors pourquoi pas la Tunisie, mais attention à ne pas choisir la mauvaise technologie. La seule certitude que nous ayons est que les véhicules devront être moins polluants. S’agissant des technologies, je conseille donc aux Tunisiens des projets flexibles, pas trop structurants dans la voiture électrique et autonome », a rapporté au Moci, en marge du TIF, Claude Cham, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (Fiev).
Le dirigeant français a ainsi encouragé les autorités tunisiennes à se pencher sur « le segment prometteur » des véhicules utilitaires légers (VUL, sous 3,5 tonnes).
Quelle production pour les Français en Tunisie ?
PSA a, pour sa part, décidé d’établir sa première unité de montage de pickup hors de France dans la zone industrielle d’El Agba, à l’ouest de Tunis. Son objectif : « aborder le marché africain », précisait Zied Braham.
« La production est pour le moment très modeste, de l’ordre de 450 voitures par an pour le marché local, mais, avec un taux d’intégration locale de 45 %, le but est de couvrir le monde entier », a assuré Lamia Gharbi, secrétaire générale de la Tunisia Automotive Association (TAA), qui regroupe une cinquantaine de membres.
Pour assembler des voitures, PSA -qui avait pensé à la Tunisie en 2013- et Volkswagen ont préféré s’implanter au Maroc. Pour Lamia Gharbi, on n’attirera jamais un constructeur sans augmenter les avantages liés à une implantation. « Ce n’est pas possible, selon Zied Braham, on ne peut pas faire comme au Maroc, qui a un régime différent du nôtre ».
En Tunisie, a-t-il insisté auprès du Moci, tout le monde a droit aux mêmes avantages, sauf grand projet d’intérêt national ou création d’emplois à la clé ». C’est pourquoi l’option de la construction automobile ne serait pas celle qui est retenue – le marché local serait de toute façon insuffisant. Y serait préférée une autre voie : conforter la chaîne de valeur des fournisseurs dans le monde. Une autre façon d’accélérer.
De notre envoyé spécial à Tunis
François Pargny