La fin du charbon et la décarbonation des aides à l’export qu’appellent de leurs vœux certains députés sont en marche. Un rapport du ministère de l’Économie et des finances remis au Parlement début novembre recommande que la France inscrive dans la Loi de finances pour 2020 l’arrêt de l’octroi de garanties à l’export à des projets « charbon » et lance une réflexion sur le maintien ou non des aides à l’export pour le secteur des hydrocarbures liquides.
Ce rapport avait été demandé à Bercy par trois députés des commissions Finances et Affaires économiques de l’Assemblée nationale l’été dernier. Intitulé « Propositions de pistes de modulation des garanties publiques pour le commerce extérieur », le document de 24 pages a été remis le 1er novembre aux députés Bénédicte Peyrol (LREM, Allier), Marie Lebec (LREM, Yvelines) et Antony Cellier (LREM, Gard)*.
L’inscription de l’arrêt des garanties publiques export à des projets charbons dans la Loi de finances pour 2020 et une action internationale de la France dans ce domaine va être discutée dès la semaine prochaine au Parlement, dans le cadre de l’examen du PLF 2020.
Mettre fin au financement d’installations augmentant les émissions de CO2
Dans son introduction, le rapport précise qu’il entend « proposer un plan visant à traduire l’engagement prise par le Président de la République de s’abstenir de tout financement d’installations augmentant les émissions de CO2 à l’étranger, notamment via les garanties publiques au commerce extérieur ».
Le titre du rapport résume le caractère nuancé de ses propositions : autant il est tranché sur le charbon, où la France n’a plus, il est vrai, beaucoup d’intérêts économiques, autant il est plus nuancé et appelle à une « modulation » des réponses sur le secteur des hydrocarbures liquides, où opèrent encore de nombreuses PME et ETI (900 au total) dépendant fortement (à 90 %) des marchés export et employant 60 000 personnes en France.
En termes d’encours, l’exposition de Bpifrance assurance export sur des projets liés aux énergies fossiles est plutôt modeste : 2 % seulement des projets pris en garantie entre 2009 et 2019, avec 9,3 milliards d’euros (Md EUR) pour le seul dispositif d’assurance-crédit. C’est, toutefois, le double des encours sur l’énergie renouvelable (1 %), domaine dans lequel la France a une offre encore très modeste.
Les projets liés aux hydrocarbures constituent la plus grosse part des encours sur les énergies fossiles, avec une proportion importante de projet dits de ‘catégorie A’, les plus sensibles sur le plan environnemental. Ces derniers ont des « impacts potentiels significatifs » et ont requis une étude d’impact environnementale et sociale « approfondie ».
« Dans ce contexte, le présent rapport s’attache à tracer une voie pour utiliser au mieux ces garanties dans une perspective d’accompagnement de la transition énergétique, tant en termes de diminution de l’utilisation des énergies fossiles que de reconversion de la filière vers des marchés décarbonés ». Avec trois principes : principe d’ « efficacité », principe de « progressivité » et principe de « proportionnalité ».
Agir sur le plan international
Dans tous les cas, Bercy appelle la France à ne pas agir de façon isolée mais à rechercher une position internationale commune au niveau européen, qui pourrait être ensuite portée au niveau de l’OCDE, organisation au sein de laquelle s’est forgé l’Arrangement sur les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public.
Ce dernier ne contient pratiquement aucune clause concernant la compatibilité des projets liés aux énergies fossiles soutenus par des crédits à l’exportation publics avec les exigences environnementales et climatiques d’aujourd’hui, à l’exception d’un accord sectoriel sur les centrales thermiques supercritiques (plus de 500 MW) et sous-critiques (plus de 300 MW). Le chantier est donc vierge.
Cette démarche internationale est, selon Bercy, « une absolue nécessité », car la France seule aurait peu d’impact à l’échelle du monde, l’enjeu étant au contraire de réunir « une coalition européenne pour faire évoluer le cadre multilatéral des crédits à l’exportation ».
Charbon : fin des aides dès 2020
Pour le charbon, toutefois, la France peut prendre l’initiative.
Ainsi, lit-on dans la courte synthèse des propositions figurant en tête du rapport, « conformément aux orientations données par le président de la République, il est proposé que la France porte, conjointement avec d’autres pays alignés, une proposition d’arrêt du soutien des projets amont (recherche, extraction, production) liés au charbon ainsi que des centrales à charbon ».
Le rapport poursuit : « En fonction des débats lors du projet de loi de finances 2020 sur la base du présent rapport, la France fera des propositions début 2020 pour porter des réformes ambitieuses de l’Arrangement de l’OCDE sur le sujet ».
Et dans l’immédiat, « les garanties publiques pour le commerce extérieur ne seront plus accordées au financement de projets ayant pour objet la recherche, l’extraction et la production de charbon ».
Hydrocarbures: agir sur le plan international et accompagner la transition
Pour les projets liés aux hydrocarbures, où de nombreuses PME et ETI françaises dépendent encore fortement des marchés étrangers, le rapport propose donc un plan d’action plus « modulé » de manière à ne pas provoquer de catastrophe économique et sociale et à éviter une action solitaire de la France sans véritable impact sur les émissions mondiales de Co2.
Il renvoie donc à des réflexions à mener en 2020. Les activités amont mais aussi aval sont concernées, incluant les projets utilisant la fracturation hydraulique (gaz et pétrole de schiste) ou ayant recours au torchage. Différentes propositions de réflexion, à mener en 2020, sont détaillées.
La première concerne l’amélioration de la transparence des activités de Bpifrance assurance export. « Il est proposé de publier systématiquement sur le site Internet de Bpifrance assurance export une liste détaillée des projets liés aux hydrocarbures et présentant des effets environnementaux et sociaux potentiellement négatifs de niveau élevé ou moyen, soutenus ». Le rapport propose également « de réfléchir à une information spécifique à destination des commissions des finances sur les financements hydrocarbures en portefeuille » et indique qu’une « première version de cette communication pourrait être transmise dès le premier semestre 2020 ».
Deuxième proposition : « analyser la possibilité de ne plus accorder de garanties publiques (…) au financement de projets d’exploration d’hydrocarbures fossiles ainsi qu’aux projets utilisant des techniques d’extraction ou la production d’hydrocarbures fossiles ne respectant pas la loi n° 2017-1839 sur les techniques interdites sur le territoire national. » Une allusion à l’interdiction de l’exploitation des gaz de schistes par fracturation hydraulique en France.
Troisième proposition : « analyser la possibilité de ne plus accorder de garanties publiques (…) au financement de projets de production d’hydrocarbures fossiles liquides prévoyant un torchage de routine du gaz émis lors de l’exploitation du gisement et ne s’inscrivant pas dans l’initiative de la Banque mondiale Zero Routine Flaring (ZRF) by 2030 ».
Quatrième proposition : analyser « le calendrier et les modalités d’une perspective de cessation du soutien des projets d’exploitation de nouveaux gisements pétroliers, en prenant en compte une analyse des impacts associés ».
Enfin, dernière proposition : lancer une réflexion « sur la mise en place de normes de performance en matière d’émissions de gaz à effet de serre pour les centrales de production d’énergie, le respect desquelles conditionnerait l’octroi des garanties publiques pour le commerce extérieur ».
Le « verdissement » de la politique de soutien au commerce extérieur est donc engagé, mais il prendra du temps.
Christine Gilguy
*Le rapport est dans le document attaché à cet article.