Bercy prend la vague verte jusque dans ses outils de financements export et le fait savoir. Le gouvernement soutient l’exportation, mais cette « exportation doit être plus respectueuse de l’environnement » est le message principal que Bruno Le Maire entend adresser aux entreprises françaises et à leurs partenaires financiers ce 30 janvier, en ouverture du rendez-vous annuel Bercy France Export, qui réunit à Bercy les acteurs publics du soutien à l’exportation et les milieux d’affaires français.
Un message que le ministre de l’Économie et des finances martèle dans ses discours depuis le début de l’année, notamment lors de ses vœux le 8 janvier, et encore le 29 janvier, lors d’une conférence du Trésor sur « Croissance et verdissement de l’économie ».
Ce sujet sera en l’occurrence, avec le bilan du nouveau dispositif Team France Export, un thème phare de ce forum où sont attendus quelque 800 représentants des milieux d’affaires exportateurs, grandes entreprises, ETI et PME, et où interviendront également les secrétaires d’ État en charge de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, et du Commerce extérieur, Jean-Baptiste Lemoyne ainsi que les dirigeants des principaux organismes de soutien et d’accompagnement à l’exportation.
Une table ronde plénière lui sera consacrée, sur le thème « Faire du soutien public un levier de la transition énergétique ». Et les « pitch » d’entreprises seront assurés par des porteurs de projets « décarbonés », dont plusieurs des 20 lauréats de l’appel à projets « solutions innovantes pour la ville durable en Afrique », financés par une enveloppe de dons de 10 millions d’euros du Fasep, et dont les démonstrateurs seront présentés au prochain Sommet Afrique-France de Bordeaux, en juin prochain.
Jean-Christophe Guérin, directeur Manufacturing du groupe Michelin, présentera aussi son projet de production de caoutchouc naturel éco-durable en Indonésie, destinée à fabriquer les pneus des voitures électriques : il est l’un des premiers qui pourrait bénéficier de la toute nouvelle garantie de projet stratégique, lancée l’an dernier.
Les soutiens export réorientés sur les projets décarbonés
Pourquoi ce focus ? Cette orientation a une conséquence très concrète : toute la palette des garanties et financements export de Bpifrance Assurance Export et du Trésor vont être revus et réorientés sur des projets aussi décarbonés que possible. Premier secteur concerné : l’énergie.
Les premiers jalons concrets ont été posés à l’occasion de la Loi de finance pour 2020 (LF 2020), avec le soutien du Parlement : son article 201 prévoit d’exclure des garanties export les projets charbon (mines et production d’énergie), les projets utilisant la fracturation hydraulique ainsi que ceux utilisant le torchage de routine.
Cet article de la LF 2020 reprend les différentes propositions faite par Bercy dans un rapport remis au Parlement en novembre 2019 et qui constitue « une première » en Europe et dans le monde. Un deuxième grand pays exportateur aurait pris ce chemin récemment, le Royaume-Uni, dont le Premier ministre a annoncé courant janvier la fin des aides à l’exportation pour le charbon.
La DG Trésor planche sur un rapport complet
Ce n’est qu’un début : le Parlement a aussi demandé au gouvernement un rapport complet sur la réorientation des aides à l’exportation vers des projets décarbonés d’ici au 30 septembre 2020 qui pourrait préparer de nouvelles mesures législatives. Une priorité que Bruno Lemaire a fait sienne. Car c’est Bercy, et plus particulièrement la Direction générale du Trésor (DG Trésor), qui planche sur le sujet. « Nous allons y travailler tout au long du premier semestre, en organisant de nombreuses consultation » confirme-t-on à la DG Trésor.
Quatre axes thématiques ont été définis pour conduire ces travaux :
-mieux mesurer l’intensité carbone des financements export et définir des méthodologies pour y parvenir ;
-examiner les modalités et l’impact d’une suspension des financements de projets gaziers et pétroliers, qu’il s’agisse de l’impact en termes d’emplois en France ou de l’impact sur les marchés mondiaux de l’énergie, notamment dans les pays en développement fortement dépendant des revenus de tels projets ou ayant des besoins énergétique à satisfaire ;
-définir les seuils de performance énergétique et carbone pour évaluer les projets de centrales électriques ;
-étudier la mise en place d’outils spécifiques pour soutenir les entreprises du secteur des énergies renouvelables.
« On veut montrer l’appétit de l’Etat français pour prendre du risque sur des projets innovants »
Dans ce dernier domaine, le retard à rattraper est considérable : si l’encours des garanties export de Bpifrance Assurance Export sur le secteur pétrolier et gazier conventionnel est conséquent, estimé à 4 milliards d’euros sur un portefeuille total de près de 68 milliards d’euros, soit près 5,8 % du total, cette proportion tombe à 1 % pour les énergies renouvelables. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé les organisateurs de Bercy France Export à mettre en avant des porteurs de projets innovants lors de l’événement.
Déjà, des projets plus importants se profilent dans le pipeline. Exemple : la signature du contrat pour les deux premiers navires de croisière marchant au gaz naturel liquéfié (moins polluant que les moteurs au fioul lourd) par les Chantiers de Saint-Nazaire, à l’occasion de l’événement Choose France, n’aurait pas été possible sans la garantie export de l’État. « On fait savoir aux clients des Chantiers que s’ils sont prêts à acheter des navires moins polluants, nous leurs offrirons des conditions financières attractives », souligne-t-on à Bercy. Un signal confirmé par la signature par Bpifrance des Principes de Poseidon.
Idem dans l’éolien en mer où Bercy soutient les éoliennes Haliade-X de GE Belfort pour équiper deux nouveaux champs d’éoliennes offshore en Europe, des contrats de 1 à 2 milliards d’euros. « On pousse GE à localiser sa branche énergie renouvelable en France », ajoute-t-on.
Dans le solaire, enfin, Bercy soutient un gros projet de centrale en Argentine, porté par un groupement piloté par le Français Neon, un enjeu de 200 millions d’euros. « On veut montrer l’appétit de l’État français pour prendre du risque sur des projets innovants » souligne-t-on à Bercy. Petit à petit, espère-t-on, la part des projets décarbonés devrait ainsi grimper dans le portefeuille d’encours des garanties export de l’État français.
Christine Gilguy