L’Afrique a décidément le vent en poupe dans les milieux d’affaires français. Lors de son Conseil exécutif du 13 mars, le Mouvement des entreprises de France (Medef) a entériné trois « doctrines » : les deux premières, sur la mondialisation et l’Europe, ne sauraient surprendre à l’heure du protectionnisme américain et du Brexit. La troisième en revanche est plus inattendue, puisqu’elle concerne l’Afrique, un continent où la France pèse encore de tout son poids, surtout dans la zone franc. Encore plus surprenant, les « propositions et recommandations » – 33 exactement – de cette doctrine « pour une politique africaine active de la France », est adressée par le Medef et Medef International, bras armé pour l’action extérieure, aux différents candidats aux élections « pour les présidentielles et les législatives », précise-t-on au siège de l’organisation, avenue Bosquet.
« Une première » qui doit aider à prendre conscience que l’Afrique, dont le produit intérieur brut sera équivalent au PIB de la Chine en 2050, doit figurer parmi les grandes priorités des pouvoirs publics, au même titre que la formation, l’apprentissage, la transformation numérique, la fiscalité et donc aussi la mondialisation et l’Europe. Le silence sur l’Afrique pendant la campagne électorale en dit long sur le chemin qu’il reste à faire pour prendre conscience des enjeux, alors que la concurrence y devient féroce pour y grignoter le gâteau de la croissance économique (5 % par an) et des grands projets. Aujourd’hui, estime-t-on au Medef, toute la planète se penche sur l’Afrique, à commencer par les émergents – Chine, Turquie, Maroc… – mais également les proches voisins de la France – par exemple, Allemagne.
Une démarche qui doit associer l’Europe
Seul, semble-t-il, Emmanuel Macron aurait parlé « des enjeux de la coopération avec le continent » pendant la campagne électorale. On prêterait à François Fillon le projet d’une visite au sud de la Méditerranée, ce qui peut paraître assez logique – ne serait-ce que par son statut d’ancien Premier ministre mais aussi à travers les relations traditionnelles de son parti, Les Républicains (LR), en Afrique, il est celui, affirme-t-on au Medef, qui a « la meilleure vision, même s’il ne s’est pas exprimé sur le sujet ». Difficile d’assurer à ce stade que la doctrine Afrique du patronat a été lue par les différents candidats, mais « elle a été transmise à ses équipes », indique au Moci un proche du patron des patrons français.
Depuis novembre 2015, Pierre Gattaz n’a de cesse d’arpenter les terres africaines. A l’entendre, quelque 100 000 emplois dans l’Hexagone dépendraient des exportations françaises en Afrique. L’Europe n’est pas loin. Quand le Medef parle de transition numérique, il pense à la création d’une Silicon Valley européenne, de même, pour l’Afrique il s’agit de « renforcer durablement la relations économiques entre l’Europe et le continent », souligne l’interlocuteur de la LC. Pour autant, le secteur privé s’inquiète du dispositif public tricolore, « qui a eu toute sa légitimité et sa logique, s’empresse-t-on de préciser, mais qui tarde à se moderniser ». Aujourd’hui, ce qui compte n’est plus l’export, mais le partenariat. Un partenariat gagnant-gagnant. Un partenariat qui associe la diaspora. Un partenariat qui prépare aussi les futures entreprises africaines à opérer et à investir un jour en France.
Faire d’AfricaFrance la voix de la sphère publique
Le mot clé dans la voix du patronat est « coordination ». Le modèle comme souvent, et qui fait peur, est l’Allemagne. Et d’évoquer le plan Marshall promis par la chancelière Angela Merkel pour développer l’Afrique, lors d’une tournée au Mali, au Niger et en Éthiopie, en octobre 2016. « Quand on connaît la capacité des acteurs publics et privés outre-Rhin à coopérer, nous devons nous poser des questions », insiste le représentant du Medef, qui s’inquiète des « dissonances publiques », notamment entre les ministères de l’Économie et des Affaires étrangères, voire en leur sein, qui « nuisent aux affaires ». Dans sa doctrine Afrique, l’organisation patronale propose notamment de « rediriger l’association AfricaFrance comme un think tank promoteur des politiques publiques, en accompagnant la simplification de l’expression de la sphère publique française à l’égard des partenaires publics africains ». Traduction : « AfricaFrance a une grande légitimité dans la sphère publique et nous souhaiterions qu’elle puisse coordonner l’expression publique, la simplifier ».
Muscler la diplomatie et renforcer l’efficacité du dispositif public constitue ainsi le premier axe majeur de la doctrine Afrique, qui en comprend cinq autres : améliorer les synergies privé-public (on y trouve, en l’occurrence, la nécessité de « créer un dispositif interministériel opérationnel », fonctionnant avec les entreprises), faire de la France le principal hub mondial, donner une nouvelle impulsion (revoir la politique de risque, renforcer l’assistance technique…), financer plus efficacement le développement africain et développer les passerelles avec l’Afrique dans l’éducation, la formation et l’employabilité.
Financement : l’AFD ne suffit pas
« Nous voyons les Chinois fondre en Afrique et arracher de belles affaires en proposant le financement, ce que nous ne savons pas assez faire », déplore encore le responsable du Medef.
Tout en saluant la diplomatie économique mise en place par Laurent Fabius, ex-ministre des Affaires étrangères et du développement international, et « l’approche dynamique et continentale de l’Agence française de développement (AFD) avec laquelle on doit pouvoir faire des synergies », le Medef s’inquiète de la faiblesse tricolore en matière d’instruments financiers. Et ainsi de dresser toute une série de recommandations, allant la création de garanties ou fonds de dettes pour attirer les investissements des opérateurs publics et privés à celle de fonds pour capter l’épargne des migrants économiques, en passant par le lancement de fonds d’amorçage pour les startups françaises en Afrique.
François Pargny
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