Le 24 janvier, soit quatre jours seulement après le passage de témoin à la Maison Blanche, le 20 janvier, entre Barack Obama et Donald Trump, il était sans doute difficile aux conférenciers du traditionnel colloque de Coface sur les Risques pays 2017* d’apporter des réponses précises à toutes les questions qui se posent après la victoire surprise de l’imprévisible et populiste milliardaire aux élections présidentielles américaines. Parmi les mots clés entendus lors de la session consacrée à l’effet Trump : « disruptif », « incertain », « guerre commerciale »… Significatif du climat ambiant quelque peu anxiogène prévalant actuellement dans les milieux d’affaires européens et français.
« Quel sera le contenu du plan économique sur trois ans annoncé par le candidat Trump ? Quelle sera la politique étrangère suivie, quel est l’avenir du traité de partenariat trans-pacifique ? Quelles seront les règles de l’isolationnisme américain ? Quelles sont les perspectives pour l’Otan ? Comment se passera la lune de miel entre Donald Trump et Vladimir Poutine ? Quelle politique sera menée avec la Russie et dans quelle mesure les États-Unis vont-ils se désengager du Moyen-Orient ? Enfin, si les États-Unis ne sont plus le pivot en Asie, la Chine va-t-elle en profiter ? », a ainsi énuméré, en ouverture du colloque, le directeur général de Coface, Xavier Durand, avant de céder la parole à Donna Brazile, présidente intérimaire du Comité national démocrate (DNC), l’organe dirigeant du Parti démocrate aux États-Unis.
D. Brazile : 2017, « une année disruptive »
L’actuelle présidente du DNC, jusqu’aux élections internes de février prochain, n’a pas caché que s’amorçait « une transition politique très incertaine ». Qualifiant cette année de « disruptive », elle a repris à plusieurs reprises ce terme de « disruptif », marquant ainsi son inquiétude.
Ainsi, face une assistance très attentive dans la grande salle rénovée du Carrousel du Louvre, Donna Brazile a confié qu’elle avait « travaillé avec des présidents démocrates et républicains auparavant », mais, a-t-elle ajouté avec humour, suscitant du coup les rires de l’assistance, « le président Trump, c’est différent ». « Son Administration va apprendre à gouverner » et « j’espère qu’il présidera pas comme le candidat mais comme un homme d’État et qu’il pourra y avoir un dialogue », a encore souligné la Démocrate afro-américaine, qui a dirigé la campagne présidentielle d’Al Gore en 2000.
« Comme personne ne sait ce que Donald Trump va faire, préparons-nous. Et la bonne question est peut-être de nous demander ce que nous pouvons faire et ce que vont faire les Russes et les Chinois, quel sera l’engrenage par exemple pour une guerre commerciale, quels seront aussi les scénarios en Syrie », a conseillé l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine.
Pour cet expert de la diplomatie et de la géopolitique mondiales, il faut ainsi être offensif. En l’occurrence, sur le climat, si Washington veut « sortir de l’accord [Cop 21, NDLR], il faut dire, nous on continue ». S’agissant de l’accord sur le démantèlement nucléaire en Iran, c’est, certes, « plus compliqué, a admis Hubert Védrine, en raison du système absolument scandaleux unilatéral américain d’extraterritorialité, qui menace les autres ». Mais jusqu’où pourra-t-il aller « si les autres veulent tous l’appliquer ! ».
H. Védrine : « un statut pour l’Ukraine », qui pourrait être « la neutralité »
En particulier pour les Européens, il faut prendre « des positions claires ». Sur l’Iran, il faut, selon lui, « une réaction assez forte des Européens avec les émergents », mais « sans les Chinois, ce n’est possible ». En revanche, « avec les Chinois, on peut travailler en euro et en monnaie chinoise, ce serait exceptionnel, mais il est aussi possible que les Européens abandonnent face à l’énorme massue américaine », a encore soutenu l’ancien ministre, provoquant à ce moment un sourire contenu de Donna Brazile.
En ce qui concerne la « romance » entre Donald Trump et Vladimir Poutine, moquée par la représentante démocrate, Hubert Védrine a rappelé que « les républicain sont anti-russes, que les médias occidentaux sont aussi anti-russes et que donc il y a un risque de cafouillage » et que « si les Européens avaient une vraie politique, et pas seulement des sanctions qu’ils renouvellent et qui ne servent à rien, ils pourraient peser beaucoup ». Pour lui, « il y a pour eux une opportunité, on va avoir une sorte d’accord entre Trump et Poutine, puis çà va se gâter ». Les Européens doivent donc « en profiter pour définir un statut pour l’Ukraine » et ce statut « ne pourrait être celui de la neutralité, tout en ne lâchant rien formellement sur la Crimée » tant qu’il n’y a pas un règlement global, consacré par un autre référendum dans cette partie de l’Ukraine rattachée à la Russie en 2014.
Pour autant, « Poutine veut-il s’arrêter à la Crimée ? » s’est interrogé Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (Ifri), qui a pointé « la fragilité de l’Otan vis-à-vis des pays baltes et le rapprochement de la Turquie, membre de l’Otan, de la position russe en Syrie ». En outre, a-t-il encore questionné, « les Européens, le veulent-ils, le calendrier 2017 n’étant pas favorable avec des élections allemandes et françaises ? ». Pour Donna Brazile, Donald Trump « n’est pas un homme politique, mais un businessman » et « le cauchemar pourrait devenir vrai quand on parle des relations avec Vladimir Poutine ».
N. Kwan : « la Chine peut combler le vide si les États-Unis se retirent du TTP »
Quant au traité de partenariat trans-pacifique (Trans-Pacific Partnership/TPP), qui réunit douze pays, des États-Unis au Japon en passant par le Vietnam, son rejet par le chef d’État américain qui ne veut pas qu’il soit ratifié par le Congrès paraît incompréhensible à beaucoup. Car la signature de ce décret intervient trois jours à peine après son investiture, au moment où Donald Trump pourrait décider des mesures protectionnistes à l’encontre du pays de Xi Jinping, le numéro chinois qui s’est présenté comme le grand timonier du libre-échange, lors du récent forum international de Davos.
« La Chine peut combler le vide si les États-Unis se retirent du TTP », a assuré Nicholas Kwan, directeur de Recherche au Hong Kong Trade Development Council (HKTDC), ajoutant que cette décision n’était « pas vraiment une surprise » et que la bonne question à poser était « que va-t-il faire maintenant ? ». Car, d’après lui, « mener une guerre commerciale, avec pour slogan American First, c’est difficile ». « Le Japon, a-t-il rappelé, a déjà procédé de la sorte dans le passé, notamment pour mettre en avant la production nippone automobile, ça n’a pas marché », ce qui montre que « pratiquer l’isolationnisme, c’est difficile ».
Hubert Védrine ne croit pas que le chef d’État américain pratiquera « un vrai isolationnisme ». Il faut, selon lui, « plutôt s’attendre à une phase d’égoïsme bilatéral ».
François Pargny
* Lire sur notre site : Risques pays / Export : le risque politique mondial au plus haut en 2017, selon Coface
Pour prolonger :
– UE / Commerce : Theresa May et Donald Trump dans le viseur de Bruxelles
– États-Unis / Commerce : le protectionnisme de Donald Trump, vu par Ludovic Subran (Euler Hermes)
– UE / Etats-Unis : les 28 en quête d’une posture face à l’agressivité verbale de Donald Trump