C’est de façon très prudente que la question du taux de change de la livre égyptienne (EGP)* a été abordée par les participants français aux Rencontres économiques du monde arabe, consacrées au développement des échanges économiques entre la France et l’Égypte, le 1e décembre à l’Institut du monde arabe (Ima). L’écart entre les importations et les exportations ne faisant que croître, sur fonds de baisse des cours du baril de brut, l’Égypte voit ses réserves en devises baisser à vue d’œil, ce qui freine les investissements, notamment étrangers, au moment où la croissance économique reprend et la dernière phase du changement politique en Égypte s’est achevé, avec les élections parlementaires, les 1er et 2 décembre.
« Laisser filer la monnaie pour relancer les exportations, vous n’y pensez »
Tarek Kabil, le ministre du Commerce et de l’industrie, a ainsi parlé d’un comité de réflexion « avec des instances internationales comme la Banque mondiale », mais des changements n’interviendraient pas avant plusieurs mois. Selon lui, les réserves de change s’élèvent à ce jour à 16 milliards dollars.
« C’est rien, réagissait un expert financier dans les couloirs de l’Ima, c’est moins de trois mois d’importations ». « Alors, il est vrai que dans le passé, cette durée a été de moins de trois semaines. Et donc, les Égyptiens ne se disent pas inquiets, ce qui n’est évidemment pas le cas des investisseurs », a renchéri un bon connaisseur de l’ancien pays des pharaons. « Laisser filer la monnaie pour relancer les exportations, vous n’y pensez, rétorquent les autorités du Caire. C’est trop risqué, estiment-elles, parce que l’inflation augmenterait et çà pourrait entraîner des troubles sociaux », exposait encore un observateur économique.
A Paris, Tarek Kabil a fait aussi valoir le remplacement comme gouverneur de la Banque centrale d’Égypte (BCE) d’Hisham Ramez, le 27 novembre, par l’ancien président du conseil d’administration de National Bank of Egypt (NBE) Tarek Amer. Les mesures visant à stopper l’érosion des réserves de change, qui s’élevaient à 36 milliards de dollars à la chute du raïs Hosni Moubarak en 2011, et la décision de l’ancien gouverneur d’un plafonnement des dépôts en dollars dans les banques lui avaient valu l’inimitié des banquiers, des importateurs et des investisseurs qui plaidaient pour une forte dévaluation de la monnaie dans l’espoir d’attirer davantage de capitaux étrangers. « Hisham Ramez convoquait les banquiers, leur imposait ses décisions sans les écouter, avec brutalité. Pour autant, son successeur appartient à la même école de pensée, qui est conservatrice, et il n’est pas du tout certain qu’il desserrera la politique de change », expliquait encore le premier interlocuteur de la Lettre confidentielle.
« Le passé socialiste de l’Égypte demeure et l’État se mêle de tout », confiait, de son côté, un homme d’affaires. Devant le vice-ministre au ministère égyptien de l’Investissement, Yasser Elnaggar, le directeur général de Mobinil (Orange), Yves Gauthier, a regretté que le monopole public dans la téléphonie fixe de Telecom Egypt, détenu à 70 % par l’État, ait « des répercussions néfastes en matière de compétitivité et de tarifs ». Ce que n’a pas osé dire ce dirigeant, c’est que la compagnie égyptienne possède un réseau de fibres optiques, alors que les trois opérateurs de téléphonie mobile, Vodafone (35 millions d’abonnés), Orange (33 millions), Etisalat, n’ont pas le droit de se lancer dans la fibre optique, ce qui se traduit par un réseau Internet peu performant.
Samih Sawiris critique l’interventionnisme économique de l’État
Le seul à ne pas mettre de gants pendant la réunion de l’Ima a été Samih Sawiris, PDG d’Orascom Development. Dans le tourisme, secteur frappé de plein fouet par le terrorisme, « l’État n’a pas tiré d’enseignements du passé et réagit toujours trop tard » et, dans le logement, « l’État veut faire aussi et donc la concurrence n’est pas claire, mais on ne sait pas toujours ce qu’il veut dans les faits », a lâché le cadet des fils de la famille la plus riche d’Egypte, devant une assistance jusqu’ici charmée par les témoignages sur les bonnes relations politiques et économiques entre Paris et Le Caire et la volonté de réformer du président Abdel Fattah al-Sissi. Et Samih Sawiris d’enfoncer le clou en affirmant que certains pays africains, comme le Sénégal et l’Éthiopie, « changeaient d’attitude, ne voulaient plus tout faire par l’État », avant de conclure : « j’aimerais bien les mêmes conditions en Égypte ».
De telles critiques, aussi directes, sont peu communes dans un pays tenu d’une main de fer depuis la reprise en main des militaires et l’élection du chef de l’État actuel. « Mais la famille Sawiris pèse un quart de l’économie égyptienne et Naguib Sawiris, milliardaire et frère aîné de Samih, a fondé le parti libéral et laïc des Égyptiens libres qui va sans doute peser de tout son poids dans le nouveau Parlement », assurait à la LC un fin connaisseur de la vie politique en Égypte.
« Dans les quinze jours qui viennent, le Parlement devrait être en place », a déclaré, de son côté, l’ambassadeur de France au Caire, André Parant, qui a également annoncé la visite du président Hollande en Égypte, sans doute en avril (d’après nos informations, ce serait plutôt deuxième quinzaine). « Conformément à la nouvelle Constitution, le gouvernement va démissionner, mais, selon un résident français au Caire, ses principaux membres seront renouvelés, notamment le Premier ministre et le ministre des Finances, Chérif Ismaïl et Hany Qadri Damian ». Selon lui, « le gouvernement est efficace et le président Sissi donne confiance, car il n’est pas corrompu comme son prédécesseur ».
Par ailleurs, le régime va bénéficier assez rapidement d’une manne financière extraordinaire, avec la découverte par la compagnie Eni, à une centaine de kilomètres des côtes de l’Égypte, du champ géant de Zohr, d’environ 33 trillons de pieds cubes, dont « 75 % peuvent être extraits », s’est félicité Tarek Kabil. « Les usines de gaz naturel liquéfié existent déjà. Manquent juste les branchements et donc le pays doit pouvoir parvenir à l’indépendance énergétique », précisait un économiste. Une bonne nouvelle pour le président égyptien confronté à une demande exponentielle d’énergie avec le lancement de grandes infrastructures et la démographie galopante du pays.
François Pargny
*1 USD = 7,8 EGP; 1 EUR = 8,32 EGP au 2/12/2015
Pour prolonger :
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