Les négociations du ‘Brexit’ viennent à peine de commencer entre Londres et Bruxelles, mais le sujet préoccupe depuis des mois tout autant les opérateurs économiques que les administrations douanières des Vingt-huit, d’un côté les UK Customs, et de l’autre les 27 administrations douanières des États membres de l’Union européenne (UE). Car les aspects douaniers, bien que politiquement moins sensibles et médiatisés que la question de la circulation des personnes ou le sort des résidents de chaque bloc, sont loin d’être négligeables, mais n’ont pas encore été abordés au plan technique. Ce qui laisse planer beaucoup d’incertitudes sur les perspectives des échanges commerciaux entre les deux rives de la Manche, comme a pu le constater le Moci lors d’une conférence organisée par le club Odasce* pour ses membres sur les dossiers douaniers européens d’actualité.
L’OMC, avant le référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union du 23 juin 2016, avait estimé à 7,2 milliards d’euros environ le coût pour les exportations britanniques d’un rétablissement des barrières douanières avec l’Union aux normes de cette Organisation. Mais sur les aspects techniques et réglementaires, quelques complications sont aussi à craindre sans que l’on sache exactement de quoi il retournera. « Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que la première étape des négociations ne va pas concerner les aspects douaniers », a indiqué Jean-Michel Thillier, chef de service et adjoint au directeur général des Douanes aux membres du Club Odasce.
Forte augmentation des déclarations à prévoir
Lorsque les aspects douaniers viendront sur la table des négociations, ce qui sera inévitable, ils pourraient être éclatés entre plusieurs sujets comme les aspects sécuritaires, qui ont pris une importance considérable dans l’évolution des procédures douanières depuis les attentats du 11 septembre 2001, et le commerce. Mais nul ne sait à ce stade si les droits de douane aux frontières seront rétablis de part et d’autre et à quel niveau, ni les accords de coopération en matière de procédures douanières qui seront trouvés entre les deux blocs.
Seule certitude : « Hard Brexit ou pas, il faudra déposer des déclarations », a précisé non sans humour Jean-Michel Thillier. L’enjeu n’est pas négligeable d’un point de vue administratif : rien que pour la France, on s’attend à un quintuplement du nombre de déclarations à traiter pour les échanges entre les deux pays, de 3 à 15 millions.
Les interrogations sont nombreuses : les Britanniques se rallieront-ils au système de transit communautaire, ce qui permettrait aux 15 millions de camions qui traversent chaque année le tunnel sous la Manche avec le document de transit unique de continuer à opérer sans complication ? Et quid de l’ICS (Import control system), le système électronique de contrôle des importations qui se met en place dans toute l’UE, un des piliers du nouveau code des douanes de l’Union : les Britannique et les Européens chercheront-ils à établir un accord de réciprocité qui permettra à ce système de fonctionner, malgré le ‘Brexit’, des deux côtés de la Manche ?
Du prix de transfert à la valeur en douane…
Cerise sur le gâteau, et pas des moindres : la question des prix de transfert, dont l’impact fiscal, et donc financier, est une donnée stratégique pour les multinationales. « La où vous aviez des prix de transfert, vous aurez désormais une valeur en douane », a remarqué Jean-Michel Thillier.
Autant dire que les supply chain d’un certain nombre de filières industrielles très intégrées au niveau européen, comme l’automobile ou l’aéronautique, devront être remises à plat sur ces aspects fiscaux et douaniers. De quoi donner des sueurs froides aux directeurs administratifs et financiers d’un certain nombre d’entreprises qui devront attendre le printemps 2019, échéance de la fin des négociations du ‘Brexit’, pour savoir à quoi s’en tenir.
Car, si l’on s’en tient à la ligne défendue par le commissaire Michel Barnier, en charge des négociations**, Bruxelles refusant de négocier tout nouvel accord en parallèle au ‘Brexit’, ce n’est qu’à cette échéance que l’on saura avec certitude si le Royaume-Uni et ses partenaires souhaiteront négocier un nouvel accord de libre-échange. Beau casse-tête en perspective…
Christine Gilguy
* Contact Odasce : www.odasce.asso.fr
**Relire à cet égard les articles sur ce sujet dans les précédentes éditions de la Lettre confidentielle, notamment : UE / Royaume-Uni : les Européens font bloc pour cadrer les négociations sur le ‘Brexit’