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Le 14 juin prochain, Matthias Fekl présidera le deuxième forum des PME à l’international *, en présence de 450 acteurs publics et privés de l’export (entrepreneurs, opérateurs régionaux…). Une occasion pour Jean-Marc Ayrault, le patron du Quai d’Orsay, qui doit y intervenir, de faire enfin son premier vrai discours de politique générale en matière de diplomatie économique ? Cette manifestation que le secrétaire d’État au Commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger avait lancée en 2015 sous Laurent Fabius, vise en effet à présenter aux PME et ETI (entreprises à taille intermédiaire) françaises le dispositif de soutien et d’accompagnement à l’international et ses évolutions. Cette année, l’accent sera mis sur le portage de PME par les groupes et les formes innovantes d’export, comme les plateformes Internet collaboratives et l’e-export.
Au ministère des Affaires étrangères et du développement international (Maedi), on laisse entendre que le ministre des Affaires étrangères et du développement international, que l’on a peu entendu sur ce sujet jusqu’à présent, saisira effectivement cette occasion pour s’exprimer sur la diplomatie économique, ce concept de « mise sous tension de tous les outils à disposition de l’État : ambassadeurs, Services économiques, Business France, Atout France, Expertise France, Campus France, Agence française de développement », lancé par son prédécesseur Laurent Fabius lors de la conférence des ambassadeurs en août 2012. « Il n’a pas eu l’occasion jusqu’à présent de le faire, mais je vous assure que l’ancien Premier ministre est très actif, fait-on valoir au Quai d’Orsay. Il se comporte comme un voyageur de commerce et vient de présider un déjeuner sur la ville durable ou encore plus récemment une réunion sur Hong Kong, consacrée aux quatre cinquièmes à la diplomatie économique ».
Des formations à la diplomatie économique
Les outils de la diplomatie économique ont, de fait, tous été maintenus par Jean-Marc Ayrault. Parmi eux, la Direction des entreprises, de l’économie internationale et de la promotion du tourisme (DEEI), une création de Laurent Fabius que dirige Agnès Romatet-Espagne. Et aussi les nouvelles missions dans ce domaine des ambassadeurs, qui, précise-t-on aujourd’hui au Quai d’Orsay, consacre « 40 % de leur temps à la diplomatie économique ».
D’après une étude conjointe DEEI / Trésor mesurant l’impact concret de la diplomatie économique, en 2015 quelque 225 contrats de plus de dix millions d’euros dans 121 pays ont été conclus « avec une implication des ambassadeurs et des Services économiques ». Ils auraient rapporté 2,25 milliards d’euros, contre seulement 1,94 milliard l’année précédente (2,1 milliards à périmètre constant, la couverture géographique ayant pu être élargie en 2015). A titre d’exemple, un contrat de dix millions d’euros remporté par Sogea Satom pour une station d’eau potable en Côte d’Ivoire.
D’après l’étude Quai d’Orsay-Bercy, les ambassadeurs ont mené l’an dernier 15 000 entretiens avec des entreprises et 10 000 actions de promotion. Ils auraient aussi contribué à 730 évolutions favorables en matière d’accès aux marchés, par exemple, l’allègement des procédures douanières au Canada et la levée d’interdictions auprès des autorités sanitaires de Biélorussie. Géographiquement, le niveau de performance est le plus élevé en Asie, peut-être parce que le profil des ambassadeurs français y est plus adapté, mais aussi parce que cette région est la plus dynamique de la planète au plan économique.
Le réseau diplomatique se professionnalise, dans ce domaine. Aujourd’hui, dans les formations que reçoivent les ambassadeurs débutants, figurent toujours un module sur la diplomatie économique. Les plus anciens bénéficient également de formations spécialisées. Ils ont été ainsi 60 fin 2015-début 2016 à avoir été sensibilisés au monde de l’investissement. Des épreuves d’économie ont encore été introduites pour certains concours comme celui de secrétaire des Affaires étrangères.
Leur mission comporte aussi un volet attractivité du territoire national. D’après l’étude interministérielle, 4 400 à 4 500 investisseurs étrangers auraient ainsi été rencontrés en tête à tête ou dans des opérations groupées et près de 1 200 interventions dans la presse ou colloques auraient été organisés. C’est ainsi que l’an dernier 1 173 projets auraient été identifiés, dont 953 seraient aboutis. A ces chiffres s’ajouteraient 2 300 opérations de promotion et de communication portant sur l’attractivité de la France en matière touristique.
L’AFD, plus tournée vers les entreprises françaises
Bercy et le Quai d’Orsay se sont aussi intéressés à l’impact de l’Agence française de développement (AFD) sur les activités des sociétés de l’Hexagone. L’AFD fait en effet l’objet de critiques récurrentes de la part des milieux d’affaires français, qui estiment que l’établissement public ne les favorise pas assez dans les projets qu’elle finance. Critique à laquelle elle a toujours répondu par le fait que sa mission était le développement des pays pauvres, pas les affaires des sociétés tricolores.
L’étude Bercy-Quai d’Orsay montrerait que l’irruption de la diplomatie économique change aujourd’hui la donne. Ainsi, les sociétés de l’Hexagone auraient récolté pour 607 millions d’euros de contrats sur des financements de l’agence en 2015 et leur part de marché (PDM) serait ainsi passée de 55 % en 2014 à 66 % en 2015. Les concurrentes indiennes viendraient en deuxième position, avec une PDM de 7 %. Pour favoriser les entreprises de son pays, l’AFD devrait « aller plus loin » dans l’établissement de « normes sociales et environnementales exigeantes » pour les fournisseurs des projets qu’elle finance, explique-t-on à la LC, ce qui permettrait d’écarter certains compétiteurs, en particulier chinois, peu regardants en ces matières.
L’évolution de l’AFD est suivie de très près tant à Bercy qu’au Quai d’Orsay. Selon l’ancienne directrice générale de l’agence, Anne Paugam, durant son mandat de trois ans (3 juin 2013-1er juin 2016), les sociétés tricolores auraient bénéficié de quatre milliards d’euros de marchés. Si « les négociations de Laurent Fabius ont été difficiles avec elle », reconnaît-on au Quai d’Orsay, les transformations sont là, avec une plus grande prise en compte des secteurs d’excellence de la France en fonction des pays.
Le successeur d’Anne Paugam sera sans doute encore plus ouvert. Nommé en 2014 par Laurent Fabius, secrétaire général adjoint du Maedi, pour fluidifier les relations du ministère avec Bercy, Rémy Rioux était en effet chargé de la diplomatie économique jusqu’à son arrivée le 2 juin à la tête de l’AFD. Le nouveau directeur général voudrait notamment que les milieux d’affaires de l’Hexagone soient forces de proposition, en présentant eux-mêmes des projets de développement à sa nouvelle maison.
Parmi ses priorités, Rémy Rioux a inscrit le rapprochement avec le ministère de la Défense. Et très clairement, on peut y voir une volonté de rapprocher développement, diplomatie économique, intérêt des entreprises françaises. Le MAEDI possède une cellule de crise et de soutien qui s’est dotée elle-même d’un groupe « adapté à la diplomatie économique », souligne-t-on au Quai d’Orsay. Dans chaque zone de crise ou post-crise, il est demandé à ce groupe d’établir une feuille de route précise de façon à intervenir le plus en amont possible sur les programmes et les projets économiques. L’objectif est double : éviter que les entreprises françaises en soient exclues et constituer des listes de ces sociétés pour porter une offre adaptée.
En l’occurrence, dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), le secteur privé français aurait remporté 78 millions d’euros de contrats. Pour sa part, Rémy Rioux a coutume de dire que quand les militaires quittent un champ d’opération, ils ne veulent surtout pas y revenir. L’AFD peut donc intervenir, à la fois pour y réaliser son métier de développeur et pour appuyer l’offre tricolore.
François Pargny
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