L’annonce de la suspension de l’octroi de crédits export au groupe Airbus par les trois agences britannique, française et allemande est une mauvaise nouvelle pour l’avionneur européen, qui va devoir, au moins pour un temps, se passer des garanties publiques pour fournir des financements à ses clients qui le demandent. Au prix d’une plus grande prise de risque à l’export ? Quoiqu’il en soit, comme le livre à la Lettre confidentielle Jean-Claude Asfour, spécialiste des risques export, le constructeur aéronautique européen subit aussi le contrecoup d’un durcissement des règles anti-corruption à l’export outre-Manche, sur lequel ont du s’aligner la France et l’Allemagne.
D’abord les faits : c’est Airbus qui, suite à un audit interne, a signalé début avril à l’UK Export Finance (UKEF), l’agence de crédit export britannique, « certaines inexactitudes » dans ses dossiers de demande de crédit export, inexactitudes qui concernent, selon lesechos.fr, les « consultants étrangers » intervenus dans l’obtention des contrats*. L’agence britannique a donc transmis le dossier au Serious Fraud Office (SFO), l’administration chargée de lutter contre la corruption outre-Manche, tout en suspendant ses engagements face à ce soupçon de fraude. Ce qui a entraîné la suspension de ceux de ses collègues allemand et français, Euler Hermes et Coface.
Pourquoi une telle décision qui a pris de court, semble-t-il, ses homologues européens ? « Suite à plusieurs scandales de corruption, en particulier dans le secteur des ventes d’armement, UKEF (également appelée ECGD) a renforcé ses procédures d’accès aux garanties publiques », explique Jean-Claude Asfour. « Dans la ‘Supplier credit application form ‘, le demandeur doit maintenant fournir, entre autres, de façon très détaillée, les montants prévus en terme de commissions, les coordonnées précises du ou des agents, les pays dans lesquels les commissions seront versées, les services rendus par le ou les agents… »
Selon ce spécialiste qui collabore à plusieurs guides du Moci sur les risques à l’export**, « a priori, les agences de crédit export française et allemande, étaient, à ce jour, moins exigeantes, se contentant de demander éventuellement de telles informations au coup par coup. ». Le SFO doit encore faire savoir s’il ouvre une enquête ou non.
En attendant, poursuit Jean-Claude Asfour, « comme de nombreuses sources l’ont mentionné ces derniers jours, Airbus a fait les frais de ce durcissement Outre-manche, voyant l’agence britannique lui refuser sa garantie sur des ventes essentiellement destinées aux Émirats et à différents pays asiatiques ». Pour lui, même si les garanties publiques ne couvrent qu’une petite partie de ses ventes (6 % selon Airbus, cité par diverses sources de presse), cette situation va obliger l’avionneur à « trouver d’autres solutions que le crédit acheteur , à savoir le ‘vendor financing’, en clair, le financement sur sa propre trésorerie… »
Toujours selon cet expert, dans le contexte des scandales fiscaux internationaux à répétition, l’affaire Airbus n’est qu’un début. « Ce qui nous interpelle particulièrement dans cette affaire, estime-t-il ainsi, c’est qu’avec le scandale des ‘Panama papers’, on peut raisonnablement penser que l’OCDE, et par suite l’ensemble des assureurs-crédits intervenant dans le domaine des garanties publiques, vont vraisemblablement durcir les conditions d’accès à leurs produits. On peut ainsi sans prendre trop de risques de se tromper annoncer hélas le grand retour du crédit fournisseur à la grande exportation ».
Sollicitée par la LC, la Direction des garanties publiques de Coface reste muette. A suivre très attentivement….
Christine Gilguy
**Notamment : La gestion du risque client à l’international, prochaine parution le 21 avril 2016; L’Atlas des risques pays/Paiement, recouvrement, logistique et douane dans 110 pays, 7ème édition 2015 (prochaine parution : juin 2016)