Tous les acteurs économiques en Côte d’Ivoire sont unanimes – entreprises, groupements professionnels, institutions internationales : l’information publique ne circule pas ou mal, ce qui «énerve, agace, fatigue, mais auquel il faut bien s’adapter », selon un opérateur économique, qui vient d’être informé « par la bande d’un contrat public remporté par un de ses clients, alors que l’annonce n’a pas été faite officiellement ».
« Nous ne sommes pas au courant du deuxième plan national de développement », lâche encore à la Lettre confidentielle du Moci le patron d’une puissante organisation professionnelle, un peu dépité, alors même que des copies du document circulent. Le plus étrange est que le plan national de développement (PND) 2016-2020, succédant au PND 2010-2015, a été approuvé par le Parlement. De passage à Abidjan, Le Moci est lui-même parvenu à se procurer une copie du document. Mais si les interlocuteurs du gouvernement de Daniel Kablan Duncan se sentent souvent « perdus », évoquant le «flou » des décisions, c’est que seules les orientations stratégiques sont définies et que le plan d’action reste à établir. Ce qui devrait, toutefois, être fait rapidement, car, les 16 et 17 mai, un groupe consultatif des bailleurs de fonds doit être réuni à Paris.
Le représentant d’une instance internationale qualifie volontiers d’ « ambitieux » ce deuxième PND, visant à permettre à la Côte d’Ivoire de parvenir à l’émergence en 2020, terme du second et donc dernier mandat présidentiel d’Alassane Ouattara. Cette initiative prévoit notamment des mesures structurelles, des objectifs d’amélioration du climat des affaires, de transformation industrielle et de mise à niveau des entreprises, le développement d’une stratégie nationale de l’exportation et la participation du secteur privé à hauteur de 60 % de l’investissement global.
« Une corruption généralisée à tous les niveaux »
En particulier, la Côte d’Ivoire, 147e sur 189 nations classées par la Banque mondiale dans son rapport sur la Facilité d’affaires (Doing Business) 2015 et 115e sur 175 États recensés par Transparency International dans son rapport sur la perception de la corruption 2014, annonce sa volonté de descendre en 2018 respectivement aux 50e et 80e rangs et en 2020 aux 25e et 50e places.
« Des objectifs louables », ironise-t-on dans le secteur privé. « La corruption est généralisée à tous les niveaux », entend-on ainsi souvent à Abidjan, une expression à laquelle on souscrit également chez un bailleur de fonds pour qui l’inquiétude première réside dans le fait que « tout cet argent – beaucoup d’argent ! – ne pourrait jamais parvenir aux populations qui en ont besoin». Pourtant, dans le PND, la baisse de la pauvreté est annoncée comme une priorité…
Des priorités comme l’agriculture et les infrastructures
Parmi les orientations stratégiques du plan, figurent toutes les grandes filières agricoles et notamment le cacao, dont la Côte d’Ivoire veut « conserver le leadership mondial en termes de parts de marché (40 %) avec 100 % en qualité de production et 90 % d’exportation en divers produits issus de la 1ère transformation ». L’objectif final est «d’atteindre un taux de première transformation de 50% (contre 30 % actuellement) dans un premier temps puis de 100% à terme, de développer une industrie chocolatière de niche orientée vers les pays émergents et les produits de pâtisserie et de développer une offre touristique autour des plantations de cacao couplée à une offre balnéaire notamment dans l’ouest du pays ».
Autre priorité, les infrastructures. D’après le PND, « les infrastructures de transport essentiels pour l’industrie incluront l’amélioration de la profondeur du tirant d’eau du port d’Abidjan, la création d’un parc de stationnement pour les véhicules de l’hinterland, la dématérialisation totale et simplification des procédures d’import et d’export, le développement d’un port sec à Ferké, le repositionnement stratégique et l’extension du port de San-Pedro sur les mines, l’agro-industrie, le transhipment et les conteneurs hinterland avec une réfection de l’axe Abidjan-San-Pedro, la rénovation et l’extension de l’infrastructure ferroviaire (axe Abidjan-Ouagadougou, rail de l’Ouest)».
Dans l’énergie, « l’ambition de la Côte d’Ivoire est de réaliser d’ici à 2020 l’électrification de toutes les localités de plus de 500 habitants ». D’où la puissance énergétique qui devrait atteindre les 4 000 MW installés. La stratégie repose ainsi « sur la montée en puissance dans le mix énergétique, de l’hydraulique, dont la part doit passer de 30 % à 45 % d’ici 2020, auxquels s’ajouteront 5 % d’autres sources renouvelables (essentiellement le solaire). Ce qui permettra de réduire la part du thermique à 50 % et, ainsi, d’alléger la facture de gaz ».
En outre, « l’accroissement des infrastructures de production d’énergie électrique exigera de l’État la construction de plusieurs centrales hydroélectriques, 7 au total au cours des 5 prochaines années, notamment celles de Soubré, de Grigbo-Popoli, de Lougah. A cela, il faudra ajouter la construction de micro-centrales hydroélectriques. En complément aux centrales hydroélectriques et le développement de centrales thermiques à cycle combiné et à charbon ».
Enfin, « l’accroissement des infrastructures de production d’énergie électrique demandera également, le développement des énergies renouvelables. Pour ce faire, l’État s’investira à évaluer le gisement national des sources d’énergies renouvelables et à mettre en place, un système d’informations géographiques (SIG) destiné aux énergies renouvelables. Ensuite, il sera nécessaire de réaliser des projets de centrales solaires photovoltaïques et à biomasse cacao ».
S’agissant de la « construction » de routes, les tronçons d’un grand nombre de localités du pays sont mentionnés dans le PND : Boundiali-Tengréla-Frontière Mali, Tengréla-M’Bengué-Niellé, Odienné – Samatiguila-Frontière Mali et bretelles de Kaniasso et de Kouban, Odienné-Gbéléban-Frontière Guinée, Niamasso-Sirana-Frontière Guinée, Samatiguila – Minignan – Frontière Guinée, Tafiré (N’Golodougou) –Kong, Ferké-Nassian-Bouna (Varalé) et Nassian-Kong, Danane – Frontière du Libéria, Bouna -Doropo – Frontière Burkina et Bondoukou – Frontière Ghana.
Les trois scenarii du PND
De nombreux autres domaines sont traités : formation professionnelle, santé, infrastructures portuaires, télécommunications,tourisme, etc. Dans le pire des scenarii, appelé l’Éléphant au repos (des troubles liés au processus électoral pourraient entamer la confiance des investisseurs ce qui limiterait les investissements prévus au cours des prochaines années), « la croissance devrait atteindre 6,6 % en 2016 puis ralentir à 5 % en moyenne sur la période 2017-2020 ».
Dans un scénario médian, intitulé l’Éléphant qui s’essouffle (les performances économiques récentes et la stabilité sociale maintiendront la dynamique de l’économie. Cependant après des années de très forte croissance, la progression du PIB devrait connaitre un ralentissement marqué), « le taux de croissance serait de 8,2 %l en 2016 et 6,9 % en moyenne entre 2017 et 2020 ».
Enfin, le scénario de l’Éléphant émergent (les investissements massifs prévus couplés à la stabilité sociopolitique retrouvée devraient permettre de maintenir la croissance à un niveau relativement élevé), « le taux de croissance du PIB passerait de 10,1 % en 2016, à 9,1% en 2017 puis à 8,6 % en 2018 et à 8,2 % en 2019 et 8,0 % en 2020. La réalisation du PND exigerait alors un investissement de l’ordre de 29 239 milliards de FCFA, dont environ 11 785,1 milliards par le secteur public.
De notre envoyé spécial à Abidjan
François Pargny