Lors d’un séminaire * sur « les classes moyennes au-delà du buzz », le 25 janvier à l’Institut français des relations internationales (Ifri), la Côte d’Ivoire (23 millions d’habitants) a été mise à l’honneur. Si parler de la classe moyenne paraît naturel en France, ce n’est pas le cas en Côte d’Ivoire. « Le Plan national de développement (PND) 2016-2020 pour l’émergence ne compte qu’une fois l’expression classe moyenne », a remarqué Jean-Philippe Berrou, économiste et professeur à Sciences Po Bordeaux, coauteur d’une étude sur « le réveil des classes moyennes ivoiriennes » (décembre 2017) réalisée pour l’Agence française de développement (AFD) et l’École nationale supérieure de statistiques et d’économie appliquée (Ensea).
Un haut niveau d’inégalité
Car malgré une croissance économique moyenne de 8 % depuis 2011, la pauvreté (moins de 2 dollars par habitant et par jour) s’est accrue, passant de 10 % dans les années 80 à 48 %. En cause, la crise économique et la guerre civile notamment, mais aussi la redistribution des revenus qui aboutit « à un haut niveau d’inégalité », selon le chercheur français.
Représentée par des ménages de 3 à 4 personnes disposant de 4 à 20 dollars par jour, la classe moyenne, elle, constituerait une part de 26,4 %, soit 6,2 millions d’habitants, dont 5 millions d’étrangers. Cette catégorie de foyers est hétérogène et, pour autant, ces différents ménages formant la classe moyenne présentent toutes des points communs. Ils sont urbains, sans être uniquement concentrés à Abidjan, puisqu’on les retrouve à 60 % dans les villes de l’intérieur et à 16 % dans la capitale économique.
Autre élément de convergence : plus de 48 % des chefs de ménage n’ont pas bénéficié d’éducation.
80 % échappent à la fiscalité
A noter aussi que quelques mesures publiques ont été favorables à la classe moyenne, comme le doublement du SMIC et des programmes publics de logement. Mais ce qui frappe surtout, c’est la fragilité de cette classe moyenne : 79 % des ménages pourraient retomber dans la pauvreté en cas de coup dur. Ces foyers sont représentés par :
1/ Les agriculteurs (25 % de la classe moyenne). Ils souffrent de déclassement social et se sentent vulnérables.
2/ Les retraités et inactifs (15 %). Particulièrement vulnérables, ils disposent de faibles ressources et dépendent des transferts
3/ Les informels (39 %). Ce sont des jeunes issus de pays étrangers, d’où l’importance des transferts de revenus. « Les conditions de vie sont précaires, en termes de salaire, habillement, éducation, mais il y a là un véritable esprit d’entreprise », selon Jean-Philippe Berrou.
Selon lui, c’est plus par l’informel que par le salariat que la classe moyenne augmente, ce qui explique « le peu de conscience politique ». Les informels sont individualistes, ce qui explique aussi, a souligné Jean-Philippe Berrou, que « quand dans la loi de finances 2018 une hausse de la fiscalité a été présentée, le secteur formel se soit inquiété, 80 % de l’activité échappant à la fiscalité ».
21 % de la classe moyenne stable
Répondant à une question du Moci sur la capacité de la classe moyenne et des jeunes à réagir aux décisions politiques, le chercheur français a répondu que les seules revendications étaient corporatives, les militaires, les fonctionnaires, mais que la classe moyenne ne s’exprimait pas. Avec une exception récente, cependant, le « mouvement des 200 », qui a réagi à la hausse des prix de l’électricité sur les réseaux sociaux avant de s’étendre aux mauvaises conditions de vie et à la corruption.
Deux autres sous-groupes se répartissent les 21 % de la classe moyenne restants et constituent une couche stable :
1/ Les cadres et dirigeants du secteur public (17 %). Ils sont éduqués et bénéficient d’un revenu élevé
2/ Les professions intermédiaires privées. Puisque l’informel est développé, il est normal que le formel ne le soit pas, ce qui surprend quand on pense à l’essor de l’industrie, des investissements directs étrangers et de la distribution. L’exemple de CFAO, qui a ouvert un centre commercial au centre d’Abidjan avec Carrefour, vient tout de suite à l’esprit. « Ceux qui y viennent pour acheter sont des riches et de la classe moyenne supérieure », affirmait Jean-Philippe Berrou. Mais pour CFAO, ajoutait-il, « c’est sans doute un positionnement à dix ans ».
François Pargny
* Lire également dans la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : Afrique / Consommation : la classe moyenne, mythes et réalités
Pour prolonger :
–France / Afrique : Europe, jeunesse, diplomatie économique, trois priorités d’E. Macron
–Afrique / Innovation : Bpifrance accompagne cinq startups en Afrique du Sud et en Côte d’Ivoire
–Enquête : Afrique de l’Ouest, un grand marché à petit pas
Et aussi
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Dossier Spécial maritime, avec un focus sur le Maroc
Guide business Côte d’Ivoire 2016