Pour la première fois depuis des années, le sommet des chefs d’Etats et de gouvernements, qui s’est tenu à Bruxelles les 22 et 23 juin, n’a pas servi à éteindre l’incendie d’une nouvelle crise, mais plutôt à identifier les domaines susceptibles de relancer le projet européen. L’arrivée d’Emmanuel Macron, dont la participation à cette grand-messe était également une première, n’est pas étranger à ce vent nouveau qui souffle sur l’Europe.
« Nous sommes à un tournant », s’est félicité Donald Tusk, le président du Conseil européen, soulignant qu’aujourd’hui l’Union européenne (UE) n’est plus considérée comme un problème, mais plutôt comme la solution aux nombreux défis qui se posent sur la scène internationale. Et c’est pour cette raison que l’ancien Premier ministre polonais avait souhaité placer ce sommet – comme l’avait fait Emmanuel Macron pendant sa campagne – sous le signe d’une Europe qui protège ses citoyens.
Changement de doctrine sur la défense commerciale
Outre des mesures pour renforcer la sécurité et poser les premières briques d’une Europe de la défense, les Vint-huit ont consacré une session de travail, le 23 juin, au commerce avec au cœur cette question : comment mieux protéger les citoyens des excès de la globalisation ? « On constate un véritable changement de doctrine au sein même de la Commission », nous a confié un diplomate français.
Après des décennies d’ouverture sur le monde et de défense du libre-échange, l’exécutif à Bruxelles met désormais l’accent sur le concept de réciprocité pour mieux armer l’UE contre les pratiques déloyales de certains de ses partenaires commerciaux, en particulier de la Chine. Résultat ? Le dossier pour moderniser les instruments de défense commercial (IDC) des Vingt-huit, bloqué pendant près de trois ans au conseil, est aujourd’hui sur le point d’être adopté (voir dans La LC aujourd’hui*).
Dans ses conclusions adoptées à l’issue du sommet, le Conseil rappelle la nécessité de parvenir rapidement à un accord entre les co-législateurs et « demande à la Commission de veiller à son application rapide et effective par des mesures d’exécution non législatives visant à rendre les pratiques commerciales et les instruments de défense commerciale de l’UE plus réactifs et plus efficaces et de proposer, le cas échéant, des mesures complémentaires ». Une victoire pour la France et pour Emmanuel Macron qui, en tant que ministre de l’Économie, avait déjà plaidé en ce sens auprès de ses homologues européens.
Blocage persistant sur les autres sujets
Mais si le nouveau président français a remporté une première manche, il n’a toujours pas gagné la guerre face aux États membres les plus libéraux, essentiellement au nord et à l’est du bloc. « Sur le commerce, Macron a perdu la bataille », titrait ainsi le très influent site d’information politico.eu. Sa proposition d’adopter un Buy European Act, pendant du décret Buy American en application depuis des années aux États-Unis, ne figurait même pas au menu des discussions. Et son plan pour renforcer les prérogatives de l’UE afin de mieux contrôler, voire de bloquer, les investissements des pays tiers dans les secteurs stratégiques, a été largement édulcoré dans les conclusions finales.
Également soutenu pas l’Italie et l’Allemagne, cette dernière initiative vise à empêcher des entreprises d’État chinoises de mettre la main sur des entreprises européennes dans le secteur des hautes technologies. « Nous voulons changer l’Europe pour qu’elle soit plus résistante face à la mondialisation », a plaidé Angela Merkel pendant la conférence de presse commune avec Emmanuel Macron. Ce dernier a, quant à lui, souligné que l’Europe restait favorable à l’ouverture des marchés, mais qu’elle ne devait pas pour autant pêcher « par naïveté ».
Peine perdue : les appels de Paris et Berlin se sont heurtés aux réticences d’une majorité des autres capitales. « Nous ne voulons pas d’une Europe protectionniste », a rétorqué Beata Szydlo, la Première ministre polonaise. Motif invoqué par les opposants au projet : il risque d’envoyer un mauvais signal aux investisseurs. Ils estiment, en outre, que la protection des investissements relève des compétences des États membres et non de la Commission.
Mais le dossier reste néanmoins sur la table des discussions. « Le Conseil reviendra sur cette question au cours d’une de ses futures réunions », lit-on dans les conclusions finales du sommet. La Commission devra donc continuer à plancher sur le sujet. Selon certaines sources au sein de l’exécutif, Jean-Claude Juncker pourrait préciser la marche à suivre lors de son discours annuel sur l’État de l’Union, prévu en septembre prochain.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Lire dans la Lettre confidentielle : Commerce / UE : les Eurodéputés veulent durcir les règles antidumping