Président d’un pays high tech, Donald Trump aura remis à l’honneur la vieille industrie, en annonçant le 8 mars l’application unilatérale de droits de douane de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium à l’entrée sur le marché américain. Prise au nom de la sécurité nationale, cette décision américaine a choqué par sa brutalité. Résultat : trois mois après cette décision unilatérale, pas moins de dix grands acteurs du commerce mondial sont engagés dans des consultations demandées à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et sept partenaires commerciaux majeurs des États-Unis ont parallèlement annoncé des mesures de rétorsion à la hauteur du préjudice subi. Il s’agit de l’Inde, de l’Union européenne (UE), du Canada, du Mexique et du Japon. Si l’on ajoute le bras-de-fer engagé à la même période par l’administration Trump avec la Chine, on mesure à quel point la menace d’une guerre commerciale opposant les États-Unis aux principales puissances commerciales de la planète n’a jamais été aussi élevée.
D’après nos calculs, l’Inde, l’UE, le Canada, le Mexique et le Japon, qui sont décidés à riposter avec des contre-mesures, pèsent 45 % des exportations et 44,7 % des importations mondiales de marchandises, selon les statistiques 2017 de l’OMC. En incluant la Chine, ces proportions grimpent à respectivement 58,1 % et 55,2 %. Comparativement, les États-Unis représentent 8,9 % des exportations et 13,7 % des importations mondiales. La Russie a, pour sa part, exporté aux États-Unis pour 9,4 milliards d’euros en 2017 et importé en retour pour 11,1 milliards d’euros de biens.
Seuls 4 pays ont accepté de négocier des exemptions permanentes
Pour l’heure, le bilan du rapport de force engagé par le président américain est plutôt maigre : seuls l’Argentine, l’Australie, le Brésil et la Corée du Sud ont accepté de négocier avec les États-Unis des exemptions permanentes à des conditions restrictives.
S’agissant de l’acier, par exemple, la Corée, l’Argentine et le Brésil ont accepté des contingents annuels calculés selon le poids des produits. Pour certains produits en aluminium, ces trois pays ont accepté des droits de douane à l’importation additionnels. Ainsi, Séoul a accepté un quota annuel d’exportations vers les États-Unis de 2,68 millions de tonnes d’acier, soit 70 % de la moyenne de ses exportations annuelles sur les trois dernières années.
Plusieurs consultations ouvertes à l’OMC
Ailleurs, c’est un bras de fer qui s’annonce. Si l’UE et les partenaires des États-Unis dans l’Association nord-américaine de libre-échange (Alena), soit le Mexique et le Canada, ont eu droit à un répit jusqu’au 1er juin, les hostilités sont maintenant bien engagées entre Donald Trump et les grands dirigeants du monde.
Preuve que la guerre n’est pas loin ou est déjà engagée,Chine (26 mars), UE (16 avril), Russie (19 avril), Inde (18 mai), Canada (1er juin), Mexique (5 juin), Norvège (12 juin) ont présenté « une demande de consultation » à l’OMC. En clair, toutes ces nations ont demandé d’ouvrir des consultations avec les États-Unis, tout en déposant plainte auprès de l’institution internationale basée à Genève.
Dans la pratique, une « demande de consultation » prend la forme d’une communication adressée à la délégation des États-Unis et à la présidente de l’Organe de règlement des différents (ORD) de l’OMC, dans laquelle le plaignant informe qu’il conteste les mesures d’ajustement américaines. Les dates indiquées ci-dessus sont celles de la notification à l’OMC : à partir de là s’ouvre une période de 60 jours de discussions qui, si elles échouent à faire émerger un accord, peuvent être suivies de la constitution d’un panel.
Multiples demandes de participation aux consultations à l’OMC
Par ailleurs, des pays tiers ont souhaité être associés à ces discussions, soit, le plus souvent, parce que leurs intérêts sont aussi en jeu, soit par souci d’information. Les demandes affluent à l’OMC depuis début juin comme en témoigne la liste que nous avons dressée :
-Dans le cas des taxes sur l’acier et l’aluminium, la Russie et la Chine, les premières le 31 mai, se sont appuyées sur la demande de consultation de l’UE pour demander à participer aux discussions. Motif invoqué : le poids important de leurs livraisons aux États-Unis. La Russie, notamment, a justifié sa demande de façon très précise : deuxième fournisseur de produits aluminium aux États-Unis (625 792 tonnes entre janvier et octobre 2017), elle serait aussi son cinquième fournisseur d’acier (3,124 millions de tonnes en 2017).
-Bangkok a aussi invoqué « l’intérêt commercial substantiel » de la Thaïlande pour demander, le 1er juin, à participer aussi aux consultations demandées par l’Inde. Mais Bangkok comme Pékin demanderont plus tard à se greffer encore à d’autres discussions.
-Le 4 juin, Hong Hong a également adressé une demande de participation aux consultations entre les États-Unis et l’Inde.
-Le 8 juin à son tour, le Japon a notifié à l’OMC sa demande pour assister aux discussions entre le Mexique et les États-Unis.
-Le 13 juin, la Thaïlande et le 14 juin la Chine, ont demandé à être associés à cette même demande d’ouverture de consultations notifiée par Mexico. La Thaïlande a demandé, le même jour, d’être présente également aux échanges entre l’UE et les États-Unis.
-La Turquie a, également le 14 juin, demandé à participer aux consultations demandées par l’UE.
– Le 15 juin enfin, le Canada a demandé à suivre les débats entre ses deux partenaires de l’Alena, États-Unis et Mexique. Pour le Canada, les États-Unis sont son premier débouché extérieur, avec des exportations d’acier de 7,2 milliards de dollars et un montant encore supérieur pour l’aluminium, soit 9,4 milliards en 2017.
Des menaces de rétorsion devenues légion
En dehors des démarches engagées à l’OMC, les mesures de rétorsion commerciales qui menacent les États-Unis sont devenues légion. Pays par pays, bloc par bloc, le nombre de produits d’exportation américains menacés par des mesures de rétorsion commence à peser lourd :
– Alena : en pleine renégociation de cette accord de libre échange, les relations entre les États membres de cette organisation sont tendues.
Le 5 juin, Mexico a fait savoir officiellement qu’il n’était pas question de baisser pavillon et qu’en conséquence, fruits (raisin, pomme), fromage et porc américains allaient faire les frais des décisions unilatérales des États-Unis. Une liste a même été publiée, avec des droits de douane variant entre 15 et 25 %.
Si le Mexique vise essentiellement le secteur agricole de son voisin du nord, le Canada a, pour sa part, opté pour un éventail beaucoup plus large de biens. Le gouvernement a annoncé vouloir taxer, à compter du 1er juillet, 125 produits, représentant la valeur des exportations canadiennes visées par Washington, soit 16,6 milliards de dollars canadiens. A côté de l’agroalimentaire (café, pizza, chocolat, whisky…), taxé à hauteur de 10 %, toute une série de biens subiraient une surtaxe de 25 %, tels que les fers et aciers non alliés en lingots ou les tubes et tuyaux d’acier.
– Inde : Premier pays à adresser une demande de consultation, l’Inde a également notifié à l’OMC sa volonté de compenser les mesures américaines par une majoration sur une trentaine de produits originaires des États-Unis. Il s’agit surtout des denrées alimentaires (ainsi une surtaxe de 100 % pour les noix, de 30 % pour les pommes fraîches, de 20 % pour les amandes fraîches ou sèches sans coques…), mais certains types de véhicules et motocycles (taxés à hauteur de 50 %) sont inclus dans la liste.
– Union européenne : tout comme l’Inde, l’UE a notifié à l’OMC des mesures de sauvegarde. Un montant de 2,8 milliards d’euros d’importations d’origine américaine serait concerné*. Une liste ciblées de 300 produits -sensibles sur le plan politique intérieur américain-, taxés de 10 à 50 %, a été élaborée, dont nous avons déjà donné les détails dans une précédentes édition**. Une première salve, représentant 2,8 milliards d’euros, sera lancée le 22 juin, vient d’annoncer la Commission européenne.
–Japon : Tokyo a aussi notifié, le 18 juin (le même jour que l’Inde et l’UE), projeter une suspension de concessions commerciales aux États-Unis. Le Japon a fait ses calculs, mais n’a pas dressé, contrairement à l’Inde et à l’UE, de liste précise de produits. Pour autant, un communiqué du ministère des Affaires étrangères est venu éclairer les intentions de l’archipel : sur la base des décisions américaines, le Japon a évalué le montant des représailles à 50 milliards de yens (385 millions d’euros).
–Russie : Moscou a évalué son préjudice à 537 millions de dollars. Des mesures seraient en préparation, ce montant servant de base aux représailles promises.
–Chine : le cas de la Chine est plus complexe. Au départ, quand Donald Trump a imposé les nouvelles taxes, Pékin a réagi en annonçant des mesures de rétorsion sur 128 produit américains pesant 3 milliards de dollars. Depuis, États-Unis et Chine ont évoqué tour à tout des taxes et contre-taxes sur un montant de 50 milliards de dollars d’importations chacun.
Le président américain est maintenant prêt à surenchérir en menaçant de taxer jusqu’à 200 milliards de produits chinois, soit près de 45 % des exportations chinoises dans son pays, quitte à profondément perturber les chaînes de valeur construites par les sociétés américaines avec la Chine. Une guerre commerciale entre entre ces deux pays, qui pèsent à eux seuls un cinquième des échanges mondiaux, n’a peut-être jamais été aussi proche.
Une chose est certaine : ce bilan donne de quoi s’interroger sur la pertinence de la stratégie du « deal » bilatéral de Donald Trump, qui a réussi à provoquer sinon un front ouvertement uni et concerté contre sa politique commerciale (quoique le fiasco du dernier G7 ait pu accélérer certains calendriers de façon concertée…), du moins une réaction massive et convergente ! De quoi donner des sueurs froides au partisans d’un libre échange régulé, et du pain sur la planche aux juristes spécialistes du droit commercial international…
François Pargny, avec Christine Gilguy
*UE / Commerce : les trois leviers de la riposte aux taxes américaines
** UE / Commerce : mode d’emploi de la riposte tarifaire sur les produits américains
Pour prolonger :
–UE / Commerce : les Européens s’accrochent sans y croire à une réforme de l’OMC
–UE / Iran : face à D. Trump les Européens tentent un front uni
–Iran / Sanctions : les entreprises françaises attendent une protection plus forte de l’Europe
–UE / Iran : Bruxelles adopte la mise à jour de la loi de blocage