Alors que se tient, les 30 novembre et 1er décembre à Buenos Aires, un Sommet du G20 crucial pour l’avenir du commerce mondial –et spécifiquement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)– la plus grande incertitude règne, à court terme, sur l’évolution de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, dont les deux présidents, Donald Trump et Xi Jiping, doivent se rencontrer en tête à tête le 1er décembre, lors d’un dîner en marge du G20 : va-t-on vers un accord entre les États-Unis et la Chine, qui mettra fin au risque de guerre commerciale, où va-t-on assister à une nouvelle escalade tarifaire, le président américain menaçant de porter de 10 à 25 % les droits de douane sur 200 millions de dollars de produits chinois au 1er janvier 2019 dans cette phase du bras de fer, et d’instaurer ensuite de nouveaux tarifs sur 267 milliards supplémentaires ?
Pour l’assureur-crédit Euler Hermes, qui publie le 29 novembre ses prévisions annuelles sur le commerce mondial*, le scénario le plus probable sera un apaisement pour trois raisons : « le pragmatisme américain, le filet de sécurité commercial chinois, et la lassitude protectionniste ». Le « filet commercial chinois » fait référence à la volonté affichée par Pékin d’ouvrir davantage son marché. La « lassitude protectionniste » se traduit notamment par la multiplication des accords de libre échange plurilatéraux, à l’instar des récentes avancées du Partenariat trans-pacifique, sans les États-Unis.
Après avoir augmenté d’1,7 point à la suite des mesures tarifaires décidées par l’administration Trump, le niveau moyen des droits de douane des États-Unis, premier marché à l’importation du monde, atteint actuellement 5,2 %, son niveau des années 80, estime le numéro 1 mondial de l’assurance-crédit. Bien que ne privilégiant pas cette hypothèse, ce dernier met toutefois en garde contre l’impact d’une véritable guerre commerciale : « si la situation s’envenimait et que les taxes américaines à l’import atteignaient 6 % en moyenne, cela coûterait 0,5 point de croissance aux États-Unis. Et si une guerre commerciale venait à éclater, avec un passage des taxes américaines à 12 % en moyenne, cela coûterait 2 points de croissance aux États-Unis et plongerait l’économie mondiale dans la récession ».
Léger ralentissement des échanges à 3,6 % en 2019
Jusqu’à présent, si le bras de fer entre les États-Unis et la Chine a plombé le climat des affaires au niveau mondial, il a eu un impact limité sur l’évolution des échanges mondiaux, d’autant plus que la dépréciation du Yuan a quasiment absorbé le surcoût des nouvelles taxes américaines sur les produits chinois, selon certaines sources, et que le montant des importations américaines taxées en Chine en guide de rétorsion est encore limité (76 milliards de dollars à ce jour).
Pour sa part, Euler Hermes estime à 3,8 % le taux de croissance du commerce mondial en volume en 2018 (et 7,2 % en valeur), une estimation proche de celle de l’OMC (3,9 %). Pour 2019, l’assureur-crédit anticipe un ralentissement plutôt léger, avec une croissance ramenée à 3,6 % en volume (et 6,3 % en valeur). Mais le principal facteur de ce coup de frein serait surtout le ralentissement de l’économie mondiale : 3,1 % en 2019, après 3,2 % en 2018. D’autres facteurs pèseraient, dont le resserrement de la politique monétaire américaine, qui pourrait peser sur le dynamisme des investissements dans les pays émergents.
Pour l’heure, outre le risque protectionniste, les risques qui pèsent sur les opérateurs du commerce international sont d’une autre nature, selon Euler Hermes : une augmentation des coûts du commerce, liés au resserrement des conditions financières et au renforcement des risques de change ; une réorientation des échanges commerciaux qui pourraient faire des gagnants et des perdants, les plateformes asiatiques étant a priori parmi les premiers ; et enfin un regain de risques politiques (confiscation, expropriation) liés au ralentissement économique mondial.
1 300 milliards de dollars d’importations supplémentaires
Malgré ces risques, de nouvelles opportunités de commerce pointent à l’horizon : quelque 1 300 milliards de dollars (Md USD) d’importations supplémentaires vont être générés l’an prochain du fait de la croissance du commerce mondial (après 1 700 Md USD en 2018).
D’où viendra cette demande supplémentaire ?
Sur le plan géographique, Euler Hermes dresse un top 30 des pays d’où viendront les plus forts volumes d’importations supplémentaires. Sans surprise, au retrouve en tête les principales puissances économiques mondiales, en dépit des tensions commerciales, grâce à des fondamentaux économiques solides :
-193 Md USD pour les États-Unis,
-260 Md USD pour la zone euro (dont Allemagne 67 Md, Pays-Bas 47 Md, France 37 Md, Irlande 25 Md, Espagne 15 Md, Belgique 14 Md, Italie 13 Md),
-et 161 Md USD pour la Chine (et 51 Md USD pour Hong Kong).
Parmi les autres économies avancées, citons encore la demande supplémentaire émanant du Japon (48 Md USD), de la Corée du Sud (45 Md USD), du Canada (29 Md USD), du Royaume-Uni (28 Md USD), d’Australie (11 Md USD) et de Norvège (11 Md USD). En Europe de l’Est, la Pologne et la Roumanie, tout deux membres de l’Union européenne, tireront les importations avec +25 Md USD pour le premier et + 10 Md USD pour le second.
Les pays émergents ne seront pas en reste, avec l’Asie en tête :
-108 Md USD pour les six principaux pays membres de l’Asean (dont Singapour 33 Md USD, Vietnam 21 Md USD, Malaisie 17 Md USD, Indonésie 14 Md USD, Thaïlande 14 Md USD, Philippines 10 Md USD),
– 58 Md USD pour l’Inde,
– 35 Md USD pour le Brésil,
– 26 Md USD pour les Émirats arabes unis,
– 21 Md USD pour le Mexique,
– 19 Md USD pour le Nigeria (seul pays africain cité)
– 14 Md USD pour Taïwan.
Quels secteurs seront particulièrement bénéficiaires ?
En premier lieu les services : 365 Md USD d’exportations supplémentaires sont anticipées par Euler Hermes pour 2019. La tendance sera tirée par les marchés émergents, où le secteur manufacturier est de plus en plus orienté services et où les classes moyennes se développent.
Deuxième secteur, les équipements électriques et électroniques : 337 Md USD supplémentaires attendus en 2019. Ils bénéficieront de la résistance économique des plus gros importateurs de ces produits que sont la Chine, les États-Unis, l’Allemagne et le Japon.
Troisième secteur, l’énergie : 148 Md USD supplémentaires attendus en 2019.
Quatrième secteur, les machines et équipements : 110 Md USD d’importations supplémentaires sont attendus en 2019, portées par les investissements dans les infrastructures (tirés notamment par la Chine et son initiative des nouvelles Routes de la soie).
Pour l’automobile et les métaux (ferreux et non-ferreux), sur lesquels les risques protectionnistes sont les plus importants, les suppléments d’importations anticipés sont respectivement de 74 et 73 Md USD.
Enfin, les exportations supplémentaires pour 2019 sont estimées à 49 Md USD pour la chimie, 47 Md USD pour l’agroalimentaire, 38 Md USD pour le textile et 24 Md USD pour le papier.
Principaux gagnants : la France bien placée dans la zone euro
Qui seront les principaux bénéficiaires de cette manne d’importations en 2019 ?
Sans surprise, les principaux pays exportateurs mondiaux seront les premiers servis. Selon les estimations d’Euler Hermes, la Chine captera 146 Md USD, suivie des États-Unis avec 134 Md USD (tiré par l’énergie), de l’Inde avec 71 Md USD, de l’Allemagne avec 64 Md USD et des Pays-Bas avec 52 Md USD.
Dans la zone euro, les performances seront toutefois tirées par la demande intérieure de l’Union européenne (60 % des échanges sont dans l’intra-zone) : outre l’Allemagne, la France pourrait capter 28 Md USD et l’Italie 16 Md USD. Pour leur part, l’Espagne capterait 18 Md USD, le Royaume-Uni 17 Md USD et la Belgique 11 Md USD.
Euler Hermes s’attend toutefois à de belles performances de la part des nouveaux pays industriels, notamment d’Asie, d’Europe de l’Est et d’Afrique, qui pourraient tirer partie d’une hausse du protectionnisme américain, des chantiers des nouvelles Routes de la soie, et du déploiement des nouvelles chaînes de valeur chinoises. Parmi ces exportateurs en développement, outre l’Inde, citons le Vietnam (qui pourrait capter 40 Md USD), le Brésil (36 Md USD), Singapour (34 Md USD ), la Malaisie (27 Md USD), la Pologne (22 Md USD), Taïwan (22 Md USD), l’Indonésie (20 Md USD), le Mexique (18 Md USD), la Thaïlande (18 Md USD), les Philippines (18 Md USD), le Nigeria (17 Md USD).
Reste à savoir comment ces prévisions plutôt positives évolueront en cas de déclenchement d’une guerre commerciale…
Christine Gilguy
*Global Trade Report 2019 : the show must go on– Mahamoud Islam, Ana Boata, Ludovic Subran, François de Panisse Passis- Euler Hermes, novembre 2019. L’étude (en anglais) est dans le document attaché à cet article.