Article actualisé le 23 mars à 18H24 (en italique).
Propulsé à 39 ans place Beauvau le 21 mars par l’Élysée, après la démission de Bruno Le Roux suite à des révélations sur les emplois de ses filles à l’Assemblée nationale, Matthias Fekl fait ainsi un bond dans la hiérarchie gouvernementale. Nommé en septembre 2014 secrétaire d’État au Commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français à l’étranger, ce conseiller régional et ex-député du Lot-et-Garonne, accède, deux ans et demi après, au portefeuille régalien et sensible de ministre de l’Intérieur, à un mois du premier tour de la présidentielle. Une forme de récompense pour ce socialiste fidèle à François Hollande et à son camp – il était jusqu’à sa promotion dans l’équipe de campagne du candidat Hamon -, qui n’a pas ménagé ses efforts pour tenter de redresser le commerce extérieur dans le cadre de la diplomatie économique initiée par Laurent Fabius, prédécesseur de l’actuel ministre des Affaires étrangères et du développement international (Maedi), Jean-Marc Ayrault. En vain au regard d’un déficit commercial qui se creuse à nouveau.
Calme et pondéré, il a été plutôt apprécié pour sa capacité d’écoute et son pragmatisme par ceux et celles, issus du public comme du privé, qui ont travaillé avec lui sur divers projets. Surtout, Matthias Fekl a su à la fois se fondre dans le cadre défini par son influent ministre de tutelle durant ses premiers mois au Quai d’Orsay, et imposer sa marque en rapprochant des opérateurs qui ne se parlaient pas -ou mal-, et en exprimant des positions fortes sur les grands dossiers de commerce international, notamment les accords de libre échange (ALE) négociés par la Commission européenne au nom des 28.
Il a su aussi reprendre et enrichir l’acquis, notamment, la stratégie des grandes familles de produits prioritaires à l’export mais aussi le pilotage de l’Équipe de France du commerce extérieur par les Conseils régionaux, initiés par Nicole Bricq, ministre socialiste du Commerce extérieur de juin 2012 à mars 2014.
A un mois des élections présidentielles, pas de remaniement ministériel : le choix a été fait de transférer les dossiers du commerce extérieur et du tourisme au secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Harlem Désir, tandis que les Français de l’étrangers ont été confié à Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat en charge du Développement et de la francophonie. D’après nos informations, quelques membres du cabinet de Matthias Fekl le suivent à l’Intérieur – dont Pierre-Louis Autin, qui était son directeur de cabinet et devient son conseiller, Simon Thirot, qui était son chef de cabinet et devient chef de cabinet adjoint – la plupart de ses conseillers rejoignant les équipes d’Harlem Désir et de Jean-Marie Le Guen pour assurer le suivi des dossiers.
Quel bilan concret laisse derrière lui le nouvel homme fort de la place Beauvau ?
Le créateur du Comité stratégique export
Au Commerce extérieur, Matthias Fekl s’est d’abord, non sans succès, efforcé de rapprocher les opérateurs de l’accompagnement des entreprises à l’export, comme le montrent les différentes conventions de partenariat signées entre d’une part Business France, et d’autre part les chambres de commerce et d’industrie en France et à l’étranger (11 mars 2015), les conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF, également en mars 2015) ou encore, plus récemment en novembre 2016, les privés de l’OSCI (Opérateurs spécialisés du commerce international). Et ce, dans un souci de simplification et de transparence réclamée par les entreprises, notamment les PME dont il avait fait sa priorité.
Dernière réforme en date : la fin de la dispersion des actions publiques dans l’agroalimentaire, avec le transfert des opérations collectives B to B de Sopexa à Business France. Il a, de même, soutenu le transfert à Bpifrance, la banque publique d’investissement, des garanties publiques à l’exportation jusqu’alors gérées par Coface.
Mais une des initiatives importantes de Matthias Fekl a été la création du Comité stratégique de l’export (CSE) – qui s’est réuni le 14 mars pour la dernière fois – regroupant tous les acteurs du commerce extérieur de la France. Instance consultative dont il animait personnellement les réunions régulières, elle a été saluée par divers rapports parlementaires pour son rôle dans la mise en œuvre d’une stratégie d’ensemble plus cohérente. Le CSE avait été ouvert tout autant aux opérateurs et administrations publics concernés de près ou de loin par la diplomatie économique et l’internationalisation des entreprises -de Business France aux réseaux consulaires en passant par le Trésor, la DGE, la Douane, l’Agence française de développement, le Medef, la CPME, l’OSCI…- qu’à des représentants des Régions ou encore du monde universitaire.
Le CSE a été une instance précieuse pour la réalisation du rapport annuel au Parlement sur la stratégie du commerce extérieur, autre initiative novatrice du secrétaire d’État. Sa deuxième édition a été présentée pas plus tard que le 24 janvier 2017 à l’Assemblée nationale, malheureusement dans une relative indifférence compte-tenu de l’éclatement, au même moment, de l’affaire Fillon. Le CSE et ce rapport annuel survivront-ils à son créateur sous une forme ou une autre ?
Rien n’est moins sûr alors même que la question du ministère de rattachement du Commerce extérieur – Bercy ou le Quai d’Orsay ?- n’est pas définitivement tranchée, si l’on en croit l’entourage de certains candidats à la présidentielle*.
Médiatisé par sa détermination sur les dossiers de libre-échange
Mais ce qui a donné sans doute le plus de lumière médiatique à l’action de cet énarque franco-allemand, né d’un père allemand et d’une mère française, a été sa détermination sur les dossiers de libre-échange et de politique commerciale de l’Union européenne (UE) en Amérique du Nord. Ses auditions successives par les parlementaires et ses multiples interviews dans la presse en témoignent : il s’est imposé comme une voix de la France sur ces sujets.
Fervent partisan de l’Accord économique et commercial global (AECG / en anglais ) avec le Canada, qu’il juge « équilibré », il a, en revanche, dénoncé le « blocage » des États-Unis dans les discussions pour le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, en anglais TTIP/Transatlantic Trade and Investment Partnership) , affirmant que la France n’excluait pas « un arrêt pur et simple des négociations ».
Ainsi, même si, sur le dossier du TTIP, il ne partageait pas la même position que la très libérale commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, les deux responsables ont œuvré de concert pour plus de transparence dans les négociations et la fondation d’une Cour de justice spéciale pour remplacer le mécanisme d’arbitrage envisagé pour régler les différents entre investisseurs et États.
L’hommage de son prédécesseur de droite Pierre Lellouche
Une grosse déception toutefois. Malgré toutes les réformes impulsées, Matthias Fekl n’aura pas réussi le pari de François Hollande de réduire le déficit commercial de la France, hors énergie, sous le quinquennat, un objectif brandi à l’époque par sa prédécesseure Nicole Bricq, mais avec lequel il avait prudemment pris ses distances lors de sa prise de fonction.
Dans son rapport sur « la stratégie du commerce extérieur de la France et la politique commerciale européenne » pour 2016, remis au Parlement le 24 janvier, le secrétaire d’État affirmait ainsi que la « sanctuarisation » de la diplomatie était « impérative ». Les « ambassades ont contribué en cinq ans à la conclusion de 225 contrats de plus de 10 millions d’euros », ajoutait-il. De même soulignait-il la « consolidation du réseau des acteurs de l’accompagnement de nos entreprises à l’étranger», référence au rapprochement et à la meilleure coordination entre différents opérateurs.
Pour autant, si le déficit commercial est tombé de 74,5 milliards d’euros en 2011 à 48,1 milliards d’euros, 40 % de cette réduction est à mettre sur le compte « notamment de la baisse du coût de l’énergie » reconnaissait-il. Le gouvernement prévoit encore – 48,9 milliards à la fin de l’année. Même le nombre d’exportateurs, qui semblait augmenter chaque année, a connu un palier l’an dernier, à 124 000 soit 700 de moins qu’en 2015 (117 000 en 2011).
Mais est-ce vraiment la faute au secrétaire d’État au Commerce extérieur ?
Pas vraiment, si l’on en croit Pierre Lellouche, un de ses prédécesseurs de droite au Commerce extérieur (novembre 2010-mai 2012), auteur avec la députée socialiste Karine Berger d’un rapport en octobre sur l’extraterritorialité de la législation américaine. Dans les colonnes du Journal du dimanche, en date du 12 février 2017, le député Les Républicains (LR) affirmait : « ce gars a fait le job, il est malin, bosseur, il est promis à un grand avenir ». Un bel hommage. Prémonitoire ?
Christine Gilguy et François Pargny
*Export / Accompagnement : trois candidats à la présidentielle au banc d’essai
Pour prolonger :
–Commerce extérieur / France : contre-performance confirmée pour l’export tricolore en 2016
–Commerce extérieur / France : un panorama sectoriel inquiétant
–Commerce extérieur / France : un léger mieux à l’export dans l’UE, une baisse supérieure dans les pays tiers
–UE / États-Unis : l’Europe doit « mettre un terme officiel aux négociations transatlantiques » selon M. Fekl