« Nous notons avec préoccupation la faible croissance en matière de commerce et d’investissement à l’échelle mondiale, et nous nous engageons à promouvoir une économie mondiale ouverte par la facilitation et la libéralisation du commerce et de l’investissement ». Cette déclaration solennelle est un extrait de la déclaration finale des chefs d’État et de gouvernement à l’issue du dernier Sommet du G20, qui s’est tenu à Hangzhou les 3 et 4 septembre. Et, plus loin : « nous réaffirmons notre opposition à toute forme de protectionnisme en matière de commerce et d’investissement. Nous prolongeons jusqu’à la fin 2018 notre engagement de statu quo et de démantèlement des mesures protectionnistes ». Le G-20 ou le bal des hypocrites ? De fait, depuis la crise de 2008, le protectionnisme n’a pas faibli, il a même plutôt empiré, et les pays du G20 eux-mêmes*, qui pèsent 85 % du PIB mondial, ne sont pas les derniers à en user.
Les derniers études de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur le sujet sont à cet égard édifiantes : selon un rapport publié le 21 juin dans le cadre du suivi des mesures commerciales, entre mi-octobre 2015 et mi-mai 2016, les pays du G20 ont été à l’origine de 145 nouvelles mesures de restriction du commerce sur un total de 154 enregistrées par l’OMC parmi ses membres. Et ceci hors subventions publiques, officielles ou officieuses. A comparer aux 100 mesures prises par les mêmes visant à faciliter les échanges !** Certes, la crise de surproduction d’acier, qui a entraîné une vague de mesures antidumping contre la Chine dans la plupart des pays producteurs, incluant l’Union européenne, est passée par là. Mais elle n’explique pas à elle seule cette inflation.
Depuis 2008, seulement 25 % des mesures restrictives ont été supprimées
Dans un autre rapport plus global publié le 21 juillet suivant***, l’OMC constate que, depuis octobre 2008, sur les 2 800 mesures de restriction commerciale accumulées par ses membres, seulement 25 % ont été supprimées, 2 127 exactement restant en vigueur… Entre mi-octobre 2015 et mi-mai 2016, 22 nouvelles mesures protectionnistes en moyenne ont été prises chaque mois par les membres de l’organisation contre 15 durant la période précédente. A comparer au nombre de mesures de facilitation du commerce : 137 durant la même période, soit 19 par mois en moyenne…
De quoi s’interroger sur la réelle portée des engagements du G20, qui réaffirme à chacun de ses sommets les mêmes engagements ! En attendant, cette montée du protectionnisme inquiète d’autant plus, actuellement, qu’elle va de pair, depuis quelques années, avec la montée des populismes aux États-Unis et en Europe dans le contexte d’une crise des migrants sans précédent.
Ce qui explique aussi, au cours de ce G20, les appels à une meilleure répartition des bénéfices de la croissance et du commerce. La mondialisation doit « apporter des bénéfices pour tous et pas seulement pour quelques-uns », a résumé Christine Lagarde, la patronne du FMI, en ligne avec la déclaration finale de ce Sommet.
F. Sanchez : « Aujourd’hui, c’est le chacun pour soi »
Phénomène Trump aux États-Unis, vote du « Brexit » en Europe, remise en cause des négociations de libre-échange de part et d’autre de l’Atlantique…L’inquiétude est aussi perceptible dans les milieux d’affaires français, en témoignent les échanges entendus le 30 août à l’Université d’été du Medef, lors d’une table ronde intitulée « Cap sur le monde », à laquelle participait Frédéric Sanchez, président du directoire du groupe Fives et de Medef International, Bruno Lafont, coprésident du groupe Lafarge-Holcim, Patrice Pélissier, président du directoire de l’ETI allemande MEA-AG, et Michel Rovira, co-fondateur de Michel & Augustin.
« Du multilatéralisme, on est passé au bilatéralisme et aujourd’hui, c’est le chacun pour soi », a constaté Frédéric Sanchez en réponse à une question sur l’évolution des règles du jeu du commerce mondial. Il sait d’autant plus de quoi il parle qu’il a révélé ce jour là que son groupe a été victime, comme d’autres groupes français, des menaces de l’ONG américaine Uani, fondée par des anciens de la CIA et du Mossad, sur ses affaires en Iran : révélés au grand jour par le magazine français Challenge***, ces agissements consistent à mettre en garde les entreprises qui prospectent ou décrochent des marchés dans ce pays contre de possibles représailles américaines, ce qui est interprété en France comme une façon détournée, pour les Américains, de freiner les ardeurs commerciales européennes…
Plus optimiste, Bruno Lafont a estimé que « l’état de droit dans le monde à tendance à progresser », constatant que tous les marchés du ciment étaient « ouverts ». Mais Patrice Pélissier s’est montré encore plus grave : « On a eu l’illusion qu’on pouvait libéraliser les flux financiers, les flux de marchandises et que cela n’aurait pas d’impact sur les personnes, a pour sa part, analysé Patrice Pélissier. Croire que l’on pouvait avoir les deux premiers sans avoir le troisième a été une grave erreur, car les flux migratoires ont augmenté de façon considérable. On pourrait faire face à une remise en cause de la mondialisation au nom du refus de ces flux migratoires »…
Christine Gilguy
*Font partie du G20 : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie et Union européenne.
**Rapport disponible sur le site de l’OMC au lien suivant : www.wto.org/english/news_e/news16_e/g20_wto_report_june16_e.pdf
***Rapport disponible sur le site de l’OMC au lien suivant : www.wto.org/french/news_f/news16_f/trdev_22jul16_f.htm
**** « Iran, la face cachée de l’eldorado »- Challenges n° 486, 25-31 août 2016
Pour prolonger :
Lire dans la précédente édition de la Lettre confidentielle : UE / États-Unis : la France confirme son scepticisme sur les négociations du TTIP / TAFTA