Sur la politique de Commerce extérieur, le député de Paris (LREM) Buon Tan, rapporteur du budget 2020 pour la Commission des affaires étrangères, a de la ténacité et de la suite dans les idées, comme il vient de le prouver en déposant un amendement pour réformer l’assurance prospection.
Dans son rapport pour avis sur les crédits de la « mission économie (commerce extérieur et diplomatie économique)» du Projet de loi de finance (PLF) pour 2020, il épingle à nouveau le manque de visibilité de la politique de commerce extérieur et demande une refonte de ses priorités stratégiques pour tenir compte de la dégradation du climat des affaires au niveau mondial. Ce qui ne l’empêche pas, néanmoins, de délivrer un satisfecit global à la réforme « Team France Export » qu’il a soutenue.
Ce rapport a été adopté par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 23 octobre et devait être présenté en séance publique ce 31 octobre.
Face aux incertitudes, trouver de nouveaux relais de croissance
« L’évolution de l’environnement internationale est inquiétante », confiait Buon Tan au Moci, peu après l’adoption de son rapport en commission. « Il nous faut trouver de nouveaux relais de croissance, c’est l’un des axes forts de mon rapport cette année ». Pour lui, une refonte des priorités stratégique de la France dans ce domaine est donc nécessaire.
Dans son rapport, s’il se réjouit de l’amélioration du solde commercial, tangible depuis l’an dernier (déficit ramené à -54 Md EUR en glissement annuel à fin août 2019, soit 5 Md de mieux qu’en 2018), le député n’en reste pas moins inquiet sur la conjoncture mondiale : ralentissement de l’Allemagne, premier partenaire de la France, Brexit (le Royaume-Uni « est notre troisième partenaires et notre premier excédent commercial »), guerres commerciales engagées par les Etats-Unis … Autant de facteurs qui risquent de peser négativement sur nos échanges dans les prochains mois.
Les récentes sanctions douanières infligées par Washington aux vins et fromages européens dans le cadre du différent Airbus/Boeing ne sont pas pour le rassurer : « Rendez-vous compte, on exporte 5 % de notre production de vins aux Etats-Unis », rappelle le député.
Et qu’adviendra-t-il si les États-Unis instaurent de nouveaux droits de douane sur l’automobile en novembre, comme ils en brandissent la menace au nom de leur sécurité économique ? L’Allemagne sera touchée, et indirectement la France qui la fournit.
Relancer la « réflexion stratégique »
D’où son appel, dès l’introduction de son rapport, à relancer « la réflexion stratégique à moyen terme sur les géographies et les secteurs (en mettant en avant des ‘couples pays/secteurs’ à prioriser dans le développement de notre commerce extérieur, cela en lien avec l’objectif de ‘verdissement’ de nos échanges ».
La politique de commerce extérieur s’appuie déjà sur une approche pays/secteur. Mais les priorités, rappelle Buon Tan, avaient été définies sous feu Nicole Bricq, ancienne ministre du Commerce extérieur dans le deuxième gouvernement de Jean-Marc Ayrault, sous la présidence de François Hollande. « 50 pays prioritaires avaient été définis, c’est trop », souligne Buon Tan.
Le député propose de remettre à plat ces priorités en privilégiant une approche par zone géographique et par secteur, mais en cohérence avec les points forts des savoir-faire français et la priorité donnée par la France à la lutte contre le changement climatique. C’est le sens du mot « verdissement » des échanges.
« Il s’agit de regarder les zones qui affichent le plus de croissance, de repérer les secteurs les plus porteurs, et de définir deux ou trois pays à cibler en priorité ». Une fois ce travail fait, une stratégie d’action pourrait être mise en place concentrant les moyens sur les cibles : participations aux salons, politique de soutien financier à l’export, déplacements ministériels…
« Cette stratégie donnerait une visibilité à 3 à 5 ans, avec une mise à jour chaque année » précise Buon Tan. Et tous les opérateurs d’État agiraient en cohérence avec cette stratégie, qu’il s’agisse de Business France, Bpifrance, la DG Trésor ou encore de l’Agence française de développement (AFD), pour n’en citer que quelques uns.
Une « marque France » et « un ministre »
Dans son rapport, le député met en avant trois grandes zones qu’il juge porteuses dans le contexte actuel : l’Europe centrale et orientale, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique. « En Afrique, on a augmenté les moyens de l’AFD mais derrière, qu’a-t-on mis en place pour soutenir les entreprises ? » nous explique Buon Tan. « En réalité, le risque y est traité comme pour les autres zones » s’étonne-t-il.
Au contraire, avance l’élu, pour être efficace, cette stratégie devrait s’appuyer sur « une marque France » à créer, fruit d’un travail interministériel : sous cette marque ombrelle, la France pourrait, grâce à des opérations comme de gros pavillons France sur des salons ou des événements culturels, engager un retour plus marqué dans des zones où elle est peu présente, comme en Asie du Sud-Est « où le Made in France a beaucoup de valeur ».
Buon Tan est conscient de la difficulté à faire avancer ce type de démarche : « ça nécessite une démarche intellectuelle et un engagement de tous les ministères ». Or, si les entreprises ont progressé dans la pratique du jeu collectif, comme en atteste le développement de certaines organisations de filières, on en est encore loin côté ministères.
Son rapport réitère à cet égard des critiques déjà formulée l’an dernier sur la dispersion des programmes budgétaires qui financent la politique de commerce extérieur : programme 134 (mission économie), programme 112 (Cohésion des territoires), compte commerce, etc… Plusieurs pages y sont consacrées à nouveau dans son rapport.
Et le député concède que le pilotage du commerce extérieur manque justement d’un… pilote. « On serait plus efficace et mieux entendu si on avait un ministre du Commerce extérieur, ce pilotage bicéphale de Bercy et du Quai d’Orsay n’est pas optimal » estime Buon Tan. « On a un secrétaire d’Etat, Jean-Baptiste Lemoyne, qui fait le job mais sans le titre » déplore encore le député.
La création d’un ministère du Commerce extérieur fait donc aussi partie des demandes anciennes qu’il réitère dans son rapport.
Team France export : satisfecit sur le déploiement
En attendant, le député peut se satisfaire que l’esprit de jeu collectif gagne le dispositif d’accompagnement des entreprises à l’export. Car sur la mise en œuvre de la réforme de la « Team France export » (TFE), qui vise à rapprocher les opérateurs de l’accompagnement export et qu’il avait soutenu l’an dernier, son « satisfecit » est clair : « globalement, les retours du terrain sont positifs, les équipes s’entendent et travaillent bien ensemble » confie-t-il.
Rappelons que la TFE s’appuie sur le rapprochement des opérateurs publics –principalement les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) et Business France– sous l’égide des Régions pour constituer des « guichets uniques » de l’accompagnement export auxquels les opérateurs privés pourront collaborer.
Et lorsqu’on interroge le député sur les critiques venus des opérateurs privés, qui ont pu se sentir évincés du dispositif, à l’instar des sociétés membres de l’OSCI (leur fédération), il se dit confiant : « vu l’enjeu, il y a du travail pour tout le monde » estime le député. « Là où il faudra être vigilant, c’est sur l’utilisation de la subvention par Business France : il ne faut pas que l’agence l’utilise pour faire du dumping sur certaines prestations ».
Dans son rapport, le député réitère néanmoins ses interrogations sur l’avenir du modèle économique de l’agence nationale, contrainte par l’Etat à augmenter ses activités commerciales : le taux de couverture des charges de Business France par ses ressources propres (donc par la facturation commerciale), atteint déjà 54,4 % en 2018.
Le contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2018-2022 avec l’Etat prévoit une poursuite de cette évolution puisque la subvention inscrite au budget (programme 134) doit passer de 95,12 M euros en 2018 à 85,12 M EUR en 2022. Dans le PLF 2020, elle est fixée à 90,1 M EUR, en recul de -2,8 % sur 2018. S’y ajoute une subvention du ministère de la Cohésion des territoires (programme 112), elle aussi en baisse : 4,8 millions en 2020, en recul de 17 % par rapport à 2019.
200 conseillers TFE et les outils numériques en place
Pas de quoi, néanmoins, assombrir le bilan du déploiement de la TFE à ce stade. Le rapport de Buon Tan est au contraire positif.
En France, onze régions métropolitaines (sur 13) ont déjà « contractualisé » avec les autres acteurs de la TFE, plus de 200 conseillers « TFE » sont aujourd’hui en place (160 pour les CCI, 40 pour Business France), renforçant la quarantaine de « chargés d’affaire de Business France » déjà en place dans les directions régionales de Bpifrance.
Point important pour Buon Tan, qui s’était battu l’an dernier pour qu’il soit réglé : le financement des plateformes de solutions –inaugurées en juin 2019– et du nouveau CRM commun (Customer relationship management, logiciel de gestion de la relation client) est assuré. Ce qui a permis d’engager leur développement dès cette année.
Ces deux outils, que le député considère comme fondamentaux pour le succès de cette réforme, représentent un investissement de 8,9 M EUR, dont 3,6 M EUR pour Business France. Le Fonds de transformation de l’action publique (FTAP) s’est engagé à contribuer à hauteur de 6,3 M EUR à ces investissements, dont 5,3 M EUR pour le CRM et le reste pour les plateformes de solution.
Certes, ces fonds du FTAP ne sont toujours pas débloqués –Business France a jusqu’à présent avancé l’ensemble des dépenses – mais le député se dit confiant sur « la capacité de l’Etat à tenir ses engagements ».
A l’étranger, correspondants uniques et référencement
En aval, à l’étranger, même constat d’un redéploiement bien engagé s’appuyant sur un double mouvement : retrait de Business France d’un certain nombre de pays (présence réduite de 85 à 65 pays), et mise en place en parallèle de « correspondants uniques TFE » et de partenaires référencés « TFE ».
Conformément à la feuille de route du COM, l’agence a commencé à fermer des bureaux : Cuba, Hongrie, Iran, Lituanie, Norvège, Philippines, Russie en 2018; Kazakhstan et Liban en 2019; Grèce en 2020.
Parallèlement, des concessions de service public (CSP) ont été signées dans six pays avec des CCI françaises (Belgique, Hongrie, Maroc, Norvège, Philippines, Singapour). Au Japon et à Hong-Kong, l’agence reste le correspondant unique TFE mais a confié certaines missions aux CCI françaises locales (CCIFI) dans le cadre de marchés publics de services. En Russie, dont l’agence s’est presque totalement retirée, elle a réparti les missions en trois lots remportés par la CCIFI locale et deux prestataires privés.
Dans la quarantaine de pays où Business France n’est plus présente, elle déploie un système de référencement d’opérateurs privés qui seront labellisés « TFE » pour deux ans. Un système similaire est également développé pour orienter les entreprises vers des prestataires sur des services « d’ancrage commercial » qu’elle n’assure pas (type conseil juridique, domiciliation, etc.).
Autant de développements qui montrent que la réforme annoncée est bien enclenchée.
Un bémol toutefois est signalé dans le rapport de Buon Tan. Il concerne le nouveau parcours obligé proposé aux entreprises par le système TFE : « en contrepartie de son retrait de certains pays, Business France se voit reconnaître comme ‘correspondant unique’ de Team France Export dans ceux où il reste présent : les membres de Team France Export placés en amont (les chambres de commerce et d’industrie) sont désormais tenus d’adresser à Business France toutes les entreprises qui les sollicitent pour des prestations d’amorçage commercial, alors qu’auparavant ils les adressaient parfois aux CCIFE ou à des prestataires privés. Cette évolution est critiquée par des représentants de ces derniers ».
Un mécontentement que l’on a déjà signalé dans ces colonnes. A suivre…
Christine Gilguy
*Le projet d’avis tel qu’il a été adopté par la Commission des affaires étrangère le 23 octobre (mais sans le compte-rendu des débats) est dans le document attaché à cet article