Cet article, mis à jour le 14 novembre à 16H10, a fait l’objet d’une Alerte diffusée aux abonnés de la Lettre confidentielle du Moci le même jour.
Réduire le millefeuille du soutien à l’export grâce à une démarche de « co-entreprise » et un outil CRM commun à tous les acteurs, assouplir les règles d’octroi des aides financières, relancer les ‘Maisons de la France’ et créer des ‘Comptoirs de France’… Le député de Paris (LRM) et ancien homme d’affaires Buon Tan ne manque pas d’idées concrètes pour améliorer l’efficacité des dispositifs d’aides à l’export, voire augmenter les moyens mis à leur disposition.
Il les a intégrées dans le premier rapport sur l’examen « des crédits du commerce extérieur et de la diplomatie économique »* qu’il a réalisé au nom de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale dont il est membre, et qu’il a présenté le 8 novembre en commission élargie avant de le défendre le 16 novembre dans l’hémicycle. Certaines de ces idées ont du être abandonnées, d’autres pourraient faire leur chemin à la faveur des réformes que le gouvernement veut faire pour redresser la balance commerciale. Décryptage alors que le budget du commerce extérieur est examiné ce mercredi 15 novembre à l’Assemblée nationale.
Pour le maintien de la subvention à Business France
Et pour commencer par du concret, sur les quatre amendements au projet de Loi de Finances 2018 (PLF 2018) que le député souhaitait défendre à l’appui des conclusions de ce rapport, deux ont été retenus par ses pairs et seront donc proposés au gouvernement : le premier demande le maintien de la subvention globale à Business France pour 2018, alors qu’elle est prévue en recul de l’ordre de 2,6 % par rapport à 2017 (dotations des programmes 134, 112 et 149)** ; le deuxième amendement demande que soit réalisée d’ici à juillet 2018 une étude d’évaluation en profondeur des mesures prises pour soutenir le commerce extérieur.
Pour deux autres projets d’amendements, il a du jeter l’éponge : « on m’a dit qu’ils risquaient de remettre en cause les équilibres budgétaires », dit-il, un peu dépité. Ils concernaient une proposition de relancer la création de « Maisons de la France » à l’étranger et, surtout, de consacrer une petite partie, 5 %, de l’excédent annuel des garanties publiques à l’export au financement des politiques de soutien au commerce extérieur qu’il préconise, notamment l’outil CRM, les filières, les Maisons de la France et les Comptoirs de France.
«J’entends la contrainte budgétaire et la nécessité d’être prudent, mais j’ai du mal à comprendre toutes les réductions budgétaires au regard de l’enjeu du déficit commercial », souligne-t-il encore. Selon ses calculs, l’excédent de l’assurance-crédit export depuis 2010 se monte en moyenne à 600 millions d’euros par an; en prélever 5 % serait une goutte d’eau mais pourrait faire la différence pour certaines politiques. Et de constater que les restrictions introduites pour l’assurance prospection entre 2014 et 2016 ont entraîné une chute de près de moitié des PME bénéficiaires (de 3747 en 2013 à 2174 en 2016) tandis que l’érosion des dotations à Business France a obligé cette dernière à accroître la part des prestations facturées à 49,6 % de son budget dès 2016.
« Un parcours du combattant » pour les PME
Les arguments du député, qui a une solide expérience du business international, méritent d’être entendus. «Le commerce extérieur m’a toujours parlé; car je suis né dans une famille de commerçant », argue ce Français d’origine cambodgienne de 52 ans, arrivé en France avec sa famille dans les années 70 pour fuir le régime des Khmers rouges. Élu à l’Assemblée nationale avec la dernière vague « En marche », Buon Tan a laissé les affaires familiales – dans le thé, avec notamment l’enseigne L’empire des thés- pour se consacrer à 100 % à deux sujets qui le passionnent : le tourisme et le développement à l’export des PME.
« J’ai commencé à aider les PME à exporter en Asie il y a une dizaine d’années en utilisant les réseaux de la famille, explique Buon Tan. C’est un parcours du combattant et beaucoup abandonnent avant d’avoir été jusqu’au bout ».
Conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF) depuis 2013, renouvelé dans ces fonctions en 2016, le nouveau député, qui préside également le groupe d’amitié parlementaire France / Chine, a donc « essayé de comprendre » pourquoi, malgré un potentiel énorme, la France, « leader mondial dans près de 200 produits » comme il aime à le rappeler, affiche un énorme déficit commercial, de 60,8 milliards d’euros à fin septembre. « Un gros enjeu », constate-t-il, qu’il ne faut pas prendre à la légère.
« J’ai essayé de sortir des sentiers battus lors des auditions pour avoir un panel plus large que les opérateurs et représentants des ministères et Administrations habituels ». De fait, dans la liste de la vingtaine de personnalités auditionnées, on trouve, outre les représentants de l’écosystème (ministères, opérateurs, fédérations…), les dirigeants de deux think tanks privés, la Fondation Concorde et la Fabrique de l’exportation, ainsi que de fonds d’investissement en capital comme Cathay Capital Private Equity (qui gère les fonds franco-chinois dédiés aux PME) et Capital export (qui investit dans des PME exportatrices).
« Le guichet unique, tout le monde en parle, mais personne ne le met en place »
Le résultat est un rapport fouillé et argumenté de 52 pages, critique sur l’efficacité du dispositif actuel. « Cela a confirmé ce que j’avais pressenti : le guichet unique, tout le monde en parle, mais personne ne le met en place, constate le député. Or, il faut une mini-révolution dans le système ». D’où ses dix propositions concrètes (voir plus bas).
Certaines de ces propositions rejoignent les orientations déjà prises par l’actuel gouvernement en matière de simplification : l’idée d’établir des points d’entrée uniques dans les territoires et dans les pays étrangers grâce à une démarche de « co-entreprise », et de clarifier les périmètres d’intervention des différents opérateurs (Business France, les CCI et CCIFI, les CCEF, les Régions, Bpifrance, etc.) rejoint le concept de « guichets uniques » à l’export que le patron du Quai d’Orsay veut relancer. Jean-Yves Le Drian doit faire prochainement des annonces à ce sujet.
Rétablir un ministre et « libérer la puissance des outils publics »
D’autres propositions de Buon Tan sont plutôt à contre-courant comme celle de confier à nouveau le Commerce extérieur à un ministre identifié, délégué ou de plein exercice. Depuis que le Quai d’Orsay a récupéré le Commerce extérieur, en 2014, ce portefeuille est géré par un secrétaire d’État, lequel, depuis la nomination du gouvernement Philippe, n’a pas d’attribution précise.
Concernant les aides financières, ses idées pour « libérer la puissance des outils publics en les flexibilisant », notamment en assouplissant encore les règles de part française, vont aussi à l’encontre des priorités budgétaires actuelles, marquées par les restrictions, ce qui a poussé à leur abandon.
Pour autant, sa proposition de « réexaminer les régimes de garanties publiques au regard de leur excédent structurel de plusieurs centaines de millions d’euros par an » et les propositions qui l’accompagnent sur l’assurance prospection, l’assurance-crédit ou la promotion de ses aides auprès des PME, ne manquent pas d’intérêt. Rejoignant des constats faits par les milieux d’affaires français –notamment chez les CCEF dont le député est membre, mais aussi au comité Commerce extérieur du Medef-, elles pourraient réapparaître sous une forme ou sous une autre dans les prochains mois.
Un dispositif rénové autour d’un outil CRM
Certaines idées de Buon Tan enfin sont novatrices, au moins dans leur formulation, comme l’idée d’appuyer la construction de la nouvelle « co-entreprise » de l’aide à l’export sur un outil CRM (logiciel de gestion des relations client) commun à tous les acteurs, qu’il s’agisse de Business France, des chambres de commerce, ou encore des agences régionales de développement.
Il s’agirait donc de partager l’information sur les entreprises accompagnées à l’international, et ainsi de mieux les suivre dans leur parcours. «Actuellement, si une PME a bénéficié d’une prestation pour aller en Corée du Sud avec un opérateur et qu’elle souhaite ensuite aller au Japon avec un autre opérateur, elle est obligée de tout recommencer», souligne Buon Tan.
Autre idée novatrice : créer des ‘Comptoirs de France’ pour simplifier la vie aux acheteurs étrangers, en particulier dans l’agro-alimentaire, où l’offre est très segmentée entre de multiples petits producteurs, donc peu visible à l’étranger. Un secteur qui semble tenir particulièrement à cœur au député Buon Tan, qui a auditionné Catherine Chavrier, fédératrice de la Famille de produit « mieux se nourrir » à l’export.
Le député souhaite aussi relancer l’idée des ‘Maisons de la France’ dans les pays étrangers, un temps soutenue par l’ancien gouvernement Ayrault avant d’être enterrée sous celui de Manuel Valls au profit du déploiement international de la seule French Tech : une seule de ces ‘ Maison de la France ‘ a vraiment émergé de cet élan de l’époque Bricq, celle qui s’est créée à Pékin en 2015**, à l’initiative de la CCI française en Chine.
Pour Buon Tan, si son premier galop d’essai de rapporteur à l’Assemblée nationale n’a pas donné tous les résultats escomptés, pas question de lâcher le dossier : « Pour 1 euro investi en aide à l’export, le gain est de 5 à 70 euros d’exportations selon les mécanismes », martèle le député, qui est convaincu que les aides à l’export sont utiles mais peuvent mieux faire. Et il le sait, ce sera « un travail de longue haleine ». Autrement dit, il va continuer à suivre ce sujet de près, tout autant que l’Asie et le tourisme.
Christine Gilguy
*Le rapport est en ligne sur notre site, cliquez sur : Commerce extérieur / PLF 2018 : rapport Tan sur les crédits du commerce extérieur et de la diplomatie économique
** Commerce extérieur / PLF 2018 : nouvelle baisse des aides budgétaires à l’export
***France/Chine : la première Maison France bientôt inaugurée à Pékin
Les dix propositions du rapport Tan
Elles sont regroupées dans trois axes d’actions.
–Premier axe : simplifier le dispositif d’accompagnement vers l’export et le faire connaître.
Il s’agit de « poursuivre la simplification du millefeuille organisationnel en rapprochant les différents réseaux «généralistes » chargés d’assister les entreprises à l’export (chambres de commerce et d’industrie, le cas échéant agences spécialisées des régions, Business France, services économiques régionaux et chambres de commerce et d’industrie françaises à l’international) ».
1/. « Clarifier les périmètres de métier et géographique des différents réseaux, avec l’objectif d’avoir un point d’entrée unique, sur les territoires, dans le système d’accompagnement et un point unique d’accueil dans chaque pays étranger ;
2/. « Offrir aux entreprises un service unique, lisible et transparent, dans un esprit de « co-entreprise » entre les acteurs publics ;
3/. « Construire pour ce faire un logiciel CRM (Customer Relationship Management ou Gestion des Relations avec les Clients) commun à tous les opérateurs, où chaque entreprise « cliente » pourrait être suivie par tous à tous les stades de son accompagnement export : tout en s’inscrivant dans la durée, cet accompagnement pourrait donc passer par plusieurs opérateurs successivement ; l’accès de tous les acteurs au CRM éviterait que certains ne « captent » (ou n’apparaissent capter) certaines entreprises clientes pour ensuite leur vendre des prestations payantes ;
4/. « Développer et mettre en commun des ressources d’expertise (outils digitaux ; informations collectées par les différents réseaux; recueil, partage et valorisation des expériences et bonnes pratiques de ces réseaux), ce qui pourrait être une mission de l’opérateur Business France recentré.
5/. « Désigner dans le Gouvernement un responsable formellement en charge du commerce extérieur, de préférence avec un rang de ministre ou ministre délégué (plutôt que secrétaire d’État) ».
–Deuxième axe : libérer la puissance des outils publics en les flexibilisant
Le député Tan préconise de « réexaminer les régimes de garanties publiques au regard de leur excédent structurel de plusieurs centaines de millions d’euros par an et de l’expérience des dispositifs comparables de nos voisins européens ».
6/. « Revoir les règles de l’assurance prospection, dispositif très adapté aux PME, afin d’accroître sa pénétration après la baisse de 42 % du nombre d’entreprises bénéficiaires constatée de 2014 à 2016 » ;
7/. « S’interroger sur la concentration de l’assurance-crédit sur un petit nombre d’entreprises et de secteurs en examinant notamment les obligations de « part française» et le plafonnement des engagements par pays ».
8/. « Accroitre la communication autour de ces offres, en priorité vis-à-vis des PME/TPE ».
–Troisième axe : Innover en construisant de nouveaux leviers à l’export
9/. « Développer les ‘maisons de la France’ : à travers des initiatives de regroupement géographique des acteurs français, publics et privés, dans des ‘maisons de la France’ comme il en existe à Pékin ou l’organisation d’événements ‘français’ comme les semaines de promotion des produits alimentaires qui existent dans certains pays ou le ‘French Month’ ».
10/. « Expérimenter les ‘Comptoirs de France’ : avec un soutien budgétaire public, relancer l’effort de fédération des filières à l’export, en particulier dans le secteur agro-alimentaire. Les ‘Comptoirs de France’ permettraient aux PME-TPE une offre groupée pour rencontrer les acheteurs internationaux et faire des envois groupés’.