Au lendemain des élections américaines et de la victoire du candidat républicain Donald Trump, partisan d’un retour au protectionnisme, le salon MIF Expo à Paris Porte de Versailles (18-20 novembre) faisait la promotion des produits made in France et du « produire en France ». Alors que le nouveau président américain a confirmé le 22 novembre, son intention de retirer les États-Unis du traité commercial trans-pacifique (TPP), le MIF était une occasion de prendre la température, de ce côté-ci de l’Atlantique, sur les questions de commerce international et de
libre-échange avec une question en tête : le libre-échange est-il compatible avec le Made in France ?
Mondialisation, libre-échange, TTIP / TAFTA, CETA, démocratie et transparence dans les négociations commerciales européennes, harmonisation des normes… Ces thématiques ont justement été abordées lors d’une conférence-débat sur le thème « TAFTA, CETA, stop ou encore ? », organisée le 18 novembre en ouverture du salon MIF Expo et à laquelle participait le secrétaire d’État au Commerce extérieur Matthias Fekl. Sur le plateau, un large panel de sensibilités politiques : Guillaume Balas, député européen, membre du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (PE) ; Constance Le Grip, députée européenne, vice-présidente de la délégation française du groupe PPE (Parti populaire européen) au PE ; Melanie Eck, dirigeante de l’entreprise Egovision GmbH, agence de création et d’aménagement de stands basée à Cologne et représentante de l’initiative allemande KMU gegen TTIP, en français « PME contre le TTIP ». Le débat était animé par Philippe Frémeaux, président de l’Institut Veblen pour les réformes économiques, et Hervé Nathan, directeur adjoint de la rédaction de Marianne.
Voici quelques-unes des questions qui ont été soulevées tour à tour, notamment par les eurodéputés de gauche et de droite, et les réponses qu’a apportées le secrétaire d’État.
L’intervention démocratique des peuples dans les accords commerciaux
Le député européen Guillaume Balas a lancé le premier coup de semonce : « Il n’y a aucune étude qui prouve aujourd’hui que le libre-échange dans l’Union européenne a été favorable en terme économique et social avec de la création d’emploi, une augmentation des revenus des salariés depuis 20 ans. Aucune étude ne le démontre. Rien. Il y a même des études qui démontrent l’inverse. Il n’y a aucun consensus scientifique sur le sujet », a fervemment défendu ce député qui se revendique « pro-européen ».
Matthias Fekl a répondu sur ce point, les nouvelles exigences de transparence qu’il a défendues ces derniers mois : « Je propose que toute nouvelle négociation avant d’être lancée fasse l’objet, non seulement d’études d’impact beaucoup plus robustes que celles qui existent aujourd’hui, mais d’études d’impact qui soient précises, c’est-à-dire qui ne disent pas seulement, « il va y avoir 100 000 emplois en plus ou 30 000 en moins, mais voilà qui va gagner et voilà qui va perdre, secteur par secteur, territoire par territoire, qui va s’y retrouver et qui ne va pas s’y retrouver ». Et à partir de là, on fait de l’arbitrage. Ça c’est le rôle des responsables de dire « voilà, on considère en bonne intelligence qu’on doit y aller » ».
« Je crois qu’il nous faut reconstruire intégralement aujourd’hui notre vision du commerce international, des échanges y compris en termes financiers pas seulement commerciaux pour faire en sorte que l’intervention démocratique des peuples soit la norme ultime », a également soulevé Guillaume Balas. Réponse du secrétaire d’État : « Aujourd’hui, les négociations se passent le plus souvent dans l’opacité la plus grande, sauf pour les représentants des lobbys. Les lobbys sont « débriefés très vite », comme on dit en bon français, de ce qui s’est passé dans les négociations (…). C’est pourquoi, je propose que sur ces sujets on fasse de l’open data, c’est-à-dire que tout soit rendu accessible. Tout ce qui a été discuté et décidé dans les réunions de négociations doit être public pour que chacun puisse se faire son idée (…) Aujourd’hui, les représentants élus arrivent tout à la fin du processus. (…) Il faut qu’ils soient autour de la table des négociations dès le début ».
Le respect du principe de réciprocité
Constance Le Grip, qui appartient à un groupe politique plutôt favorable au libre-échange mais désormais plus regardant sur les contreparties négociés, a, de son côté, tenu à rappeler son attachement au principe de réciprocité dans les accords de libre-échange.
« Il est temps, a-t-elle souligné, que l’Union européenne qui demeure, soyons-en persuadés, les chiffres sont là, la 1ère puissance commerciale, la 1ère puissance économique sur la scène internationale, prenne clairement conscience qu’il lui faut défendre ses intérêts. Ses intérêts commerciaux, ses intérêts économiques, ses intérêts stratégiques, les intérêts de ses producteurs, de ses salariés, de ses travailleurs, de ses consommateurs et de ses concitoyens. » Et d’ajouter : « Réciprocité, le principe de réciprocité signifie qu’il est peut-être temps de considérer que nous n’avons plus à être la zone économique du monde la plus ouverte, la plus enthousiaste en matière de libre-échange ».
Sur ce point, il semble qu’il y ait consensus avec la gauche socialiste. Matthias Fekl a ainsi rappelé qu’il avait lui-même demandé « la fin des négociations avec les États-Unis, parce que depuis plus d’un an, point par point, j’ai dénoncé les insuffisances et les aberrations de ces négociations sur l’opacité, sur la réciprocité qui n’est pas au rendez-vous sur le respect de notre agriculture, ce que j’appelle la diplomatie des terroirs ».
L’accession de la Chine au statut d’économie de marché à l’OMC
L’accession de la Chine au statut d’économie de marché à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a également fait l’objet d’un échange lors du débat.
« Tout le monde sait que la Chine n’est pas une économie de marché, a affirmé Guillaume Balas. La Commission européenne ne dit pas « non » à la Chine et aucun État ne dit non à la Chine parce qu’on a peur de mesures de rétorsion (…). C’est un problème parce que ça ne donne aucune lisibilité démocratique. Quand on est contre le fait de donner le statut d’économie de marché à la Chine, on dit qu’on est contre, on vote contre et on fait en sorte que le Parlement européen se prononce sur le sujet ».
Là encore Matthias Fekl a répondu franchement : « La position française, et de plus en plus européenne, là-dessus est claire. (…) Nous en avons parlé au Conseil des ministres du Commerce de l’UE à Bruxelles (11 novembre 2016), a assuré le secrétaire d’État. Tout le monde est d’accord sur l’idée que la Chine n’est pas une économie de marché et que donc elle ne doit pas avoir le statut d’économie de marché. Il n’y a aucune ambiguïté dans la position française, et, je crois, dans la position, maintenant, de la Commission (…) Mais ce qui compte, c’est que demain, au 1er janvier, l’Union européenne puisse mettre en œuvre des instruments de défense commerciale, des instrument anti-dumping à chaque fois qu’il y a un problème de concurrence déloyale, que ce soit avec la Chine, que ce soit avec les États-Unis, que ce soit avec des pays du Sud, n’importe où (…) Ce n’est pas aux entreprises d’apporter la preuve pendant des mois et des mois qu’il y a vraiment dumping (…) mais il faut de la réactivité dans les outils pour qu’il puisse y avoir de la dissuasion ».
Au vu de ces échanges, une chose est sûre : de gauche à droite, les grands accords de libre-échange tels qu’ils ont été vendus et portés par la Commission européenne jusqu’à une période récente n’ont plus bonne presse en France… Question de confiance dans sa capacités et sa volonté réelle de défendre les intérêts de ses mandants.
Venice Affre
Pour prolonger :
– Libre-échange / UE : Matthias Fekl veut une politique commerciale européenne plus efficace
– UE / États-Unis : pour les Européens, le futur du TTIP est entre les mains de Trump
– UE / Défense commerciale : la question de l’anti-dumping continue à diviser les Européens
– Chine / France : la réciprocité, sujet explosif évoqué avec diplomatie lors du dialogue économique bilatéral