Lors de son traditionnel Colloque Risques pays, le 27 janvier au Carrousel du Louvre, Coface a mis en lumière les défis qui attendent deux grands pays émergents entrés, pour des raisons différentes, dans des zones de turbulence : la Chine, qui était jusqu’alors le moteur de la croissance mondiale, mais qui devrait connaître sa plus faible croissance économique depuis plusieurs décennies, avec + 7 % cette année ; et la Russie, grand débouché européen, tant pour les investissements que pour les biens et services, qui devrait enregistrer une croissance négative de – 3 % en 2015.
L’an dernier, l’assureur-crédit avait décidé de dégrader l’évaluation du risque pays de la Russie en C (sur une échelle allant de A1 à D, qui est la plus mauvaise catégorie). Cette fois, s’il conserve à la Chine l’évaluation A3, cette note est assortie d’une surveillance négative. Compte tenu du poids énorme de la dette privée dans ce pays (plus de 200 % du PIB) et de « la volonté des autorités de favoriser la consommation au détriment de l’investissement, de manière à apurer les surcapacités », Coface s’attend à des difficultés de paiement, car « l’endettement colossal des entreprises ne pourra plus être systématiquement refinancé »
Le « ralentissement structurel » de l’économie n’inquiète pas Rocky Tung, économiste de Coface à Hong Kong, qui se déclarait, en revanche, beaucoup plus préoccupé par le coût élevé du financement des entreprises, notamment des PME « Le crédit, selon lui, ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin ». Plus alarmiste, Graham Hutchings, directeur général d’Oxford Analytica, cabinet d’étude et de conseil à Oxford partenaire de Coface sur l’édition de son ouvrage annuel sur les risques pays dans le monde, estime que « le modèle actuel de la Chine est arrivé à un point dangereux » et qu’il y a un « risque d’atterrissage brutal ». La bonne stratégie, selon lui, doit être de « créer un système pour les retraites, pour la santé, pour les provisions, pour l’organisation, le transport… bref, un autre système de dépenses des capitaux pour les quinze ans à venir ».
Xi Jinping et Vladimir Poutine, deux présidents qui concentrent (trop ?) les pouvoirs
Pour Stéphanie Balme, chercheur et professeur à Sciences Po, il y a « une volonté politique de changer », mais « le catalogue de réformes est infini et difficile à mettre en œuvre, car touchant à des intérêts contradictoires ». « Les réformes sont là pour permettre un atterrissage en douceur », a affirmé, pour sa part, Emmanuel Bonhomme, vice-président en France du fabricant de matériel pharmaceutique et médical Johnson et Johnson, qui a noté que Pékin a fait passer plusieurs réformes dans la santé ces cinq dernières années. Ce Français, qui vient de passer 22 ans en Chine, pense ainsi que « le changement par la consommation va arriver, mais que çà nécessitera un filet social ».
Au plan politique, la Chine possède un point commun avec la Russie : la concentration des pouvoirs, de plus en plus forte à Pékin, entre les mains du président Xi Jinping et, encore plus à Moscou, entre celles de son homologue Vladimir Poutine.
Directeur du Développement stratégique à l’Ifri (Institut français des relations internationales), Thomas Gomart a indiqué craindre « la politique de puissance » et « la fuite en avant du régime russe qui a besoin de susciter un regain de nationalisme pour détourner la population de la réalité du déclin économique ». Pour lui, « Vladimir Poutine redeviendra Premier ministre en 2024. Il n’y a pas d’alternative, car l’opposition a été cassée au propre comme au figuré. Le président veut laisser sa trace dans l’Histoire russe, ce qui est annonciateur de tensions très fortes ».
Vers l’émergence d’une nouvelle tendance en Russie : la localisation
Au plan économique, ce ne sont pas les sanctions occidentales qui pèsent sur l’économie du pays, se sont accordé tous les participants à la table ronde Eurasie du colloque Coface, mais la chute des cours du pétrole et du taux change du rouble. « Vu de Moscou, a rapporté la francophone Natalia Orlova, économiste en chef d’Alfa Bank, ce ne sont pas les sanctions qui comptent, mais la baisse de l’investissement depuis deux ans et surtout le déclin démographique, « avec une perte de 12 millions de jeunes entre 1990 et 2012, ce qui explique un taux de chômage historiquement bas à 5 % ».
De son côté très opposé aux sanctions occidentales, le patron d’Alstom pour la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie, Philippe Pégorier, constate que « les sanctions russes en réponse aux Occidentaux concernent le commerce courant, pas l’investissement ». Dans le futur, « ce qui va souffrir en Russie, c’est la consommation, la classe moyenne ». Mais « pour la Russie, pays le plus grand du monde, se doter d’infrastructures demeure fondamental ». C’est pourquoi « exporter c’est fini, souligne cet ancien conseiller économique français à Kiev et Moscou, la tendance va être à la localisation et la production sur place ».
Un avis partagé par Tobias Baumann, directeur Europe de l’Est, du Sud-est et de l’Asie centrale à la DIHK (organisation des CCI en Allemagne), selon lequel « la localisation est, en effet, le modèle, mais à condition que le marché et la réglementation publique soient plus stables ». Si seulement moins de 100 adhérents de la DIHK sur les 6 000 entreprises à capitaux allemands engagées en Russie se sont pour l’instant retirés de Russie, -« ce qui est peu », s’est félicité Tobias Baumann lors du colloque Coface – le représentant des CCI allemandes a, néanmoins, indiqué que l’attitude de Moscou avait entraîné en Allemagne « une perte de confiance dans la Russie ». Ce qui est, outre-Rhin, dommageable pour le moyen et long terme.
François Pargny
Pour prolonger :
–Yves Zlotowski (Coface) : « Nous constatons une réduction progressive du risque entreprise dans les pays avancés »
–La légère reprise de la croissance mondiale tirée par les Etats-Unis
– Les échos du colloque risque pays Coface