Dans une interview exclusive accordée au Moci le 12 février, Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, principal inspirateur et artisan de la réforme du dispositif public d’accompagnement à l’export visant à créer des « guichets uniques » avec les Régions et les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) sous le label Team France Export, fait le point : impact de la crise sanitaire chinoise, premier bilan de la mise en œuvre de la réforme, objectifs pour 2020.
Crise sanitaire : réfléchir dès maintenant « sur la sortie de crise »
Le Moci. Un point d’actualité pour commencer avec l’épidémie de Coronavirus Covid-19. Vous avez beaucoup de monde en Chine, de l’ordre de 100 agents et près de 400 V.I.E. Comment gérez-vous la situation ?
Christophe Lecourtier. Notre premier souci a été notre personnel en Chine. Nous avons aujourd’hui près de 100 collaborateurs répartis sur une demi-douzaine de sites, avec une majorité de collaborateurs chinois et du personnel expatrié d’encadrement. En liaison avec le ministère des Affaires étrangères, nous avons travaillé à définir un format approprié à la situation en offrant la possibilité aux personnes qui le souhaitaient, pour des raisons familiales ou personnelles, de s’éloigner de la Chine quelque temps, mais en maintenant un dispositif suffisant pour faire face aux enjeux.
Ces enjeux sont au nombre de deux à court terme : la reprogrammation d’un certain nombre de missions, et le lancement dès maintenant d’une réflexion sur la sortie de crise. Nous souhaitons en effet, dès que la situation sera en voie de normalisation, être à l’avant-garde de la reprise des relations économiques avec la Chine. Il faudra alors lancer des signaux aux entreprises pour qu’elles reprennent leurs projets en Chine, et vis-à-vis des autorités chinoises pour leur montrer que nous sommes prêts à relancer nos relations économiques.
Concernant les V.I.E, nous avons relayé aussi bien auprès des jeunes qu’auprès des entreprises dans lesquelles ils travaillent les consignes du ministère. Celui-ci invite tous les Français dont la mission en Chine n’aurait pas un caractère indispensable et qui le peuvent, à quitter le pays pendant quelque temps. Certains jeunes ont suivi cette consigne, d’autres ont choisi de rester, en liaison avec les entreprises pour lesquelles ils travaillent.
Commerce extérieur : « la réforme tombe à point nommée »
Le Moci. En quoi consiste le travail de reprogrammation que vous évoquez ?
Ch. L. À court terme, toute une série d’opérations a été annulée, comme par exemple la foire aux vins de Shanghai. Hier encore sur Wine Paris, on évoquait le report éventuel de Vinexpo Hong Kong, toujours prévu en mai. Beaucoup de grands rendez-vous internationaux sont impactés par cette crise, y compris en Europe. Il s’agit de gérer ces bouleversements de calendriers avec les entreprises. Notre ligne est de nous adapter aux circonstances avec un nouveau format de dispositif et de préparer dès à présent la sortie de crise.
Commerce extérieur : « la réforme arrive à point nommé »
Le Moci. Cette crise sanitaire s’ajoute à d’autres facteurs d’inquiétude comme le ralentissement mondial ou la montée du protectionnisme. L’année 2020 commence donc avec un contexte plutôt défavorable à l’expansion des exportations. Ne risque-t-il pas de contrarier vos objectifs de croissance du nombre d’entreprises exportatrices et des exportations ?
Ch. L. Je constate que les performances du commerce extérieur en 2019 ont été plutôt bonnes dans un contexte international qui l’était beaucoup moins, avec un commerce mondial en croissance de seulement 1 %. La France a bien tiré son épingle du jeu avec des exportations de biens en progression de 3 %, très au-dessus de la moyenne mondiale. En outre, il y a eu la bonne nouvelle de l’augmentation du nombre d’exportateurs, la plus forte en 17 ans avec + 3 %, soit 3 500 de plus qu’en 2018.
Nos réformes ont justement vocation à permettre à la France de se distinguer dans un environnement relativement morose. Il y a les réformes de fonds qui ont été entreprises depuis plusieurs années pour la compétitivité des entreprises et qui portent leurs fruits. Et il y a aussi la réforme du dispositif d’accompagnement, qui est arrivée à point nommé pour tirer partie de l’amélioration de cette compétitivité.
Il est incontestable que la France tire bien son épingle du jeu depuis 2018 dans un environnement peu porteur. Bien entendu, tout va dépendre de la durée de la crise chinoise et de son éventuelle extension à d’autres pays asiatiques, mais nous travaillons pour notre part sur l’hypothèse de poursuivre la dynamique de 2019.
Redressement : un événement de communication en juin sur l’impact de la TFE
Le Moci. 2019 a été l’année de l’achèvement de la mise en place de la Team France Export (TFE) dans toutes les régions. Avez-vous des éléments qui vous permettent de penser qu’elles a d’ores et déjà contribué à cette dynamique d’augmentation des exportateurs ?
Ch. L. Nous allons organiser, probablement au mois de juin, un événement de communication sur l’impact de l’activité de la Team France en termes de chiffre d’affaires supplémentaire dégagé à l’international par les entreprises qu’elle a accompagnées et en termes de nombre d’emplois que celles-ci ont créés ou maintenus sur le sol français.
L’objectif est de démontrer que toutes les réformes que je vous ai citées sont orientées dans le même sens, participent du même effort : on est bien dans les clous de l’ambition que le gouvernement nous a fixée, que j’avais moi-même inscrite dans mon rapport sur la réforme du dispositif d’accompagnement, qui vise à plus d’exportation et plus d’exportateurs.
Il nous faut désormais préciser en quoi la TFE prend une part réelle, et j’espère conséquente, dans cette performance nationale d’augmentation des exportateurs et des exportations.
Le Moci. Évaluer l’impact économique de l’accompagnement TFE n’est pas simple. Comment comptez-vous vous y prendre ?
Ch. L. Nous utilisons différents moyens. Nous avons noué un partenariat inédit avec les Douanes pour croiser les fichiers des exportateurs et ceux des clients de la TFE.
Nous avons également assez profondément rénové l’enquête confiée à Ipsos auprès de nos clients pour mesurer non seulement les courants d’affaires, mais aussi le chiffre d’affaires export additionnel et les emplois générés par nos actions d’accompagnement.
Enfin, nous travaillons avec la Direction du Trésor pour mieux analyser le comportement des PME à l’export.
Discours : raconter une autre histoire que celle du déficit
Le Moci. Il s’agit d’en finir avec la chronique du déficit commercial ?
Ch. L. En France, nous sommes hantés par le solde commercial, et l’histoire de son déficit est générateur de sinistrose, entretenant chez les Français un rapport compliqué et pessimiste avec la globalisation.
En fait, et cela a été rappelé au moment de la présentation des chiffres du commerce extérieur la semaine dernière, 5 % des entreprises exportatrices font 90 % des échanges. Nous, notre cœur de cible, ce sont toutes les autres, ces 95 % de TPE, PME, ETI qui font 10 % des exportations.
Et nous allons conduire un travail méthodologique pour mieux raconter l’histoire de ces TPE et PME, qui se projettent à l’export avec succès depuis les territoires. Cette dynamique est réelle, et c’est celle qui créera les emplois demain. En outre, cette approche, finalement nouvelle, est cohérente avec le prisme que nous avons privilégié avec la TFE, qui est de partir des territoires.
L’histoire de ces entreprises est autrement plus intéressante et satisfaisante au regard des questions que les Français peuvent se poser sur la mondialisation ; elle est même source d’optimisme. Cette histoire n’a jamais été racontée, parce que nous sommes prisonniers de notre paradigme des chiffres.
Avec cette approche analytique, nous souhaitons rajouter au savoir-faire incontestable de la TFE un « faire savoir », en disant haut et fort combien les TPE/PME/ ETI sont source d’espoir pour notre pays non seulement en termes d’exportation mais aussi de création de valeur et d’emplois. Contrairement aux grandes entreprises, les TPE, PME et ETI sont principalement localisées en France et leurs succès à l’export ruissellent sur l’économie locale.
Le Moci. Avez-vous d’ores et déjà des résultats issus de ces travaux ?
Ch. L. Ce que je peux vous dire, c’est que nous constatons que les taux de transformation en courant d’affaires des entreprises que nous accompagnons avaient déjà tendance à se consolider ces dernières années, atteignant 55/56 %, et qu’ils sont encore supérieurs chez les ETI ou les entreprises recrutant des V.I.E. Le fait de rapprocher les opérateurs publics au sein de la TFE a indéniablement créé un levier supplémentaire et nous rend confiant sur les résultats des évaluations en cours.
Performance : la TFE « n’est pas seulement une mise au carré des acteurs publics »
Le Moci. Pour vous, quels sont les atouts clés du nouveau dispositif ?
Ch. L. L’équation de la TFE, c’est deux choses : la première, c’est l’héritage de Business France, à savoir sa capacité à transformer ses actions d’accompagnement en courant d’affaires pour les entreprises ; nous sommes la seule agence nationale d’accompagnement à l’export qui, à partir de 2012, a décidé de relever le défi de mesurer l’impact de ses actions. Les Britanniques ont essayé mais ils s’y sont cassés les dents.
La deuxième chose, c’est l’héritage des Chambres de commerce et d’industrie (CCI), qui est la proximité dans les territoires et que nous avons encore renforcées avec des effectifs de conseillers internationaux.
La TFE, ce n’est pas seulement une mise au carré des acteurs publics, c’est aussi l’association nouvelle entre la proximité et la promesse d’efficacité, avec une exigence de qualité de service à chaque bout de la chaîne d’accompagnement, depuis le territoire, en lien avec les priorités des Régions, jusque dans le marché étranger.
Le portefeuille de la TFE compte 45 000 entreprises, qui sont les cibles prioritaires des 235 conseillers internationaux sur le territoire, issus des CCI et de Business France, et spécialisés par filières sectorielles. À chaque entreprise, un conseiller référent qui devra lui donner confiance, la convaincre d’accélérer et l’accompagnera tout au long du parcours. À cela s’ajoutent, en miroir, les 750 conseillers de notre réseau international. Au total, la TFE c’est aujourd’hui 1 000 conseillers disposant d’objectifs solidaires, organisés en filières, partageant les informations via un outil CRM. Une véritable équipe.
Avec Bpifrance, autre partenaire clé de la TFE pour les financements, nous avons en outre un dispositif de coaching spécifique pour les PME et ETI à fort potentiel de croissance. Nous poursuivons ce dispositif qui a fait ses preuves et sommes partenaire des deux accélérateurs internationaux lancés l’an dernier par Bpifrance.
Aux CCI : « Il n’y a pas de plan B »
Le Moci. Dans le réseau consulaire, certains ont des états d’âmes, craignent que l’identité des CCI soit diluée dans le nouveau dispositif. Qu’en dites-vous ?
Ch. L. D’abord il n’y a pas de plan B. La seule perspective qui nous est offerte est de réussir. Si l’on devait échouer, on perdrait beaucoup plus que notre âme. La création de la TFE est une évolution très ambitieuse du dispositif public d’accompagnement à l’export, qui passe par un rapprochement opérationnel des opérateurs publics et non pas par un mécano institutionnel. De mon point de vue, nous avons déjà ensemble franchi un point de non retour.
Je comprends que certains, ici ou là, puissent s’interroger mais j’ai le sentiment que pour une majorité de collaborateurs des deux réseaux, ce projet a plutôt suscité l’adhésion, donné du sens à leur action, généré de l’enthousiasme. La priorité pour tous, c’est de satisfaire les besoins et les attentes des entreprises clientes, Pierre Goguet, le président de CCI France, l’a souvent dit. Notre objectif ultime et partagé est de faire réussir ces entreprises à l’étranger.
Le Moci. Pour vous, les CCI ne sont donc pas lésées dans cette réforme.
Ch. L. Pour les CCI, la TFE peut être considérée comme un laboratoire pour les inciter à se transformer en entreprise de service public. Le fameux guichet unique, nous l’avons construit chez elles, c’est l’amorce d’un guichet de services publics. On les a renforcés avec des effectifs supplémentaires venus de Business France et des outils numériques. Et nous avons connecté notre réseau international et notre modèle de performance à la dimension territoriale des chambres. C’est un ticket gagnant !
« L’État donne aux Régions les moyens de mettre en œuvre une politique »
Le Moci. Et avec les Régions, comment se passe la mise en œuvre ?
Ch. L. On est parti du principe que l’État donne aux Régions les moyens supplémentaires pour mettre en œuvre une politique de soutien à l’internationalisation des entreprises dont elles sont les pilotes dans leur territoire. Tout est parti de ce principe, affirmé par Jean-Yves Le Drian. Cela impliquait pour la TFE de se couler dans leur schéma stratégique. C’est la raison pour laquelle la mise en œuvre de la TFE a tenu compte de la diversité des Régions et que les équipes régionales opèrent en cohérence avec les priorités de celles-ci.
Celles-ci ont vu en outre leur position renforcée au sein du conseil d’administration de Business France, à parité avec les représentants de l’État : elles y disposent désormais de trois sièges, comme l’État. Enfin, la répartition des responsabilités est claire entre les Région est la TFE : rien n’est demandé par la TFE en moyens de fonctionnement aux Conseils régionaux ; en revanche, la totalité de leurs subventions vont aux entreprises pour alléger leurs coûts de développement à l’international.
Avec cette réforme historique, nous sommes sortis d’une situation où l’argent public distribué à des opérateurs, Business France, les CCI, des agences régionales de développement, servait en partie à se faire concurrence entre eux. Une grande source de gaspillage mais aussi de confusion à laquelle la TFE à mis fin.
« Le privé a été associé à tous les étages de la fusée »
Le Moci. Vous nous aviez dit, il y a un an, que 2019 serait l’année du privé. Est-ce le cas ?
Ch. L. Oui, et cela a été le cas. Le privé a été associé à tous les étages de la construction de la TFE, à commencer par les plateformes de solutions développées au plan régional. Les prestataires privés y ont leur place, et pas seulement ceux de l’OSCI, soit en complémentarité, soit en alternative aux services de la TFE. Nous souhaitons qu’ils soient toujours plus nombreux à rejoindre ces plateformes, qui constituent de véritables supermarchés de l’export !
À l’autre bout de la chaîne, à l’étranger, nous avons massivement associé les acteurs privés aux actions d’aide à la prospection à travers les Concessions de service public (CSP) et les marchés de services confiés à des prestataires, via des appels d’offres lancés à partir de fin 2018.
On a profondément transformé la géographie du réseau international : aujourd’hui, nous sommes à 50 / 50, 50 pays où Business France est le référent TFE et 50 pays où ce sont les partenaires privés, alors qu’auparavant, nous proposions un réseau 100 % Business France dans une soixantaine de pays. Cela permet une meilleure couverture et un vrai partenariat public privé.
Pour les actions d’implantation locale, ce que nous appelons l’ancrage, qui ne sont pas de notre ressort, nous avons opté pour un système de référencement de prestataires, identifiés pour leur expertise, leur notoriété, voire leur probité. Les ambassadeurs et les services économiques ont eu un rôle central dans ce travail de référencement à notre demande. Aujourd’hui, ceux qui ont ainsi été référencés « Solution Team France Export » disposent d’un véritable un label de qualité qu’ils peuvent afficher et revendiquer.
D’ici la fin de printemps, nous mettrons en ligne la cartographie de ce nouveau réseau, afin qu’elle soit consultable depuis les plateformes de solutions.
Objectif 2020 : 10 000 entreprises projetées à l’international
Le Moci. On l’a déjà évoqué, vous l’avez dit vous-même à plusieurs reprises, l’année 2020 doit être l’année de l’action. Quels sont les objectifs de la TFE pour 2020 ?
Ch. L. Ils sont ambitieux, portés avec nos partenaires et associés : parvenir à projeter plus de 10 000 entreprises à l’international, ce qui implique de les avoir préalablement identifiées et préparées selon leurs besoins. En quatre ans, d’ici 2022, nous devrons avoir ainsi traité un quart de l’appareil exportateur, soit plus ou moins 30 000 entreprises.
Mais ces chiffres bruts rendent compte de façon très partielle de l’impact de ce que nous voulons faire : il s’agit avant tout d’un engagement de réussite pour les entreprises. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons communiquer en juin sur l’impact de notre accompagnement sur les entreprises, en termes de chiffres d’affaires supplémentaire et d’emplois.
Il s’agit de répondre à la question : à quoi ça sert tout çà ? Elle est posée par l’État comme par les Français, qui se demandent quel est le rapport entre l’argent public investi dans des organisations comme les nôtres et ce que cela rapporte au pays et aux territoires. Nous avons su répondre à cette question depuis quelques années pour ce qui relève de la branche Invest de notre action, avec notre rapport annuel sur les investissements directs étrangers en France, mais cela n’a encore jamais été fait sur l’Export. Il est temps de réparer cette lacune.
Propos recueillis par Christine Gilguy