Alors que l’ombre de la Russie n’a cessé de planer sur le cinquième sommet du Partenariat oriental, organisé le 24 novembre à Bruxelles, la Chine était le pays invité vedette d’un autre forum, organisé trois jours plus tard à Budapest, en Hongrie. Réunissant les mêmes pays d’Europe centrale et orientale, membres ou pas de l’Union européenne (UE), ce forum commercial, au format « 16+1 »*, démontre l’influence grandissante de Pékin dans cette région à l’est de la vieille Europe, et renseigne sur la manière dont la Chine contourne les obstacles qui se dressent sur sa route.
Car depuis des années, la Chine y a massivement investi dans les infrastructures afin d’accélérer la mise en place de sa nouvelle route de la soie (Initiative ‘One belt, One road’ ou OBOR), qui vise notamment à faciliter l’accès de ses exportations à l’Europe.
Après l’acquisition du Port du Pirée, à Athènes en 2016 – par la China Ocean Shipping Company (COSCO), une entreprise d’État – l’Empire du milieu bénéficie d’un point d’accès privilégié à destination du sud, de l’est et du centre de l’UE. « Pékin est donc à présent en mesure d’influencer les routes commerciales entre l’UE et la Chine », explique Frans-Paul van der Putten, chercheur de l’Institut néerlandais pour les relations internationales.
Des retards pour la liaison ferroviaire Belgrade-Budapest
Le pays prévoit désormais de se frayer un couloir de communication entre le port grec et le nord et le centre de l’Europe, en réhabilitant le chemin de fer reliant Belgrade à Budapest. A terme, le trajet de huit heures entre les capitales serbe et hongroise sera ramené à trois heures seulement. Coût de l’opération : 3,2 milliards d’euros, 86 % de la somme sera couverte par un prêt obtenu par le ministère de l’Économie auprès de la Banque chinoise d’import-export (China Exim Bank).
Projet phare de la Chine dans la région, les travaux sur la partie serbe de la future ligne à grande vitesse devrait débuter cette semaine. Côté hongrois, cependant, les progrès sont plus lents. Signé en décembre 2014, le memorandum of understanding (Mou) pour la reconstruction des 370 km de voies ne respecterait pas les règles européennes régissant les marchés publics. « Nous sommes favorables aux investissements, domestiques ou étrangers, dans la mesure ou ceux-ci sont compatibles avec la législation européenne », avait avertit la délégation de l’UE en Chine, dans un communiqué publié au mois de février dernier. Ce dernier précisait qu’un « dialogue, au niveau technique est en cours », avec les autorités hongroises, pour « obtenir des éclaircissements » sur la conformité des travaux programmés, avec la législation européenne.
Privilégier les liens avec les pays des Balkans, non membres de l’UE
Des difficultés qui poussent la Chine à privilégier ses liens avec les pays des Balkans, non membres de l’UE, « où les fonds européens ne sont pas disponibles et les régulations de l’UE pas applicables », précise Tamás Matura, professeur à l’université de Budapest, dans une interview accordée au site Euractiv.
Dans les pays baltes, où la Chine souhaiterait également développer des projets d’infrastructures, notamment en Lettonie – point d’accès privilégié vers les marchés scandinaves -les obstacles sont les mêmes. « Dans la mesure où le pays a accès aux fonds européens, il est difficile d’envisager de nouveaux programmes qui pourraient nécessiter le recours à des prêts chinois », observe Una Aleksandra Bērziņa-Čerenkova, à la tête du programme de la ‘nouvelle route de la soie’ à l’Institut letton des Affaires internationales. « Nous ne pouvons pas non plus garantir que la Chine remportera les appels d’offre dans le cadre des règles européennes », ajoute-t-elle.
Influence sur certains leaders
Mais si ces difficultés limitent de facto le rôle que la Chine souhaite jouer dans la région, son influence reste intacte auprès de certains leaders, en particulier ceux qui entretiennent des relations tendues avec Bruxelles. C’est le cas notamment de Victor Orban, le Premier ministre hongrois, qui travaille d’arrache-pied pour encourager les relations diplomatiques et économiques avec Pékin.
Au delà de la manne financière quelle représente- la Hongrie est le principal pays bénéficiaire, à l’est de l’UE, des investissements chinois – la Chine est aussi un partenaire jugé plus ‘commode’ que Bruxelles pour cet enfant terrible de la nouvelle Europe. Dans une déclaration prononcée à l’issue du sommet le 27 novembre, à Budapest, Victor Orban a d’ailleurs vanté les mérites de la nouvelle route de la soie, estimant que le projet représentait « une nouvelle forme de mondialisation qui ne divise pas le monde entre maîtres et élèves, qui est fondée sur le respect commun et des avantages communs ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
* Albanie, Bosnie, Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Macédoine, Monténégro, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Serbie, Slovaquie, Slovénie + Chine
Pour prolonger :
Lire au sommaire de la LC aujourd’hui : Chine / Routes de la Soie : les Européens ont-ils raison de se tenir à l’écart ?
Et aussi :
–Transport / Commerce : Gefco réceptionne son premier train sur la Route de la soie
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