C’est en 2013 que le président Xi Jinping a lancé une nouvelle stratégie commerciale pour assurer à la Chine des débouchés vers le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Europe. Plus connue sous le nom de « route de la soie », également appelée « ceinture de la soie », cette initiative a fait l’objet d’un atelier débat à la CCIP Ile-de-France, organisé par le club RéseauxChine du Comité d’échanges France-Chine (CEFC), avec les nouveaux dirigeants de la banque publique chinoise Exim Bank France et de la compagnie de navigation China Cosco Shipping Agency France, toutes deux filiales de deux entreprises publiques parmi les plus puissantes dans le monde et les plus actives dans ce grand projet engageant aujourd’hui 64 pays.
Directeur général d’Exim Bank France, Zhaohui Fei suit l’avancée des chantiers liés à ce grand projet de près : il a ainsi révélé avoir participé aux déplacements du numéro un chinois en Asie et aux négociations qui ont abouti cette année, après quatre ans de travaux, à la construction d’une ligne ferroviaire entre Djibouti et Addis-Abeba. L’ouvrage a été réalisé par deux sociétés chinoises, China Railway Group et China Civil Engineering Construction Corporation, pour un montant total d’investissement de 3,4 milliards de dollars, financés à 70 % par l’Exim Bank.
« Notre banque a participé à la plupart des projets déjà réalisés pour la route de la soie », a précisé Zhaohui Fei, qui a aussi rappelé l’ouverture de fonds d’investissements « pour aider les pays partenaires », à l’instar du Fonds Chine-Asie du sud-est ou du Fonds Chine-Europe de l’est et centrale. Pour ce dernier fonds, piloté par la Banque industrielle et commerciale de Chine (BICC), Pékin a promis 11 milliards de dollars et BICC a indiqué pouvoir lever 50 milliards.
Le projet de la ceinture de la soie est prioritaire, comme le montre encore la création de fonds dédiés, comme le Silk Road Fund (capital initial de 40 milliards de dollars) et le Silk Road Gold Fund (16 milliards), dont le but est de constituer des stocks d’or visant à réguler le marché et faciliter les transactions entre banques centrales pour des projets miniers en Afghanistan et au Kazakhstan.
Les pays de l’Est, priorité de la Chine en Europe
En fait, plutôt que l’expression route de la soie, il faudrait bien parler de ceinture, car il s’agit de deux routes, l’une terrestre, l’autre maritime, formant effectivement une boucle de la Chine, même l’Asie, à l’Europe, en passant, côté terrestre, par l’Asie centrale, l’Europe orientale, les États riverains de la Baltique et, côté maritime, par l’Afrique, le canal de Suez et la Méditerranée.
« Le 17 novembre, a rappelé Yuanyuan Gao, ministre-conseiller à l’ambassade de Chine à Paris, l’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté une résolution reconnaissant l’importance de la ceinture, 70 pays ou institutions internationales ont ainsi apporté leur soutien ou leur participation, dont 34 ont signé des accords, comme la France ». Par conséquent, s’est-elle félicitée, « cette stratégie initiée par la Chine est devenue internationale et, à cet égard, chaque pays a son propre agenda ».
Les présidents du Kazakhstan et du Bélarus notamment, Noursoultan Nazarbaïev et Alexandre Loukachenko, appuient la route de la soie. Ainsi, « un port sec a été créé dans la ville chinoise de Khorgos, à la frontière avec le Kazakhstan », a relevé Jean-Paul Larçon, professeur émérite de stratégie internationale à HEC. Au Belarus, c’est à 25 kilomètres de Minsk, que ce pays et la Chine ont décidé d’installer le parc industriel Great Stone, une zone particulièrement bien connectée (autoroute vers Berlin, port lituanien de Klaipeda à 500 kilomètres qui intéresse China Merchants Group…) où des sociétés de l’ex-Empire du Milieu envisageraient d’implanter des unités de production et des centres de recherche pour des machines, de l’électronique et des dispositifs de santé destinés à l’export.
Cette année, le Russe Sinara Group et le Chinois CRRC Changchun Railway Vehicles ont signé un accord pour construire ensemble des trains pour la ligne à grande vitesse (LGV) Moscou-Kazan, un projet de LGV voulu par la Russie et auquel s’est rallié la Chine de façon à promouvoir le corridor entre les capitales russe et chinoise.
Selon Jean-Paul Larçon, Pékin a choisi « l’Europe de l’Est comme porte d’entrée dans le reste du continent », notamment République tchèque, Hongrie, Pologne, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, mais aussi Serbie. Projet phare de Pékin dans cette région, la LGV Athènes-Budapest, via la Macédoine et la Serbie, sera partiellement réalisée entre Budapest et la capitale serbe, Belgrade, en principe en juin prochain.
Le Pirée, port stratégique en Méditerranée
En Europe de l’Ouest, Pékin vise d’abord l’Allemagne. Entre 2011 et 2014, 233 trains ont parcouru la distance entre Chongqing et Duisburg, transportant ainsi pour 6,8 milliards de dollars de marchandises, dont 50 % en provenance de Chongqing et Chengdu, 30 % de la région du delta du Yangtse autour de Shanghai et 20 % de la région du delta de la rivière des perles autour de Guangzhou.
Depuis un an, des routes alternatives ont été ouvertes (Wuhan…), la ligne originelle, utilisée trois fois par semaine, a été étendue, une fois par semaine, sur l’Espagne, une liaison Chengdu-Lódz en Pologne est également effective une fois par semaine. Les compagnies chinoises approvisionnent l’Europe en électronique et les groupes européens fournissent la Chine en pièces détachées automobiles.
La route terrestre de la soie étant connectée jusqu’en Afrique, elle descend ensuite le long de la botte italienne jusqu’en Grèce où China Coco Shipping, géant maritime issu de la fusion de Cosco et China Shipping, a investi. En janvier 2016, le groupe chinois a décidé de verser 368,5 millions d’euros pour l’achat de 67 % de la société du Port du Pirée (OLP), dont 51 % dans un premier temps et 16 % dans les cinq prochaines années. Un engagement qui venait après d’autres investissements déjà réalisés sur place, a égrené Hongzhi Yao, nouveau directeur général de China Cosco Shipping France Agency : « 230 millions d’euros sur le deuxième terminal, ce qui a permis de porter la capacité de traitement à plus de 3 millions d’équivalent vingt pieds (EVP) en 2015 ; 230 millions encore pour le troisième terminal, dont la capacité de traitement a encore atteint 6 millions d’EVP » et, selon lui, « le port grec peut maintenant accueillir des navires de grande capacité et des pétroliers ».
Le Pirée ferait gagner entre quatre et dix jours par rapport aux grands ports du nord de l’Europe et, aujourd’hui, China Csoco Shipping investit dans un ouvrage plus petit mais proche de la route terrestre de la soie, le terminal de Kumport, au sein du complexe turc d’Ambarli, à Istanbul.
Un accord entre Pékin et Islamabad
S’agissant de la voie maritime, Hongzhi Yao cite deux ports, Colombo au Sri Lanka et Gwadar au Pakistan. Colombo est mentionné sur la carte de la ceinture de la soie, pas Gwadar, ce qui montre que les autorités et les acteurs chinois s’adaptent en fonction des besoins et des demandes locale ou nationales (la route de la soie est un concept, pas un plan immuable). « L’idée à Colombo est d’en faire un port de transit », a expliqué le dirigeant chinois.
En fait, la route maritime doit relier la Chine du Sud à l’Europe et l’Afrique via l’Asie du Sud-Est, Colombo, Djibouti, Mombasa et Athènes. Ces quatre cités portuaires ont déjà bénéficié d’investissements chinois : 500 millions de dollars de la part de China Merchants pour le terminal en eau profonde de Colombo Sud, qui réalise 80 % du transit vers l’Inde du sud ; 400 millions à Djibouti également, etc. L’an dernier, Pékin et Islamabad ont signé un accord d’un montant global de 46 milliards de dollars pour développer une liaison routière, énergétique et de télécommunications. Et c’est ainsi que le 13 novembre dernier a été inauguré un corridor commercial entre Gwadar et la cité chinoise de Kashgar.
De tous ses engagements dans des pays émergents, Pékin espère bien retirer des avantages en matière de commerce et d’investissement.
François Pargny
*Lire aussi au sommaire de la Lettre confidentielle aujourd’hui : Chine / Route de la soie : la France écartée des sillons chinois ?
Pour prolonger :
– Chine / France : Pékin et Paris dialoguent sur le nucléaire, l’industrie, les marchés tiers et la place financière de Paris
– UE / Financement : la Chine bientôt premier contributeur du plan Juncker
– Chine / France : la réciprocité, sujet explosif évoqué avec diplomatie lors du dialogue économique bilatéral
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– France / Afrique : « la compétition avec la Chine est saine », selon Pierre Gattaz