Si l’Afrique subsaharienne est dépendante de la Chine pour son commerce extérieur, c’est beaucoup moins vrai en matière d’investissement *. Invité le 14 février par le Cercle géopolitique de la Fondation Paris-Dauphine, le sinologue et socio-économiste Thierry Pairault s’est ainsi efforcé de tordre le cou à l’idée selon laquelle Pékin dispose d’une présence forte, voire dominante, en Afrique.
Son premier constat est sans appel : l’investissement chinois y est faible. Les statistiques en Afrique sont à prendre avec des pincettes, encore plus quand elles ne sont pas contrôlées, recoupées et pourtant reprises par les institutions internationales et les médias.
Directeur de recherche émérite du CNRS et membre statutaire du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), Thierry Pairault a affirmé, par exemple, que, dans une de ses publications, le Financial Times avait annoncé 20 milliards de dollars d’investissements de l’Empire du Milieu en Égypte, alors que ce chiffre ne correspondait qu’à un memorandum of understanding (MOU) signé par Pékin et Le Caire pour tenter de développer des projets.
Un amalgame entre investissement et financement
D’après le Mofcom (Ministry of Commerce of the Government of China), la Chine en 2016 n’avait réservé à l’Afrique que 1,2 % du total de ses investissements directs à l’étranger. « Soit, a appuyé Thierry Pairault, beaucoup moins évidemment que l’Europe et les États-Unis, mais aussi que l’Inde, les Émirats arabes unis ou l’Afrique du Sud ».
En outre, a-t-il ajouté, « on amalgame souvent investissement et financement ». Or, s’il est vrai que l’on retrouve des capitaux chinois dans des grands projets, ce qui alimente la dette africaine au grand dam des institutions internationales, « à y regarder de près, on s’aperçoit que les investisseurs peuvent être Bouygues ou Vinci ».
En fait, les entreprises chinoises seraient « en phase d’apprentissage ». Même si pour elles les normes sont moins contraignantes que dans les pays développés, elles n’auraient ni « la compétence managériale, la méthode, l’ingénierie et la connaissance des pays africains, avec leurs différences politiques, économiques, fonctionnelles », ce qui expliquerait que des entreprises françaises et chinoises travaillent ensemble.
Le deuxième constat, il n’y a pas de coopération chinoise. Selon le sinologue français, « toutes les opérations menées sont à but commercial. Même quand des crédits à taux bonifiés sont accordés, ce n’est pas de l’aide ». Certes, « il y a des dons, mais ce ne sont pas des bonus pour des crédits, ce sont des contreparties à des marchés ». Et de citer le cas de l’Algérie où le président Abelaziz Bouteflika aurait demandé à Pékin de financer la construction de l’Opéra d’Alger [30 millions d’euros ont été accordés sous forme de don, NDLR] contre l’obtention des travaux de deux tronçons de l’autoroute Est-Ouest. En outre, la politique de crédit chinoise est liée, alors qu’il y a des projets chinois financés par l’Agence française de développement (AFD).
– Troisième constat de Thierry Pairault est l’Afrique ne figure pas dans la Route de la soie. L’objectif de l’initiative est purement économique, ce qui explique qu’elle soit pilotée par le Mofcom. Au départ, il s’agissait uniquement de conduire les produits manufacturés chinois vers l’Europe.
Et quand, par la suite, certains pays africains ont demandé à participer à l’initiative, le Mofcom est toujours resté leader du projet, même si le ministère des Affaires étrangères a soutenu l’extension de la Route de la soie à l’Afrique, et que toutes les nations africaines ont reconnu la République populaire de Chine, à l’exception du Swaziland et du Burkina Faso.
Djibouti, hub pour une Route de la soie électronique
Toutefois, la situation évolue vite. A l’origine, le seul État africain intégré à l’initiative était l’Égypte, en raison de sa position géographique le long du Canal de Suez et de ses deux ports, Port Saïd et Alexandrie, qui peuvent servir de plateformes de transbordement. Puis, les 14 et 15 mai 2017, 29 chefs d’État et de gouvernement ont été reçus par le numéro un chinois, Xi Jinping, qui a lancé en personne ce vaste chantier d’infrastructures mondiales.
Le Kenya et l’Éthiopie ont adhéré au projet, rejoints en novembre par le Maroc. C’est ainsi que le 31 mai, la ligne ferroviaire entre le plus grand port d’Afrique de l’Est, Mombasa, et la capitale kényane, Nairobi, a été inaugurée. La Chine envisage également de réaliser une centrale à charbon au sud-est du pays, à Lamu, une cité portuaire où Pékin veut faire transiter les hydrocarbures en provenance du Soudan du Sud.
En ce qui concerne Djibouti, où Pékin installe une base militaire, « il n’est pas sur la Route de la soie, mais, dans la pratique, c’est un hub », notamment parce qu’il n’y a pas seulement des routes terrestres et maritimes. Certes, la Chine y a construit le nouveau chemin de fer au départ d’Addis-Abeba et une zone franche y sera gérée par China Merchant Holdings International. China Poly Petroleum projette aussi de réaliser un complexe de liquéfaction, associé à un terminal de gaz naturel liquéfié et un gazoduc relié au bassin de l’Ogaden. Mais surtout, Pékin prévoit de construire une route électronique, avec la constitution de data centers.
En 2018, le gouvernement chinois a créé la société IZP pour promouvoir le commerce international sur Internet et le Big Data. Au sud de la Route de la soie, sont prévus différents « relais » à Hong Kong, à Colombo et à Djibouti pour le sud et l’est de l’Afrique. D’après le site d’IZP, il semble aussi que la Tanzanie soit retenue pour couvrir une partie de l’Afrique de l’Est. Pékin va, d’ailleurs, y financer, à hauteur de 62 millions de dollars, la construction d’une université spécialisée dans les transports.
Selon Thierry Pairault, quand à Djibouti China Merchant s’engage dans le port historique ou le terminal de Doraleh, il sait que ni la gestion logistique, ni le transport et le financement de l’activité maritime vont lui apporter des bénéfices. « En revanche, il compte sur la gestion dématérialisée des paiements », assure Thierry Pairault. Et le sinologue français de conclure sur le sujet en précisant qu’IZP complète son action en Afrique, avec une implantation à l’ouest, à Lomé exactement, « parce que la capitale du Togo accueille le siège de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ».
Pas d’accaparement des terres ni prisonniers chinois
Le quatrième constat de l’universitaire est qu’il n’y a pas d’accaparement des terres agricoles. Les États-Unis, le Royaume-Uni, le Brésil ou encore les Émirats arabes unis ont acquis bien plus de terres en Afrique que la Chine. « La Chine voulait créer des fermes expérimentales pour la culture du riz, lesquelles devaient être ensuite transmises à des entreprises chinoises pour le marché local. Ces expériences ont échoué », selon Thierry Pairault.
– Cinquième constat, il n’y a pas de prisonniers chinois. « Cela fait partie des fantasmes. Il y a des travailleurs chinois qui rentrent sans visa, qui généralement vont uniquement de leur cantonnement à leur chantier », décrivait le sinologue. Il ajoutait que s’il y avait des miradors autour de certains chantiers en Algérie, ce n’était « pas pour empêcher les Chinois de sortir mais plutôt pour empêcher les Algériens d’entrer ».
Au demeurant, personne ne sait vraiment combien de Chinois sont installés en Afrique. On parlait de 91 000 en Algérie en 2017, 200 000 au total. Si l’on ajoute la diaspora, on peut encore en ajouter plus de 100 000. Mais de qui parle-t-on ? Première, deuxième, troisième génération ? Et une partie de la diaspora n’a plus de culture chinoise.
François Pargny
* Afrique / Export : une dépendance à la Chine essentiellement commerciale
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–Rapport Cian 2018 / Les entreprises internationales et l’Afrique
– Le Guide Moci « Où exporter en 2018 ? » avec plusieurs pays africains : Maroc, Égypte, Nigeria, Sénégal