C’est la phrase de Justin Trudeau sur l’accord de libre-échange entre son pays et l’Union européenne (UE) qui a fait sans doute le plus de « buzz » dans la presse économique et sur les réseaux sociaux : « si la France ne parvient pas à ratifier l’accord avec le Canada, avec quel pays imaginez-vous pouvoir le faire ? », a ainsi lancé le Premier ministre canadien aux députés français qui le recevaient dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale le 17 avril, une première dans l’histoire des deux pays, en présence du chef du gouvernement français Edouard Philippe et de plusieurs ministres dont Jean-Yves Le Drian, le patron du Quai d’Orsay et son secrétaire d’Etat Jean-Baptiste Lemoyne.
Il venait de leur délivrer, à l’issue d’un discours de près d’une heure saluant la force des liens et du partenariat entre les deux pays, un véritable plaidoyer pour ce qu’il appelle un « commerce progressiste », dont l’Accord économique et commercial global (AECG) – CETA (Comprehensive economic and trade agreement) pour l’acronyme anglais-, est à ses yeux un exemple.
En signant cet accord, « ce jour là nous avons décidé de ne pas opposer le commerce et le progrès social », a lancé le Premier ministre canadien, ironisant au passage sur le fait que son acronyme anglais CETA lui soit préféré en France à son acronyme francophone d’AECG. Un paradoxe pour le pays qui devrait être le premier défenseur de la langue française au cœur de la francophonie, communauté dont le Canada, avec le Québec, est un fervent pilier, et que ce descendant d’un charpentier de la Rochelle ne pouvait pas manquer de soulever auprès des héritiers des Lumières. En matière social et environnemental, cet accord « va plus loin que n’importe quel autre accord dans le monde » a encore assuré Justin Trudeau.
Des importations en provenance de France en hausse de plus de 4 %
Après les liens du cœur et les valeurs partagées, le portefeuille. Selon les chiffres que le Premier ministre canadien a livrés aux députés, en 2017, alors que l’accord n’a compté que pour les trois derniers mois de l’année, les importations en provenance de France ont progressé de 4 %, dont 8 % pour les seuls produits agricoles et agroalimentaires, produits sensibles en France lorsqu’il s’agit de libre-échange.
Les investissements directs canadiens en France ont pour leur part bondi de 23 % : 200 entreprises canadiennes emploient 20 000 personnes dans l’Hexagone et, réciproquement, les entreprises françaises comptent 95 000 emplois au Canada. Et le Premier ministre canadien de citer encore l’enseigne nordiste du sport et des loisirs Décathlon qui y ouvre son premier magasin ce mois-ci, la marque de bonnets et accessoires basque Pipolaki et la confiserie provençale Le Roy René qui augmentent leurs exportations. De quoi toucher la corde sensible des élus français. Justin Trudeau n’a pas manqué non plus de souligner qu’à l’occasion de sa visite à Paris, une mission de 50 entreprises canadiennes est venue pour y développer des affaires*.
Vérification faite par Le Moci, les exportations françaises au Canada, selon les chiffre des douanes compilés par la bases de données IHS Markit, ont progressé de 4,28 % exactement en 2017, pour atteindre 3,155 milliards d’euros, équilibrées avec des importations en provenance du Canada de 3,1 Md EUR en hausse de + 7 %. Devancée par l’Italie, qui lui a ravi la 8ème place en 2012, la France est le 9ème fournisseur du Canada mais ce dernier n’est que le 31ème client de l’Hexagone. Peut mieux faire !
Le secteur agricole et agroalimentaire, sensible politiquement en France sur toutes les questions de libre-échange, n’est pas un point fort des exportateurs canadiens.
Les produits agricoles et agroalimentaires comptent pour très peu
Justin Trudeau aurait d’ailleurs pu remarquer que dans les importations en provenance du Canada, les premiers produits sont constitués de machines et chaudières, de minerais et scories et de produits pharmaceutiques : les produits agricoles et agroalimentaires comptent pour très peu. Si les graines et fruits oléagineux pèsent 8 % dans les importations françaises de produits canadiens, les céréales et les produits carnés sont à 0,3 % respectivement et les produits laitiers à 0,27 %. « Les Canadiens n’utilisent pas leurs quotas d’importation de viande européens » avait d’ailleurs remarqué Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, lors d’une audition par la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, le 15 mars dernier.
Le Premier ministre canadien a-t-il convaincu les députés français ? Sans doute pas dans les rangs de ceux les plus à gauche, les plus hostiles par principe au libre-échange, qui ont réagi bruyamment durant ces passages du discours. Mais pour le reste de l’Assemblée, Justin Trudeau a plutôt fait mouche au vu des tonnerres d’applaudissements qu’il a déclenchés après avoir lancé un vibrant appel aux « amis français » pour qu’ils œuvrent ensemble, dans le cadre d’un « partenariat renouvelé », à la promotion d’un monde plus juste, plus inclusif, plus vert, plus égalitaire, plus démocratique, plus libre, bref, un nouvel humanisme. « Les Canadiens vous tendent la main pour bâtir ensemble un monde à notre image ».
Christine Gilguy