Cet article a fait l’objet d’une alerte diffusée aux des abonnés à la Lettre confidentielle du Moci le 24 août.
Le suspense aura duré jusqu’à mi-août et il s’en est fallu de peu que le nouveau binôme de managers public-privé proposé ce 24 août au conseil d’administration de Business France pour en prendre la direction et conduire les changements qui l’attendent, ne trébuche sur un obstacle juridique : pour pouvoir être proposé à la succession de l’ancienne députée Seybah Dagoma à la présidence de cette instance, l’homme d’affaires Pascal Cagni devait au préalable en être officiellement membre ! C’est chose faite depuis lundi 21 août seulement : un arrêté du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, du ministre de la Cohésion des territoires et du ministre de l’Économie et des finances a opportunément nommé le fondateur de C4 Venture « en qualité de représentant d’une entreprise à vocation internationale ayant des activités en France », en remplacement de Claudio Colzani, P-dg de Barilla.
Pour Christophe Lecourtier, un retour
Une formalité qui n’a pas été nécessaire en revanche pour la candidature de Christophe Lecourtier à la direction générale de cet EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) dédié à l’internationalisation de l’économie et des entreprises françaises, en remplacement de Muriel Pénicaud.
L’actuel ambassadeur de France en Serbie (après trois ans en Australie), ancien directeur de cabinet puis conseiller spécial de Christine Lagarde dans les gouvernements Fillon successifs, faisait partie des favoris depuis le début du processus de sélection lancé en juin dernier, après la nomination de Muriel Pénicaud comme ministre du Travail. Pour ce diplomate issu du Trésor, c’est même un retour puisqu’il a dirigé son ancêtre, Ubifrance, durant 6 ans (2008-2014) et préparé sa fusion avec l’AFII, qui a conduit à la création de Business France en janvier 2015.
Le choix de ce grand serviteur de l’État de 54 ans pour prendre la direction d’un opérateur qui jouera un rôle clé dans les futures réformes du dispositif public de l’accompagnement à l’export, est donc une demie-surprise tant il connaît bien tous les rouages et les acteurs de cet écosystème. Celui de Pascal Cagni pour présider un conseil d’administration appelé à exercer un rôle plus actif dans la conduite de cet EPIC, est au contraire une vraie surprise.
Star du numérique et proche d’Emmanuel Macron
S’il faisait partie de la short-list de candidats retenus pour la direction générale, l’ancien patron d’Apple EMEIA (Europe, Moyen-Orient, Inde et Afrique) durant 12 ans (2000-2012), considéré comme l’une des stars du numérique et du capital-investissement français -il aurait été recruté par Steve Jobs lui-même-, n’avait jusqu’à présent jamais été cité par la rumeur pour le poste de président du conseil d’administration : c’est celui du dirigeant franco-australien de Safran Ross McInness qui trustait les pronostics. Mais parfait pour séduire les investisseurs étrangers dans le cadre de l’activité « Invest » de Business France, ce dernier a sans doute été jugé trop marqué « grands groupes » pour incarner le bouillonnant secteur du numérique mais aussi l’activité « Export » de l’agence, principalement tournée vers les PME / TPE.
C’est donc l’apport d’une vision d’entrepreneur qui est attendue de Pascal Cagni. Certains ne manquent pas d’y voir aussi la marque de l’influence de l’Élysée dans la dernière ligne droite : à 54 ans, il est un proche d’Emmanuel Macron, engagé dans le soutien au développement des entreprises du numérique et la promotion de la « French Tech ». C4 Venture est une société d’investissement basée à Londres et Paris, qui cible les pépites françaises innovantes qui émergent dans les objets intelligents, les médias, et l’e-commerce.
On l’a vu au printemps 2016 pour le lancement du French Tech Hub de Londres, dont il est le parrain, aux côté d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie. Il a aussi été membre du conseil d’orientation de l’Agence du numérique lancée le 7 juin 2016. Dans une tribune publiée en mai 2017, il appelait à mieux « vendre » l’investissement en France et lançait un appel aux Français de l’étranger pour qu’ils y collaborent davantage.
L’enjeu des objectifs et du mandat
Sauf surprise, le conseil d’administration de Business France, convoqué aujourd’hui à 14H30 au siège de Business France à Paris, va donner son feu vert à ces nominations. Celles-ci devront être ensuite validées officiellement en conseil des ministres, dont le prochain est prévu le 30 août.
Avec quel mandat ?
Tel sera alors le vrai sujet pour les deux hommes. Dans un contexte marqué par l’aggravation du déficit commercial et la stagnation du nombre d’exportateurs, les tutelles de l’agence tout comme ses partenaires attendent que le nouveau binôme insuffle une nouvelle dynamique à l’opérateur, l’un avec sa vision entrepreneuriale proche des besoins concrets des entreprises, l’autre avec sa connaissance de l’État et son savoir-faire de manager public. Ils devront faire des propositions concrètes sur ces sujets.
Ils auront aussi à redorer une image quelque peu ternie par le déchaînement médiatique de ces derniers mois, à propos d’une coûteuse soirée au CES de Las Vegas en janvier 2016, à laquelle avait assisté Emmanuel Macron en tant que ministre, dont l’organisation avait été confiée à la va-vite par Business France à Havas sans respect des règles d’appels d’offres sur les marchés publics. Une affaire qui empoisonne la vie de l’actuelle ministre du Travail, qui dirigeait l’agence à cette époque.
Dans l’immédiat, l’enjeu sera la négociation de la nouvelle Convention d’objectif et de performance (COP) avec l’État, qui doit définir les orientations, les objectifs et les ressources budgétaires pour les trois ans à venir (2018-2020). Dans ses récentes déclarations publiques , Jean-Yves Le Drian, le patron du Quai d’Orsay, a appelé à des réformes concrètes pour simplifier les dispositifs d’accompagnement export proposés aux entreprises tant dans les Régions, où il rêve de « guichets uniques », qu’à l’étranger, où l’ambassadeur doit coordonner le travail des opérateurs.
On devine que Business France, confrontée à des restrictions budgétaires comme tous les opérateurs publics, sera en première ligne. Elle devra notamment trouver de meilleurs terrains d’entente avec ses partenaires, notamment les réseaux consulaires, avec lesquels les relations se sont tendues ces derniers mois***. « Optimiser l’Equipe de France » de l’accompagnement export : ce sujet sera d’ailleurs explicitement à l’ordre du jour d’un déjeuner débat que présidera le 30 août le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne, à la demande de son ministre, dans le cadre de la semaine des ambassadeurs, où sont conviés diplomates et principaux acteurs du dispositif d’accompagnement à l’export.
Christine Gilguy
*Business France / Gouvernance : trois prétendants pour un fauteuil
**Accompagnement / Export : Business France se cherche aussi un ou une président(e)
***Lire notamment : Commerce extérieur : J-B Lemoyne défend une politique de « simplification et rationalisation » devant les CCEF et Commerce extérieur : le réseau des CCIFI poursuit son expansion et veut revoir ses accords avec les pouvoirs publics
Pour prolonger :
– Commerce extérieur / Export : au-delà du déficit, quelques bonnes nouvelles
– Accompagnement / Export : la régionalisation met à mal la cohésion de l’Équipe de France de l’export
– Accompagnement / Export : « le vrai sujet », c’est le rapprochement Business France – CCI, selon A. Bentéjac