Cet article a fait l’objet d’une Alerte diffusée le 16 janvier aux abonnés de la Lettre confidentielle.
Difficile de dire de quoi seront faits les prochains jours. En rejetant massivement (432 voix contre 202), mardi soir 15 janvier, l’accord de retrait laborieusement négocié avec Bruxelles, les députés britanniques plongent leur pays dans une profonde incertitude. La Première ministre a désormais trois jours pour soumettre aux députés un plan B, soit au plus tard jusqu’à lundi prochain. D’ici là, Theresa May s’est engagée à reprendre les discussions avec les différents partis représentés au Parlement pour tenter de trouver un compromis. Elle pourrait ensuite se tourner, à nouveau vers ses partenaires européens.
A Bruxelles, « le temps est presque écoulé »
Mais si l’issue du vote avait beau être prévisible, elle n’a pas manqué de provoquer des réactions, tantôt inquiètes, souvent amères, au sein du bloc.
« J’appelle le Royaume-Uni à clarifier ses intentions dès que possible. Le temps est presque écoulé », a déploré Jean-Claude Juncker dans un communiqué. Tout en regrettant le vote de la chambre, le président de la Commission européenne a mis en garde contre le risque « accru » d’un Brexit sans accord pour la transition, le très craint « no-deal », ou encore « hard Brexit ». « Même si nous ne voulons pas que cela se produise, la Commission européenne poursuivra son travail d’urgence pour aider l’UE à se préparer pleinement ».
Dans les autres capitales, le message était ferme et sans équivoque. « Il n’y aura pas de renégociation de l’accord », a avertit Sebastian Kurze, le chancelier autrichien. Même son de cloche à Berlin ou à Paris. « On a été au bout de ce qu’on pouvait faire dans l’accord », a averti le président Emanuel Macron. « La pression est du côté de la Grande Bretagne. Les premiers perdants d’un ‘no deal’ seraient les Britanniques », a ajouté le chef de l’Etat.
Pour les Vingt-sept, la balle est donc clairement dans le camp des Britanniques. Pas question à ce stade de convoquer une réunion ministérielle d’urgence. « Le problème se trouve à Londres, non pas à Bruxelles ni dans les capitales des Vingt-sept », estime un haut fonctionnaire à la Commission. « Par conséquent, une réunion des Vingt-sept ne sert actuellement à rien. Nous faisons face une crise de confiance côté britannique. Tout ce que pourrait dire ou faire UE ne changerait pas nécessairement la donne ».
Le message a le mérite d’être clair : les Européens ne transigeront pas sur leurs lignes rouges. Des concessions pourraient être envisagées, notamment accorder un délai supplémentaire au Royaume-Uni, mais si, et seulement si, les demandes britanniques s’accompagnent enfin d’une stratégie claire.
Adoption, rejet, « plan B », « no deal » ?
Adoption, rejet, « plan B », « no deal » ? Quels sont aujourd’hui les scénarios envisageables pour sortir de la crise, à moins de trois mois de la date prévue du « Brexit », le 29 mars prochain ? Quatre sont évoqués à ce stade par les observateurs :
1/ Premier scénario possible, particulièrement redouté par les milieux économiques, est celui d’un « no-deal ». Mais l’option de cette sortie chaotique n’est aujourd’hui privilégiée par personne tant les conséquences risquent d’être désastreuses pour l’économie britannique. Effondrement de la livre, montée en flèche du chômage, pénuries de médicaments, embouteillages monstres aux abords des ports, avions cloués au sol, perte de croissance, etc. Autant d’effets dont l’impact pourrait être limité mais pas éliminé par les mesures comprises dans les plans d’urgence élaborés de part et d’autre de la Manche.
Il s’agirait alors d’une sortie désordonnée, sans période de transition pour amortir le choc : les relations économiques entre le Royaume-Uni et l’UE seraient régies par les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et une multitude de contrôles douaniers et réglementaires devraient être mis en place en urgence.
2/ Deuxième scénario possible, un second référendum. Exclu jusqu’ici par Theresa May, l’option est privilégiée par les partisans d’un maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE. Les travaillistes ont également indiqué qu’ils favoriseraient cette solution s’ils n’obtenaient pas les élections anticipées qu’ils appellent de leur souhait. L’organisation d’un nouveau référendum risquerait néanmoins d’aggraver les divisions en Grande-Bretagne.
Resterait aussi à définir ce qui serait soumis au vote : l’accord négocié par Theresa May ? Partir ou rester? Sortie sans accord ?
3/ Troisième scénario, accorder un délai au Royaume-Uni en reportant la date de sortie prévue le 29 mars prochain. C’est à ce stade le scénario le plus évoqué, tant par les Britanniques que dans le reste de l’Union. Mais cette prolongation ne pourrait être que limitée dans le temps, explique-t-on à Bruxelles. Le délai maximal se situe en effet au 30 juin 2019, date où le mandat des eurodéputés britanniques se terminera formellement. Au-delà, conserver les Britanniques au sein de l’Union pourrait s’avérer extrêmement complexe tant politiquement que juridiquement.
Et pour obtenir l’accord des Vingt-sept, Londres devra cette fois présenter des propositions claires, une stratégie précise, ont avertit plusieurs leaders européens. « Si c’est pour réclamer des concessions supplémentaires de la part de l’Union européenne », la stratégie « sera inefficace », a avertit Nathalie Loiseau, la secrétaire d’Etat française aux Affaires européennes.
4/ Dernière option pour les Britanniques : faire machine arrière en révoquant l’article 50 du traité qui régit la sortie de l’Union. Une solution juridiquement possible, comme l’a confirmé le mois passé un arrêt rendu par la Cour européenne de justice. Dans ce cas de figure, Londres ne serait même pas tenu de demander l’accord unanime des Vingt-sept et pourrait rester dans la famille européenne comme si rien de tout cela ne s’était passé…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
–Brexit : les entreprises s’inquiètent et se préparent à un “non-accord”
–Dossier spécial Brexit : ce qu’il faut savoir du retrait du Royaume-Uni de l’UE