Le délai moyen d’immobilisation des marchandises contrôlées aux frontières, ports et aéroports par les agents douaniers en France est passé sous la barre des 3 minutes. Il faut désormais 2 minutes et 32 secondes (2018) aux douaniers pour effectuer un contrôle contre 3 minutes et 14 secondes en 2017 et 3 minutes 52 en 2016. Une performance que la douane française compte bien maintenir, malgré le Brexit. Un défi trop ambitieux alors que la grève du zèle d’une partie de ses agents depuis le 5 mars donne un avant-goût de ce que pourrait être une sortie du Royaume-Uni sans accord avec un rétablissement des contrôles systématiques aux frontières ? Le sujet intéresse au plus haut point les chargeurs du trafic transmanche, mais aussi leurs prestataires et transporteurs. Et le feuilleton interminable du Brexit côté britannique rend ces milieux d’affaires nerveux.
Au vu des tous derniers développements à Londres cette semaine, le Royaume-Uni quittera l’Union européenne (UE) soit le 12 avril prochain soit le 22 mai si l’accord de divorce négocié avec Bruxelles est voté dans les jours à venir par le Parlement britannique, la date initiale du 29 mars ayant été enterrée. Le Royaume-Uni deviendra alors un pays tiers. Tout échange de marchandises entre la France et ce pays, à l’importation comme à l’exportation, devra faire l’objet de deux déclarations en douane auprès de la douane britannique et de la douane française. Pis, une sortie sans accord du Royaume-Uni de l’UE mettrait fin à l’Union douanière et entraînerait le rétablissement des formalités douanières et des contrôles douaniers à la frontière pour les marchandises.
Créer une « frontière intelligente »
Afin de garantir la continuité et la fluidité du commerce de marchandises entre la France et le Royaume-Uni dans l’hypothèse d’un « no deal », la douane et les ports de ce côté-ci de la Manche ont donc mis les bouchées doubles pour concevoir une solution technologique pour créer une « frontière intelligente » reposant sur l’anticipation et la dématérialisation des formalités douanières pour éviter l’engorgement des ports et du tunnel sous la Manche.
Le même effort a été mené par les autorités britanniques, dont la douane devait basculer dans un nouveau système informatique douanier dès le 28 mars, dénommé CDS (Custom Declaration Service), en remplacement de leur ancien système CHIEF. Mais là encore, sous réserve que le système soit opérationnel.
On a pu avoir une idée de cette nouvelle organisation lors d’une conférence organisée par le Medef le 8 mars à Paris, à 21 jours de l’échéance initiale du Brexit, pour livrer un dernier tour d’horizon des préparatifs à mettre en place par les entreprises. L’amphithéâtre du Medef a fait salle comble, avec près de 500 entreprises présentes. Autant dire que le sujet a suscité un vif intérêt.
Préserver la fluidité du trafic de poids-lourds
Depuis deux ans, la Douane française travaille en fait sur le scénario le plus radical à savoir un retrait sans accord. L’administration a développé un système informatique permettant aux opérateurs d’automatiser le passage de la frontière par les poids-lourds. Cette solution technologique, baptisée « frontière intelligente » a été présentée à cette réunion du Medef par Violaine Colent, adjointe au chef du bureau Politique du dédouanement à la direction du Commerce international de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).
Cette solution « normalement devrait permettre la fluidification et un passage rapide de la frontière », a assuré Violaine Colent s’exprimant au conditionnel car le dispositif n’a pas été testé dans des conditions réelles. Mais celui-ci sera crucial pour maintenir la fluidité des échanges dans un environnement futur avec un rétablissement de la frontière entre le Royaume-Uni et l’UE.
Le secteur des transports est concerné au premier chef, en particulier les organisateurs de transport terrestre. « Il faut savoir qu’actuellement 5 millions de poids-lourds traversent chaque année la frontière dans le sens import ‘UK-France’ et dans le sens export ‘France-UK’ », a indiqué Violaine Colent. L’enjeu pour la douane est de préserver la fluidité des passages des flux tout en préservant la sécurité des personnes et l’intégrité des intérêts financiers.
« La frontière intelligente fonctionne sur un point principal qui est l’anticipation des formalités douanières », a prévenu Violaine Colent. Les entreprises devront impérativement avoir fait leur déclaration avant le passage frontière en camion.
Frontière intelligente : mode d’emploi
– Dans le sens import Royaume-Uni – France : avant le passage transmanche donc avant d’arriver au point frontière, par exemple au port de Douvres ou à Eurotunnel, « il faut que le chauffeur ait sa déclaration Delta en main physiquement imprimée », a insisté l’adjointe au chef du bureau Politique du dédouanement. Delta est le nom du système douanier français. « Sur cette déclaration sera imprimée un code barre avec un numéro », a-t-elle complété.
De même, ce nouveau système implique que les déclarations douanières soient identifiées par un code barre que le chauffeur doit détenir. Le donneur d’ordre qui a fait une déclaration anticipée dans Delta reçoit une déclaration avec un code barre qu’il transmet au chauffeur du poids-lourd.
Ces déclarations correspondent au contenu d’un camion dont la plaque d’immatriculation a été scannée à l’arrivée sur l’infrastructure (port ou emprise Eurotunnel). L’enregistrement électronique de la plaque d’immatriculation et des documents douaniers, appelé « appairage », permet de suivre le camion au sein de l’infrastructure et notamment de détecter le passage de frontière.
Le chauffeur du camion va arriver à l’entrée du port ou du tunnel et va exécuter l’opération d’appairage : scanner la déclaration en douane qui comporte un code barre. Pendant ce temps, des caméras vont lire les plaques avant et les plaques arrière du camion. C’est là qu’entre en jeu la frontière intelligente : elle va faire le lien entre ce document douanier, cette déclaration en douane, et les plaques d’immatriculation. L’objectif est de lier les plaques d’immatriculation du poids-lourd avec sa ou ses déclarations en douane ou déclaration de transit.
– Dans le sens export France – Royaume-Uni : le fonctionnement est le même. Il nécessite une anticipation des formalités douanières à l’intérieur du territoire dans un bureau intérieur. Les opérateurs titulaires d’une procédure de dédouanement de droit commun ou domiciliée peuvent effectuer une déclaration d’export dans Delta G. Cette action va automatiquement déclencher une déclaration dans le système communautaire Export Control System (ECS).
Pour rappel, le système ECS se fonde sur l’amendement sûreté-sécurité du code des douanes communautaire. Il repose sur l’envoi anticipé à la douane de déclarations sommaires contenant des données logistiques et commerciales permettant une analyse de risque et un ciblage des contrôles. Depuis le 1er janvier 2011 toute marchandise sortant de l’UE fait l’objet de mesures de sûreté-sécurité, par anticipation et de façon dématérialisée.
Le chauffeur doit être muni d’un document d’accompagnement export (EAD) comportant un code barre qu’il va pouvoir scanner. « À l’export, on a également ce système d’appairage : un scan du document et une lecture de plaques », a expliqué Violaine Colent.
Dans les deux cas, à l’export comme à l’import, les opérateurs devront effectuer leurs déclarations en douane en amont du passage de la frontière.
Le rapprochement des déclarations douanières, avec l’identification des plaques d’immatriculation des poids-lourds rendue possible par l’utilisation de scanners, doit permettre d’assurer la traçabilité des flux entrants et sortants, et de cibler les marchandises qui ont vocation à être contrôlées ou n’auront pas fait l’objet de formalités anticipées, permettant ainsi de maintenir la fluidité du trafic.
Cette frontière intelligente sera effective à partir de ce 30 mars à Calais et ses environs pour maintenir la fluidité du passage des marchandises.
Les fédérations TLF et TLF Overseas mobilisées
En attendant, les professionnels du secteur privé se sont également préparés.
L’Union des entreprises de Transport et de Logistique de France (TLF) et TLF Overseas, syndicat professionnel regroupant les entreprises organisatrices de transports aériens, maritimes et les représentants en douane sont mobilisées pour préparer leurs adhérents au Brexit.
« Depuis 18 mois on a mis en place un groupe de travail Brexit », a indiqué Olivier Thouard, responsable Douanes de Gefco France et porte-parole du groupe de travail Brexit de l’Union TLF / TLF Overseas, lors d’une conférence de presse consacrée au Brexit organisée à la CCI Paris Ile-de-France par l’Union TLF.
L’organisation professionnelle représentant les métiers de la chaîne du transport de marchandises et de la logistique et TLF Overseas ont constitué une « task force » pour informer et accompagner les entreprises françaises importateurs/exportateurs et leurs prestataires logistiques. « On a tous l’objectif d’avoir des frontières fluides demain », a déclaré Olivier Thouard.
« Le dédouanement, c’est pas nouveau, ce qui est nouveau aujourd’hui c’est les conditions dans lesquelles ce dédouanement va se réaliser avec un pays sortant de l’Union européenne et avec des infrastructures qui n’existaient plus », a expliqué pour sa part Stéphane Hamouche, directeur des affaires douanières chez Bolloré Transport & Logistics. « Je rappelle que la Douane, ces dernières années, a fermé énormément de bureaux de douane », a-t-il ajouté. C’est le cas à Dieppe où le bureau des douanes a fermé il y a une dizaine d’années. Les services douaniers ont été relocalisés à Rouen y compris le bureau de déclaration des marchandises transféré à Rouen au printemps 2012.
Un partenariat Eurotunnel / TLF Overseas pour accompagner les chargeurs et les transporteurs à Calais
Une initiative spécifique a été lancée à Calais, qui n’a plus de bureau de douane depuis 1993. La société concessionnaire de l’infrastructure du tunnel sous la Manche, Eurotunnel, a ainsi signé le 28 février dernier avec TLF Overseas un partenariat pour permettre aux experts douaniers de ses clients de bénéficier d’un interlocuteur référent sur le terminal d’Eurotunnel à Coquelles, à proximité de Calais.
De façon concrète, cet accord permettra aux représentants en douane enregistrés (RDE) opérant pour le compte des chargeurs de bénéficier d’un interlocuteur référent sur le terminal d’Eurotunnel à Calais. Ces référents feront l’interface avec le chauffeur du camion, la Douane et les services sanitaires, et les RDE des chargeurs. Les chargeurs, qui auront réalisé leurs déclarations import et export au préalable, bénéficieront d’un service fluide 24h/24 et les transporteurs verront également leurs chauffeurs aidés et accompagnés pour fournir les éventuels documents requis.
Conex et Soget se préparent au Brexit
Les éditeurs de logiciels douaniers français se sont également préparés au Brexit. Deux exemples.
La société française de conception de logiciels pour le traitement et la transmission électronique des déclarations douanières Conex a adapté ses solutions de déclarations douanières aux nouvelles réglementations et procédures en vigueur au Royaume-Uni, où elle a ouvert une filiale en novembre 2018, Conex Systems Ltd. Car avec le Brexit, de nouvelles procédures pour les déclarations des droits de douane, des accises et de la TVA sur toutes les marchandises s’appliqueront. Conex propose ainsi à ses clients une offre logicielle revisitée pour le Brexit : Customs via Conex et ICS via Conex.
La société d’informatique portuaire installée au Havre, Soget, a pour sa part lancé le 18 février dernier la nouvelle version de sa plateforme de dématérialisation des déclarations douanières Soget Douane. Cette version optimisée est compatible avec la solution douanière française InterBrexit et avec le logiciel Soget EasyBrexit pour faciliter les transits de marchandises transmanche post-Brexit.
Par ailleurs, afin de prévenir la congestion portuaire que pourraient provoquer les nouvelles formalités et contrôles, Soget avec son partenaire depuis dix ans la Fédération Maritime du Port de Calais a travaillé sur la définition des procédures et des fonctionnalités de EasyBrexit. En effet, la plateforme sécurisée et dématérialisée conçue par la société havraise permettrait, selon la Fédération Maritime du Port de Calais, d’automatiser et d’anticiper la transmission de données et la réalisation des formalités déclaratives adaptées aux flux transmanche.
Opérateurs, chargeurs, organisateurs de transport, transitaires, commissionnaires de transport sont sur le qui-vive face à un « hard Brexit ». Et espèrent que cette nouvelle « frontière intelligente » sera opérationnelle le moment venu.
Venice Affre