Au Parlement européen (PE), où elle arrive au bout de son deuxième mandat, l’eurodéputée française Karima Delli a la réputation de ne rien lâcher. Membre du groupe des Verts, présidente de la commission Transports, cette europhile convaincue démontre « que les eurodéputés peuvent relayer les craintes des acteurs locaux et obtenir des résultats à Bruxelles », souligne l’un des ses proches collaborateurs. Car c’est bien sous son impulsion, et après une bataille de plusieurs mois, que les ports du Havre, de Calais et de Dunkerque ont été inscrits de justesse, la semaine dernière, sur le nouveau tracé du corridor « Mer du Nord / Méditerranée », une des voies maritimes qui reliera l’Irlande au reste du continent après le Brexit.
Un accès à une enveloppe de 42 milliards d’investissement
L’impact de cette décision est loin d’être symbolique. En effet, seuls les sites portuaires figurant sur ces corridors prioritaires – parties intégrantes du Réseau trans-européen de Transport (RTE-T) – sont éligibles aux financements européens, via son instrument dédié, le Mécanisme d’interconnexion pour l’Europe (MIE). Doté de 24 milliards d’euros pour la période 2014-2020, ce programme devrait voir son enveloppe quasiment doubler dans le prochain cadre budgétaire pluriannuel (2021-2027). Soit 42 milliards d’euros dédiés au développement des infrastructures.
« Certains ports français comme Calais ou Dunkerque font aujourd’hui 100 % de trafic trans-manche et devront donc engager de très lourds investissements s’ils venaient à devenir des ports de commerce international. Il est donc essentiel que, pour ces investissements, la solidarité européenne joue à plein », insiste Karima Delli.
Exclus du premier tracé de la Commission européenne
Mais cette victoire était loin d’être acquise, rappelle l’élue écologiste. Lorsque, le 1er août 2018, en pleine pause estivale, la Commission européenne propose de revoir le tracé des corridors trans-européens « Mer du Nord / Méditerranée » et « Atlantique », pour s’assurer que l’Irlande continue à être connectée au reste du continent après le Brexit, aucun site français ne figure sur la liste ! Pour Violeta Bulc, la commissaire européenne en charge du dossier d’origine slovène, la future desserte de l’Irlande devra relier les ports de Dublin et de Cork, à ceux de Zeebruge, d’Anvers et de Rotterdam.
L’annonce provoque alors la colère en France des représentants du secteur. « Il est choquant que la Commission européenne, de manière arbitraire, retire aux ports français la capacité d’avoir la même compétitivité en matière d’investissements que ceux de la Belgique et des Pays-Bas », réagit Jean-Marc Roué, président de l’association professionnelle Armateurs de France et de la compagnie Britanny Ferries. « Ce sont des mesures d’urgence prises sans consultation avec le Parlement. Je suis la présidente de la commission des Transports du Parlement européen et à aucun moment je n’ai été avertie. C’est inacceptable ! », renchérit alors Karima Delli.
Aux critiques vis-à vis de Bruxelles s’ajoute celles formulées à l’encontre de Paris. A l’instar de Jean-Marc Roué, qui déplore les conséquences « d’une politique maritime française peu ambitieuse », la présidente de la commission Transport au PE reconnaît, elle aussi, le manque d’implication du patronat et du gouvernement français aux premières étapes de la procédure. « Le patronat néerlandais, très attentif à la question des ports, a été reçu trois fois par Michel Barnier, le négociateur du Brexit, depuis 2016 ; les responsables français de la filière, jamais », souligne-t-elle. Et si certains organismes français – comme la SNCF ou l’Union des ports de France – ont répondu à la consultation sur ce règlement, lancée fin juin 2018 par la Commission, « aucune du ministère français des Transports ou du Medef », s’étonne encore Karima Delli.
Pour l’inclusion des ports du Benelux et des ports français
L’ancienne militante écologiste poursuit néanmoins sa croisade. A Paris, elle obtient le soutien du bout des lèvres de la ministre des Transports, Élisabeth Borne, après un rendez-vous difficilement arraché. Et à Bruxelles, elle parvient à fédérer les membres de sa Commission, tout parti confondu, en faveur d’une modification du texte. « Tout le monde a dit : mais quelle est cette proposition que la Commission sort de son chapeau sans avoir consulté personne ? », se souvient-elle.
Nommée rapporteure, elle met sur la table de nouvelles propositions. Outre les ports du Benelux, elle demande que ceux du Havre, de Dunkerque et de Calais viennent compléter la desserte de l’Irlande sur le corridor « Mer du Nord / Méditerranée ». Elle suggère aussi d’intégrer, sur le corridor « Atlantique », les ports de Brest, Roscoff, Saint-Nazaire, Saint-Malo, Cherbourg, Caen, Le Havre, Rouen, Paris et Boulogne. Enfin, l’eurodéputée préconise la création d’un fonds d’urgence, en cas de Brexit sans accord, pour aider les ports les plus impactés à se préparer à l’éventualité d’une frontière extérieure sur les côtes de la Manche et de la Mer du Nord.
La bataille du corridor « Atlantique »
A ce stade, seule la première proposition a été retenue. Si la Commission a finalement accepté d’inscrire les ports du Nord et de Normandie sur l’un des corridors prioritaires du RTE-T, elle a refusé d’intégrer les autres sites français, condition sine qua non pour bénéficier des subventions prévues par le MIE. « Les règles de mise en œuvre du mécanisme sont liées à la taille des ports, explique Jean-Yves Le Drian dans un entretien accordée à Ouest France. Calais, Dunkerque, Le Havre ont un poids suffisant pour entrer dans ces critères », poursuit-il.
Exclus du MIE, les ports bretons, notamment, ou le trafic trans-manche est important, pourront néanmoins avoir accès à d’autres financements européens. Ceux-ci devront toutefois se limiter aux investissements dans les équipements de contrôle et de sécurité, liés au rétablissement d’une frontière extérieure. Une situation qui pourrait évoluer, à moyen terme, assure Karima Delli. Alors que la révision des RTE-T était programmée en 2023, elle a obtenu son anticipation « avant 2021 », précise-t-elle, sans cacher ses ambitions : « rouvrir les négociations sur le corridor Atlantique pour obtenir, in fine, l’inclusion de nouveaux ports français ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles