Bruxelles va pouvoir contre-attaquer. Mardi 13 octobre l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a en effet autorisé l’Union européenne (UE) à imposer des droits de douane supplémentaires sur 4 milliards de dollars (3,4 milliards d’euros) de produits américains importés en raison des subventions indues accordées par Washington à Boeing. Cette décision s’inscrit dans le cadre d’un conflit juridique vieux de quinze ans, opposant l’UE et les États-Unis. Chaque camp accusant l’autre d’avoir consenti des aides illégales à leur avionneur respectif.
Mais pour les Européens, ce sont les États-Unis qui ont ouvert les hostilités, rappelle-t-on à Bruxelles. En octobre 2019, le gendarme mondial du commerce autorisait Washington à imposer des droits de douanes additionnels sur 7,5 milliards de dollars de produits et services européens, la sanction la plus lourde jamais infligée par l’OMC. Comme aujourd’hui, la décision visait les subventions accordées, cette fois, à Airbus par les États européens.
Tentative de négociation infructueuse
« Toutes nos tentatives pour parvenir à une solution négociée et éviter ainsi une surenchère nuisible aux intérêts des deux parties, ont été rejetées par Washington », rappelle un haut fonctionnaire de la DG du Commerce à la Commission européenne.
Préférant le bâton à la carotte, l’administration Trump avait immédiatement réagi en imposant des taxes de 10 % – relevés à 15 % en mars 2020 – sur tous les avions importés d’Europe. Le vin, le whisky écossais, le fromage, le café ou les olives en provenance de l’UE s’étaient quant à eux vus imposer des droits supplémentaires de 25 %. Un manque à gagner évalué à 400 millions d’euros pour les viticulteurs français.
Les efforts d’Airbus pour se mettre en conformité avec les règles de l’OMC se sont montrés tout aussi vains. L’entente scellée entre l’avionneur européen et les gouvernements espagnols et français pour payer des intérêts plus élevés sur les avances remboursables consenties par Madrid et Paris lors du lancement du programme d’avion long-courrier A 350, n’a pas suffi, non plus, à mettre un terme aux hostilités.
Washington a préféré en effet poursuivre sa guéguerre tarifaire plutôt que de rejoindre la table des négociations, au grand dam des Européens, notamment de la France.
Appel à la fermeté de la France
« Cet été encore, nous avons une nouvelle fois tendu la main vers les États-Unis et nous sommes assurés qu’Airbus est désormais en parfaite conformité avec les règles de l’OMC. Les taxes américaines ne sont donc pas justifiées et devraient être retirées immédiatement. Dans le contexte actuel, les sanctions commerciales ne font que pénaliser davantage nos économies qui font face à une crise sans précédent », ont rappelé Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, et Frank Riester, le ministre délégué en charge du Commerce extérieur, dans un communiqué commun publié ce mardi 13 octobre.
« Nous devons faire preuve de fermeté, poursuivent les deux ministres français. C’est pourquoi l’UE doit imposer des sanctions dès que l’OMC l’y aura formellement autorisée ».
La décision de l’organisation basée à Genève doit être définitivement approuvée le 26 octobre. Dès le lendemain, l’UE pourra donc déployer sa riposte en taxant à son tour des produits américains importés.
Une mauvaise nouvelle pour le département américain du Commerce qui s’attendait à des sanctions moins lourdes, de l’ordre de quelques centaines de millions de dollars. Or la Commission dispose désormais d’un levier puissant. « En l’absence de solution négociée et tant que les sanctions américaines injustifiées sont maintenues, l’Union européenne devra exercer ses droits de sanctions », insistent les ministres français dans leur communiqué.
Avions, Ketchup, patates douces, pièces automobiles…
A Bruxelles « la riposte est prête depuis des mois », assure-t-on. Faute d’avoir pu convaincre les Américains à s’asseoir à la table des négociations, la Commission a pris le temps de peaufiner sa contre-attaque en dressant une liste des produits qu’elle envisage de surtaxer, pour une valeur estimée à 20 milliards de dollars.
Parmi les secteurs visés figure bien sûr l’aéronautique dont le Boeing 737. Une façon de « réparer le dommage causé à notre industrie aéronautique par les aides américaines », justifie Franck Riester dans une interview au Parisien. Plusieurs produits agro-alimentaires sont également dans le viseur de Bruxelles, dont certains très emblématiques comme le Ketchup, mais aussi la patate douce ou les pièces détachées d’automobiles.
« Nous préférerions bien entendu éviter l’imposition mutuelle de sanctions », soulignent Bruno Le Maire et Franck Riester. Même objectif à Bruxelles où l’on espère toujours convaincre Washington de trouver un règlement l’amiable aux deux différends en cours.
Le nouveau Commissaire au Commerce, Valdis Dombrovskis aurait déjà demandé aux États-Unis de supprimer les droits de douane instaurés en raison de l’affaire Airbus, afin de pacifier les relations transatlantiques. « Bien entendu, si les États-Unis ne retirent pas leurs droits de douane, nous allons devoir mettre en place les nôtres », a-t-il toutefois indiqué.
Plus question, donc, de tendre l’autre joue, l’UE répliquera en proportion du préjudice subi. Les deux parties ayant épuisé toutes les voies de recours à l’OMC, seule une solution négociée, définissant les formes de soutien admissible au secteur aéronautique, permettra de mettre fin à ce litige vieux de 15 ans. Dans le cas contraire, l’UE pourra riposter, à son tour, en imposant de nouvelles surtaxes, dès le 27 octobre prochain.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles