L’Iran post Accord de Vienne du 16 janvier 2016 est déjà un casse-tête pour nombre d’exportateurs en quête d’un circuit bancaire pour finaliser leurs opérations. Pour les fabricants de biens à double usage civil et militaire, le casse-tête se double d’un parcours du combattant réglementaire en raison du véritable écheveau de restrictions qui vont frapper différentes catégories de biens durant 8 à 10 ans encore. C’est l’impression que l’on retire de différentes interventions entendues lors du quatrième forum des exportateurs de biens à double usage (BDU) organisé à Bercy le 1er juin par le Service des biens à double usage (SBDU) de la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’Économie, de l’industrie et du numérique. Une table ronde a en effet été spécifiquement consacrée au marché iranien, qui a donné l’occasion aux administrations concernées de promettre leur soutien et leur aide aux entreprises.
« On veut vous aider, mais en même temps, on veut respecter la parole de la France. Il s’agit de trouver un équilibre entre le soutien à l’exportation et le contrôle pour la sécurité ». Pour ce qui concerne le point de vue de l’État et de son administration, Christophe Lerouge, chef du service industrie de la DGE a parfaitement résumé le challenge que représente le contrôle des exportations de BDU, dont le cadre réglementaire est européen. Bien qu’en cours de révision depuis 2011, c’est précisément le Règlement (CE) n°428/2009 qui est encore la « table de la loi » pour quelques mois encore, pour reprendre l’expression du haut fonctionnaire.
Pas beaucoup de demandes, des inquiétudes…
Pour l’Iran, le challenge est d’autant plus difficile que s’ajoute à ce cadre européen les procédures spécifiques à ce pays, liées aux sanctions et restrictions émanant des Nations Unies, des États-Unis et de l’Union européenne et leur transposition française. À cet égard, en plus du SDBU lui-même, les demandes d’autorisation d’exportation doivent être validées par la Commission interministérielle des biens à double usage (CIDBU), que préside le ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI). Elle se réunit une fois par mois et les industriels s’inquiétaient, il y a encore quelques semaines, des lenteurs pour instruire les demandes d’autorisation*.
D’où un allongement des délais d’instruction. Pas étonnant que les entreprises françaises des secteurs BDU y réfléchissent à deux fois avant de ce lancer dans le parcours. De fait, sur l’Iran, a indiqué Christophe Lerouge, « nous n’avons pas beaucoup de demandes, il y a des inquiétudes, nous voudrions bien les lever ».
Lors du forum, les représentants des différentes administrations concernées, à commencer par celle du Quai d’Orsay, se sont voulus rassurants.
Le message du MAEDI : dans les secteurs couverts par l’accord de Vienne, « vous avez carte blanche »
Le cadre des relations avec l’Iran est la résolution 2231 du conseil de sécurité de l’ONU du 20 juillet 2016, qui remplace toutes les précédentes en matière de sanctions. Anne Lazar-Sury, directrice adjointe des Affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement, qui préside la CIDBU, s’est efforcée d’en expliquer les principaux aspects, en insistant sur le fait qu’avec l’Iran, « le retour à la confiance sera progressif » et que donc, le processus de levée des sanctions sera « long », des « restrictions étant maintenues pendant plusieurs années » à divers niveaux.
La présidente de la CIDBU a ensuite décortiqué les différentes couches de l’écheveau, une manière de justifier cette lourdeur administrative supplémentaire. De fait, la première étape de la mise en œuvre de la résolution 2231 a été déclenchée le 16 janvier 2016, lorsque l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) a donné son feu vert à la levée progressive des sanctions internationales.
Cette décision a ouvert la voie à une levée immédiate des sanctions prises par l’ONU, les États-Unis et l’Union européenne (UE) sur plusieurs secteurs dont les finances et assurances, les transports, l’aéronautique civile, le pétrole et le gaz… L’OFAC (Office of Foreign Assets Control) américain comme l’UE ont publié des documents d’accompagnement. « Dans ces secteurs, la France ne doit pas hésiter » a lancé Anne Lazar-Sury. « Notre message est que vous avez carte blanche et nous vous encourageons à reprendre le commerce dans les domaines autorisés et nous nous engageons à vous aider » a-t-elle insisté.
Les restrictions qui demeurent pour 8 à 10 ans
Mais il reste les restrictions sur les autres secteurs qui touchent bien sûr aux armements mais aussi aux technologies du nucléaire. Un tableau pratique proposé par Florent Sovignet, du SBDU, complété des informations concrètes livrées par la présidente du CIDBU, en a donné une vision synthétique salutaire :
– pour les technologies missiles (dites de la liste MTCR, annexe III du règlement « Iran » 267/2012modifié), les exportations restent interdites;
– pour les biens liés au nucléaire (dits de la liste NSG, annexe I du règlement Iran), une demande d’autorisation doit être adressée à l’ONU (procédure surnommée « canal d’acquisition ONU », qui passe par une commission conjointe du Conseil de sécurité ; ce régime doit durer 10 ans) ;
– pour d’autres biens liés au nucléaire et ou aux vecteurs (annexe II règlement Iran), une procédure d’autorisation auprès de l’UE est nécessaire (procédure surnommée « canal d’acquisition UE », dont la mise en œuvre incombe aux États-membres ; régime qui doit durer 8 ans).
– pour les logiciels ERP nucléaire et militaire (annexe VII bis du règlement Iran) même chose que le précédent ;
– et enfin pour tous les autres BDU (liste dites Australie et Wassenaar), qui relève de l’annexe I du règlement CE 428/2009, c’est la procédure « classique » d’autorisation.
À cela s’ajoute deux complications supplémentaires : pour les procédures « canal d’acquisition ONU » et « canal d’acquisition UE », il faut que l’exportateur puisse produire un certificat d’utilisation finale (CUF) de son bien signé par les autorités iraniennes, lesquelles tardent jusqu’à présent, selon les différents intervenants au Forum, à préciser quelles administrations ou ministères sont compétents en la matière…
Une chose est sûre, 4 mois après l’accord de Vienne, l’Iran reste sous haute surveillance en matière d’importation de biens liés aux nucléaire. « La France exerce une grande vigilance » a confirmé Anne Lazar-Sury même si, dans le cadre du dialogue avec les Américains, « on souhaite que l’Iran trouve des bénéfices » à cet accord. Pas sûr que sur ce dernier point, cela aille aussi vite que les Iraniens partisans de cette ouverture le souhaiteraient… Mais pour les exportateurs de BDU vers l’Iran, le conseil de la présidente du CIDBU est clair : le dossier de demande « doit être complet » et accompagné, dès le début, des documents « les plus précis possibles afin que l’on puisse vérifier plus vite l’usage final du bien ».
Le message du Trésor : « les services de l’État sont mobilisés »
Le message venu du Trésor est tout aussi balancé entre encouragement et prudence que celui du MAEDI. « Le premier message est que l’ampleur de la levée des sanctions doit permettre une reprise des relations avec l’Iran» a notamment indiqué Romain Chambre, adjoint au chef de bureau BILAT 2 à la sous-direction des affaires bilatérales de la DG Trésor. Il a rappelé qu’outre les ouvertures sectorielles déjà citées, quelque 400 entités, dont plusieurs grandes banques iraniennes, étaient redevenues fréquentables.
Son deuxième message a néanmoins tempéré le premier : attention, il reste des restrictions, il faut donc « rester vigilant » d’autant qu’à celles citées plus haut, s’ajoute une complication spécifiquement américaine : le maintien d’un embargo primaire par les États-Unis qui implique qu’il est interdit d’exporter en Iran un produit contenant plus de 10 % de bien américain sauf autorisation des autorités américaines, et d’impliquer une personne américaine dans une transaction avec l’Iran, ce qui exclut toute utilisation du dollar…
La synthèse est venue dans le troisième message : « les services de l’État sont mobilisés », non seulement à travers le dialogue constant avec les instances européennes, les autres États-membres –en premier lieu le Royaume-Uni et l’Allemagne–, et les États-Unis, mais aussi à travers les efforts de clarification menés en direction des opérateurs économiques. Romain Chambre a notamment rappelé l’existence des guides accessibles librement sur les sites Internet officiels européens (celui de la DG Trésor est fort bien pourvu à cet égard www.tresor.economie.gouv.fr/3745_Iran) comme aux États-Unis, sur celui de l’OFAC (www.treasury.gov/).
Reste à convaincre des banques françaises, voire européennes, toujours tétanisées par ce qu’elles considèrent comme un manque de clarté de la position américaine… La question a été posée par une entreprise. « Il est vrai que les banques restent extrêmement inquiètes » a reconnu Romain Chambre, qui a assuré que les nombreuses questions en suspense étaient relayées à l’OFAC et que les réponses étaient intégrées aux guides en ligne. Mais pour lui, la réglementation américaine n’est pas seule en cause dans cette frilosité des banques vis-à-vis de l’Iran : « Il y a des coûts de conformité et les banques peuvent faire des arbitrages économiques et refuser de financer certaines opérations » a -t-il estimé.
Pour ce qui concerne les exportateurs de BDU, pas sûr qu’ils soient repartis plus confiants quant à leurs perspectives à court terme en Iran, bien qu’il soit compréhensible que le nouveau régime de restrictions international, complexe et lourd, ait nécessité quelques rodages administratifs en France. Au moins auront-ils pu y voir un peu plus clair dans l’écheveau des règles et procédures applicables et le positionnement des différentes administrations en charge d’instruire leurs demandes…
Christine Gilguy
*Lire dans la Lettre confidentielle n° 181 du 25/02/2016 : Biens à double usage (BDU) / Export : les industriels inquiets face aux ratés du système de contrôle français
Pour prolonger :
Lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : Biens à double usage / Export : le SDBU fait son bilan et promet de « tenir les délais »