A l’occasion du lancement le 21 juin du programme Maritime Connection Days in Australia*, qui vise à aider la « French Team maritime » à réaliser le méga-contrat de sous-marins remporté en 2016 par DCNS** -aujourd’hui Naval Group– Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, et Antoine Sajous, directeur au sein de Naval Group du programme Australian Future Submarine Program Sovereignty, sont revenus sur un concept de stratégie à l’export qui a été insuffisamment souligné alors qu’il explique au moins en partie le succès de l’offre française sur ce marché.
Ce concept est celui de « souveraineté ». Selon Christophe Lecourtier, qui connaît bien le projet, puisqu’il était à l’époque des faits l’ambassadeur de France à Canberra (juillet 2014-juin 2017), il était important de le prendre en compte pour au moins deux raisons.
La première raison est qu’il y avait « une thématique de l’emploi » un peu sensible à l’époque. En effet, au moment où les constructeurs automobiles choisissaient d’abandonner le sud de l’Australie, la création d’environ 2 800 emplois aux chantiers navals d’Adélaïde (Australie méridionale) était une bouée de sauvetage aux yeux du Premier ministre Malcom Turnbull, beaucoup moins attaché que son prédécesseur Tony Abbot au lien avec le partenaire traditionnel dans la région, le Japon.
A. Sajous : l’Australie « veut être indépendante technologiquement et opérationnellement »
Une deuxième raison, plus importante encore selon l’ancien ambassadeur, était « la compétence à développer, l’ingénierie proposée, la recherche ». L’Australie « veut être indépendante technologiquement et opérationnellement », a confirmé Antoine Sajous.
Une réalité qui s’explique en partie, selon Christophe Lecourtier, par le fait que « le niveau d’industrie dans le produit intérieur brut est un des plus bas, avec un taux de 7 %, à comparer avec les 12 % en France ». C’est pourquoi « dans la défense, l’énergie, les énergies renouvelables, l’Australie veut se doter d’une base industrielle pour avoir la capacité de construire et d’exporter ». Car si les constructeurs automobiles ont voulu quitter ce pays, c’est que le marché y est réduit, tout comme les compétences industrielles.
Autre élément à prendre en compte : le contexte géopolitique. Si l’Australie veut son indépendance industrielle, notamment dans la défense, c’est qu’elle se trouve dans une région agitée en mer de Chine, avec de grandes puissances économiques, politiques, voire militaires : Chine, Inde, Japon.
Le contrat gagné par l’ex-DCNS serait « le plus important remporté hors de France, civil et militaire », selon Christophe Lecourtier, avec 34 milliards d’euros. Mais c’est aussi un programme de longue durée, courant sur une cinquantaine d’années.
« L’Australie a décidé de confier la responsabilité d’acquérir la souveraineté et donc de développer la capacité à construire, d’opérer, de maintenir et d’améliorer les sous-marins pendant toute la durée de vie. Les transferts de technologie, les échanges avec la Marine et la formation des équipages doivent lui permettre de devenir au bout indépendante », a insisté Antoine Sajous.
Une concurrence toujours présente
Lors d’une déclaration au Medef***, le 27 avril, le gouverneur général d’Australie, Peter Cosgrove, estimait que ce qui avait fait la différence avec la concurrence, l’allemand TKMS et le consortium japonais MHI-KHI, était le sens de « l’innovation » et du « partenariat » de Naval Group. Le Français « a notamment su proposer des performances supérieures en matière de senseurs et furtivité, ainsi que des capacités de projection et d’endurance similaires à celles des sous-marins de la classe Collins », a indiqué Canberra, qui a également pris en considération « le prix, le calendrier, l’exécution du programme, la maintenance et l’engagement de l’industrie australienne », a relevé à l’époque DCNS dans un communiqué.
Dans les faits, Naval Group va remplacer les Collins de la Marine australienne par des sous-marins de la classe Barracuda, longs de 90 mètres chacun et pesant 4 500 tonnes, sans propulsion nucléaire.
Toutefois, si Naval Group a gagné un contrat, « en Australie, de nouvelles décisions industrielles sont prises et d’autres veulent prendre pied », a relevé le dirigeant du groupe français, faisant ainsi allusion à un programme de neuf frégates pour un montant théorique de 24 milliards d’euros qui verraient s’affronter des compétiteurs européens. D’après Antoine Sajous, « il est donc important d’accélérer dans la réalisation du programme de sous-marins avec ses partenaires, y compris pour montrer aux nations du Commonwealth qu’on s’implante bien ».
Naval Group protège ses partenaires
Vis-à-vis de ses partenaires français, Naval Group se doit au demeurant de prendre des précautions. « Nous veillons à ce que les entreprises avec nous ne courent pas de risque sur leur savoir-faire, leur propriété intellectuelle ou qu’on ne leur crée par des concurrents locaux ». Le champion français a ainsi négocié des clauses spécifiques pour protéger le savoir-faire, « pour s’assurer également qu’il ne sorte pas d’Australie », a précisé Antoine Sajous, qui se félicitait au passage que le cadre australien, juridique et réglementaire, soit « assez protecteur ».
La souveraineté australienne devait être aussi adaptée à une autre réalité : sur les sous-marins, les systèmes de combat et d’armes sont américains (Lockheed Martin), « une première pour les États-Unis sur un sous-marin français », d’après Antoine Sajous. Selon lui, « la confidentialité, la protection et le stockage des informations ont été encadrés pour éviter tout risque de fuite ».
Francois Pargny
*Australie / Naval : Business France lance le programme Maritime Connection Days in Australia
** Défense / Export : DCNS remporte un méga-contrat de sous-marins en Australie
***Australie / Armement : ce qu’on ne vous a pas (encore) dit sur le contrat DCNS
Pour prolonger :
-Australie / France : ce qu’il faut retenir de la visite d’Emmanuel Macron
Notre Fiche pays : Australie