L’Algérie miroir du mal français du commerce extérieur ? Comment comprendre que la France, dont la présence est historique en Algérie, voit ses positions commerciales chaque année grignotées par la Chine, l’Italie, l’Allemagne, voire l’Espagne ? En effet, on peut être surpris, car, dans ce pays de commerce courant, les PME françaises sont très actives. En outre, les entreprises algériennes ont tendance à se tourner naturellement vers leurs partenaires français.
L’Algérie, aurait-elle changé ? « Pas du tout, s’insurge Jean-François Pinel, qui préside la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF). Notre problème, c’est l’offre. La France devient un pays de services et, en Algérie, les sociétés ne trouvant pas en France de fabricants de biens d’équipement, se tournent vers l’Italie et l’Allemagne ». Pour le président de la compagnie consulaire, le mal français, c’est le manque de diversification de l’offre française. Et d’enfoncer le clou : « si notre gamme de production était assez large, on importerait pas autant ». En tout cas, assure-t-il, « le véritable problème, ce n’est pas l’écosystème » et le millefeuille des opérateurs du commerce extérieur de la France. Selon lui, « Business France est très actif et fait du bon boulot et les Chambres de commerce aussi ». Preuve en est : de 1 500 adhérents en 2016, la CCIAF est ainsi passée à 1 750 et la barre des 2 000 devrait être franchie à la fin de l’année. Jean-Marie Pinel remarque aussi qu’il y a « moins d’aides publiques que par le passé », ce qui, d’après lui, a forcément un impact négatif.
Ces propos, francs et directs, pourraient surprendre, même venant de la part d’un homme qui connaît parfaitement l’Algérie pour y avoir présidé pendant de longues années aux destinées du cabinet KPMG, si les enquêtes réalisées ces derniers mois par la CCIAF ne corroboraient en tout point ses propos. En l’occurrence, celle-ci a publié deux enquêtes approfondies sur la présence tricolore en Algérie, la première, daté d’octobre 2017, portant sur ses importations en provenance de trois pays européens (France, Italie, Allemagne), la seconde, sortie en juin 2017, consacrée aux flux d’investissement dans six États (France, Allemagne, Chine, Espagne, Italie, Turquie).
Elles ont le mérite de mettre au grand jour deux vérités que les gouvernements, français et algériens, n’aiment pas toujours entendre : premièrement, comme Jean-Marie Pinel l’indiquait au Moci, l’offre française est insuffisamment diversifiée dans l’industrie et ce sont l’Italie et l’Allemagne qui en profitent; et deuxièmement, ce qui est positif et dont on est conscient dans l’Hexagone, mais que ne reconnaissent pas toujours les autorités algériennes qui voudraient toujours plus d’efforts du secteur privé français, les sociétés de l’Hexagone sont les premiers investisseurs étrangers en Algérie, et de loin si on considère les réinvestissements sur place.
La France perd des parts de marché
Le 19 octobre dernier, lors d’un atelier sur le Maghreb qu’organisait la CCI Paris Ile-de-France, le directeur général de la CCIAF, Reda El Baki, a rappelé que la France n’était plus le premier fournisseur de l’Algérie, mais que c’était la Chine. De fait, au regard des chiffres des Douanes algériennes en 2016, sur un montant global d’importations de 42,58 milliards d’euros, la Chine s’arrogeait 17,86 % du marché, la part de la France étant de 10,13 %.
« Bien sûr, la Chine vend surtout du bas de gamme, mais si la France n’arrive plus à progresser, c’est aussi parce que son offre ne répond pas toujours à la demande », a-t-il ainsi confié au Moci à l’issue de l’atelier. Si depuis plusieurs années, la Chine gagne des parts de marché (PDM), la France en perd. L’Italie en gagne également (PDM : 9,85 % en 2016), alors que l’Allemagne est stable (6,44 % l’an dernier).
« Ce n’est pas le dynamisme du secteur privé français qui est cause », renchérit auprès du Moci Jean-Marie Pinel. Et de confirmer : « la France devient une économie de services et dans l’industrie nos amis algériens, qui se tournent naturellement vers nous, ne trouvent pas chez nous les équipements dont ils ont besoin, ce dont profitent les Italiens et les Allemands ».
De façon concrète, les importations algériennes en provenance de l’Hexagone étaient composées l’an dernier principalement de céréales et de produits pharmaceutiques (58 %), pour 15 % de produits laitiers et 11,5 % de véhicules automobiles. La France dominait ainsi l’Italie et l’Allemagne dans l’agroalimentaire et la pharmacie. En revanche, l’Italie montait sur la plus haute marche pour les équipements et matières premières et l’Allemagne dans l’automobile.
Les Français se rattrapent dans les services
La CCIAF a poussé son examen des importations algériennes en lançant une consultation auprès de 45 de ses membres à l’aide d’un questionnaire sur les « relations économiques et commerciales des sociétés algériennes », élargie à d’autres nations (Espagne, Chine, Portugal, Tunisie, Turquie…). Il en ressort que ces dernières trouvent plus facilement des équipements auprès des Italiens et après seulement auprès des Allemands et des Français.
En revanche, la France est leur partenaire privilégié, très largement, dans les services, devant l’Italie et l’Allemagne, « la langue partagée, le français, étant, dans ce cas précis, un atout indéniable », précise Jean-Marie Pinel. Elle domine aussi l’Espagne dans la grande consommation et l’Italie et l’Allemagne dans l’ingénierie.
La France, de loin le premier investisseur étranger
Quant à la seconde étude, elle reprend les bilans des 50 plus grandes sociétés hors hydrocarbures des six pays déjà cités, qui ont été publiés pour la dernière année, 2014, au Centre national du registre du commerce (CNCR). De l’analyse, peuvent être tirés plusieurs enseignements :
1/-Cette année-là, la France était de loin le premier apporteur de capitaux propres devant l’Espagne, avec 2,238 milliards d’euros enregistrés, contre 1 271 milliards. L’Italie complétait le podium avec 660 millions d’euros. S’agissant toujours de l’Hexagone, la finance, grâce en particulier au secteur bancaire, représentait une part de 41 %, soit presque autant que les quatre domaines suivants : boissons et produits laitiers (13 % chacun), automobile et pharmacie (9 % chacun).
2/- La France tombait, cependant, au troisième rang pour les emprunts, avec 136 millions d’euros, devancée par l’Espagne et l’Allemagne, avec 178 millions et 144 millions d’euros. Dans neuf cas sur dix pour l’Espagne et même plus pour l’Allemagne, l’emprunt était destiné à financer une production, alors que cette activité n’intervient que dans un quart des cas pour la France, contre 69 % pour les services.
3/- La France était la seule nation en matière d’immobilisations avec un montant au-delà du milliard, avec exactement 1,118 milliards d’euros, devançant ainsi l’Espagne avec 522 millions (en excluant, toutefois, l’usine d’ammoniac de l’espagnol Fertial à Arzew, représentant 714 millions d’euros à elle seule).
4/- Même constat pour la valeur ajoutée : la France se taillait la part du lion, avec un montant de 770 millions d’euros, suivie par l’Italie, avec 390 millions, et l’Espagne, avec 204 millions (incluant Fertial). Pour la France, c’était à 42 % grâce à la finance, pour l’Italie à 57 % la logistique et l’Espagne à 41 % la chimie.
5/- Globalement, en matière d’investissement, la France est le leader incontesté et la Chine, bien que premier pays fournisseur, est le dernier dans le groupe des six pays étudiés.
J-M. Pinel : « la France est bien placée pour aider » l’Algérie
« La France fabrique beaucoup sur place, alors que la Chine importe de la main d’œuvre pour la construction des bâtiments ou des infrastructures. Cette main d’œuvre est difficile à trouver en Algérie et sans doute pas au prix des chinois », a confié au Moci Jean-Marie Pinel. Et de fait, si l’on fait pour chaque pays étudié le ratio des importations algériennes en 2016 sur ses immobilisations réalisées sur place en 2014, on s’aperçoit que le résultat est le plus faible pour la France, avec 3,74, et le plus élevé pour la Chine, avec 23,43.
« En d’autres termes, a expliqué Jean-Marie Pinel, pour un euro investi en Algérie, l’Algérie importe pour 3,74 euros de France, alors qu’elle achète pour 23,43 euros en Chine. Les Français se sont adaptés à la politique d’investissement voulue par l’État algérien et de colocalisation promue en France. ».
Comme l’industrie algérienne va avoir besoin dans l’avenir de se mettre à niveau, en raison de la baisse des cours de l’or noir, « la France est donc bien placée pour l’y aider », selon le président de la CCIAF. A ceux qui sont pessimistes pour ce pays dépendant des hydrocarbures, il répond que l’Algérie n’a pas d’autre choix que d’exporter et donc de se diversifier. « Certes, a-t-il reconnu, l’Algérie manque d’expérience dans ce domaine, mais le niveau de formation y est bon et une vraie prise de conscience a émergé ».
Avec des coûts de main d’œuvre favorables, l’Algérie pourrait devenir une plateforme de sous-traitance. L’État ne parvenant pas à maîtriser ses dépenses, une dévaluation future du dinar doit être envisagée. Ce qui devrait ainsi faciliter les exportations.
François Pargny
Pour prolonger :
–Algérie / Investissement : Partenaires Invest veut aider les PME françaises
–Algérie / Export : les nouvelles restrictions à l’importation en vigueur
et aussi :
–Algérie / Export : nouvelles restrictions à l’importation pour 2017
–Algérie et Tunisie / Export : 550 millions de demande supplémentaire pour la France, selon Euler Hermes
–Algérie : ce qu’il faut savoir de la réforme du code des investissements
–France / Afrique : l’entrepreneur algérien I. Rebrab fait un carton au Medef avec ses priorités stratégiques