Dans leur mémo intitulé « pour un soutien financier public à l’internationalisation des entreprises plus efficace »*, et adressé à Michel Sapin, ministre de l’Économie et des finances, Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères et du développement international, et Matthias Fekl, secrétaire d’État au Commerce extérieur, les Conseillers du commerce extérieur (CCE) et le comité Commerce extérieur du Medef dressent une liste de 25 propositions, regroupées en quatre fiches thématiques. Objectif : améliorer l’efficacité des dispositifs d’aide publique aux exportateurs dans le cadre d’un dialogue public-privé.
Aux solutions concrètes visant à simplifier et éclaircir certains mécanismes existants et en moderniser d’autres, s’ajoutent des propositions d’instruments nouveaux. Le Moci a pu consulter l’intégralité de ce document de 13 pages. Voici en détail ces propositions, en exclusivité pour la Lettre confidentielle.
Pour « une agence de crédit à l’exportation plus réactive, plus proche de ses clients et plus lisible » (fiche 1)
C’est l’un des trois chantiers prioritaires pour les CCE et le Medef. Car si le transfert des activités de la Direction des garanties publiques (DGP) de Coface vers Bpifrance est pour eux « une bonne nouvelle », il faut en profiter pour améliorer le service client et en particulier « mieux accompagner, à l’image d’autres agences publiques de crédit export, les exportateurs dans leurs démarches commerciales en France et à l’étranger ».
Exemple d’un ‘couac’ du dispositif français cité dans le document : une lettre d’intérêt fournie à un exportateur français en trois jours par une agence de crédit export étrangère, contre six semaines pour l’ex-Coface DGP (direction des garanties publiques) qui devait attendre le feu vert du Trésor. Résultat : l’exportateur a préféré utiliser son site de production dans le pays étranger en question…
Pour ces représentants des exportateurs français, ce transfert pourrait aussi « être un moyen d’améliorer la formation et l’information des PME sur ces produits et de les aider ainsi à se lancer dans un processus d’internationalisation, parfois jugé anxiogène ».
D’où 10 propositions :
– Rétablir un comité client
Proposition 1 : « Établir auprès de Bpifrance Assurance Export un comité Client ».
– Clarifier le guide utilisateur sur le calcul de la part française
Proposition 2 : « Clarifier et simplifier les conditions d’analyse ex-post et ex-ante de la part française, en limitant (et non en augmentant) le nombre de dossiers analysés ex-ante et en excluant clairement d’une analyse ex-ante tous les dossiers des PME ayant une part française supérieure à 50 %, si le seuil officiel de 20 % ne peut pas être retenu ».
Proposition 3 : « Lancer une réflexion avec les entreprises sur les règles de part locale ».
Proposition 4 : « Développer une approche ‘client de confiance’/‘client connu’ de la part française pour valider de manière globale la part française liée à des équipements fréquemment vendus et pour supprimer des analyses individuelles pratiquées de manière aléatoire ».
– Accélérer la délivrance des lettres d’intérêts
Proposition 5 : « Donner une délégation de délivrance de lettre d’intérêt à Bpifrance AE pour tout projet (sauf cas particulier de type ‘contrat souverain’) ».
– Rendre l’information sur l’offre publique plus simple et intelligible
Proposition 6 : « Confier à Bpifrance le soin d’actualiser, simplifier et ré-organiser le catalogue de produits d’assurance et de garanties publiques en fonction des différentes phases de financement (prospection, vente, implantation…) ; les CCE et le Medef se proposent d’accompagner Bpifrance dans ce projet (via le Comité Client) ».
– Clarifier la nouvelle procédure de stabilisation des taux
Proposition 7 : « Contribuer à rendre plus compréhensibles et simples les conditions d’application de la nouvelle stabilisation des taux, notamment au travers d’un retour d’expériences, tout en s’engageant à ne pas se détourner de l’objectif du nécessaire équilibre budgétaire de cette procédure ».
Proposition 8 : « Contribuer à la réflexion sur les conséquences, lorsque le CIRR est utilisé, d’une référence à la date de la promesse de garantie et non à la date de signature du contrat commercial pour calculer les périodes de validité des taux ».
– Mieux prendre en compte la concurrence internationale
Proposition 9 : « Rendre beaucoup plus rapides et plus souples les décisions d’alignement sur les conditions offertes par les agences étrangères quand les entreprises françaises sont en concurrence avec des entreprises bénéficiant de leur soutien (‘matching’) ».
– Simplification et dématérialisation
Proposition 10 : « Profiter du transfert vers Bpifrance pour revoir l’ergonomie du site et offrir plus de produits dématérialisés ».
« Créer un véhicule financier pour les projets avec des entités sous sanctions ou embargo extérieurs non européens » (fiche 2)
Proposition 11 : « Imaginer un mécanisme permettant de substituer un organisme bancaire public (ou un établissement financier existant ou ad hoc) à des banques commerciales empêchées d’intervenir quand ces opérations bénéficient d’une couverture publique ».
Il s’agit là du deuxième chantier prioritaire des CCE et du Medef, cette proposition est clairement destinée à résoudre le blocage des banques commerciales qui existe sur des pays comme l’Iran, Cuba voir la Russie, en raison de la crainte de représailles d’un certain nombre d’organismes de contrôle américains comme l’OFAC (Office of Foreign Assets Control). « Les pouvoirs publics sont prêts, sous certaines conditions, à couvrir des opérations sur des pays soumis à des sanctions non européennes, constatent ainsi les auteurs du mémo. Si l’AFD peut intervenir seule, comme à Cuba, les opérations couvertes par les garanties publiques nécessitent l’intervention de banques commerciales, réticentes à intervenir sur ces pays ».
Dans ces conditions, poursuivent-ils, « certains projets couverts par les garanties publiques ne pourront se réaliser que si un intervenant financier approprié est désigné pour suppléer les banques incapables de les monter, compte-tenu de contraintes générées par d’éventuelles réglementations extraterritoriales ».
Quel pourrait être cet intervenant ? Les auteurs avancent plusieurs options :
– « Une banque publique, protégée de l’impact des sanctions en raison de son statut ;
– « Une société financière de structure privée existante ou établie sur une base ad hoc », à condition que Bpifrance Assurance Export « confirme sa capacité à la couvrir ».
Les CCE et le Medef prennent soin de préciser que le besoin à couvrir est large, des « crédits-export » aux instruments de financement du commerce international tels que « lettres de crédit, garanties techniques… ». Ils alertent aussi sur d’autres risques de blocage pour les biens à double usage, dont les contrôles se sont accrus.
« Améliorer les retombées du financement public du développement sur les acteurs économiques français » (fiche 3)
Troisième chantier prioritaire des CCE et du Medef, ce sujet concerne une revendication ancienne des milieux d’affaires français qui déplorent qu’au nom du principe de l’aide non liée appliqué par la France en matière d’aide au développement, leurs entreprises ne bénéficient pas suffisamment des marchés publics générés par les projets que finance l’Agence française de développement (AFD) en comparaison des autres pays. Or, « le pragmatisme de certaines banques de développement étrangères vis-à-vis de leur industrie nationale s’affiche de plus en plus », expliquent les CCE et le Medef, citant, outre le cas déjà connu du Japon, celui du Finnfund finlandais.
En outre, relèvent-ils, « à l’instar de ce qui se pratique dans certains pays asiatiques (Corée, Inde…), plusieurs pays européens sont aussi en train de regrouper leurs moyens en matière de soutien à l’exportation et d’aide au développement, tout en préservant les spécificités de chacun ». Sont cités l’Italie et l’Allemagne.
Si l’AFD a vu ses moyens augmenter –de 8 à 12 milliards d’euros d’ici 2020–, les crédit-export français, eux, sont plutôt dans une phase de repli (3,1 milliards d’euros signés à fin septembre 2016). Dans ce contexte, « la définition d’un nouveau contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2017-2019 doit être le moyen d’affirmer le rôle des entreprises françaises comme étant l’un des partenaires de l’AFD », estiment les CCE et le Medef.
Ceux-ci rappellent à cet égard que le dernier Comité interministériel de la coopération et du développement (CICID) du 30 novembre 2016 avait déjà affirmé la nécessité d’améliorer les retombées des interventions de l’AFD pour les acteurs économiques français « publics et privés ».
D’où les sept propositions suivantes :
Proposition 12 : « Créer un Comité qui réunirait le secteur privé et l’AFD pour développer et entretenir la relation stratégique et partenariale évoqué par le CICID ».
Proposition 13 : « Demander aux bénéficiaires des concours de l’AFD de valoriser dans leurs cahiers des charges, non seulement le prix d’un fournisseur, mais aussi la performance de ses produits sur la durée en retenant des critères d’efficacité sociale et environnementale ».
Proposition 14 : « Assurer une meilleure préparation des projets – du cahier des charges à l’exécution (concept dit du ‘well-prepared project’) ».
Proposition 15 : « Favoriser les cofinancements bi et multilatéraux et le levier qu’ils autorisent, en veillant à ce que l’AFD joue le plus souvent possible le rôle de leader ».
Proposition 16 : « Mesurer l’impact réel et effectif des projets financés par l’AFD sur l’économie française conformément aux termes de l’orientation n° 12 du CICID du 30-11-2016 ».
Proposition 17 : « Étudier la mise en place d’une procédure particulière s’inspirant du ‘Swiss challenge procurement’ (proposition de projets non sollicités) permettant aux entreprises françaises, en association avec les autorités locales, de proposer des projets sur lesquelles elles ont travaillé en amont. Ces projets, après examen par les services de l’AFD, pourraient être attribués directement aux entreprises qui sont à leur origine, dans le respect des règles en vigueur (ceci serait particulièrement pertinent pour les projets environnementaux ou « pro COP21 » dont les pays bénéficiaires n’ont pas toujours acquis la maturité suffisante pour imaginer lesdits projets) ».
Proposition 18 : « Prévoir que les bénéficiaires des concours de l’AFD incluent dans leurs marchés le recours à des clauses commerciales usuelles comme le fait la Banque Mondiale dans ses règles pour les relations avec les fournisseurs (paiement par LC ou paiement direct aux contractants pour sécuriser le paiement de leurs factures, pénalités, traitement des contentieux…) ».
Assurance privée, court terme, investissements, « exportateur agréé garanties publiques »…
Une série de cinq autres propositions sont faites pour la suite, une fois que les chantiers prioritaires auront pu avancer.
Une meilleure prise en compte des offres du marché privé de l’assurance, qui pourrait permettre une augmentation des capacités de couverture du dispositif public via la réassurance. Est également proposée l’amélioration du mécanisme d’assurance-crédit publique court terme créé en février 2016 à la demande des milieux d’affaires et saluée par ces derniers.
En matière d’investissement, les CCE et le Medef souhaitent la refonte de la garantie existante des investissements –peu utilisée–, une réforme promise par la Direction générale du Trésor (DGT) depuis près de dix ans. Ils suggèrent également la création d’un fonds d’investissement au capital de sociétés de projets alors qu’une étude de l’Inspection générale des finances menée début 2016 sur ce sujet a suscité une forte mobilisation des entreprises exportatrices.
Enfin, pour simplifier la vie des exportateurs, ils suggèrent la création d’un astucieux « passeport exportateur agréé garanties publiques » inspiré du statut douanier d’OEA (opérateur économique agréé) pour réduire les lourdeurs administratives des procédures.
Voici les propositions en détail :
– Pour une meilleure intégration des opportunités offertes par l’assurance privée
Proposition 19 : « Réassurer sur le marché privé certains dossiers Coface DGP (Ndlr : désormais Bpifrance Assurance Export). Cela permettrait de limiter les risques pris par l’État tout en permettant aux exportateurs de bénéficier des flexibilités de l’offre publique et en augmentant les volumes que les secteurs public et privé apporteraient séparément ».
– Avoir une politique d’assurance-crédit publique court terme simple et réactive
Proposition 20 : « Travailler avec la DGT et Bpifrance sur la définition de produits publics d’assurance-crédit court terme et des modalités simples d’utilisation de ces outils ».
Proposition 21 : « Accompagner la DGT et Bpifrance dans la promotion de ces nouveaux outils publics d’assurance-crédit court terme ».
– Reparamétrer la garantie des Investissements dans des filiales
Proposition 22 : « Lancer une réflexion public-privé pour redéfinir les paramètres opérationnels de la garantie publique du risque politique lié à des investissements ».
Proposition 23 : « Accompagner la DGT et Bpifrance Assurances Export dans la promotion de ces nouveaux outils de cette garantie publique des investissements ».
– Créer un véhicule d’investissements dans le capital de projets
Proposition 24 : « Lancer une réflexion public-privé pour définir les modalités opérationnelles de cet outil financier stratégique ».
– Créer un Passeport « Exportateur agréé Garanties publiques »
Proposition 25 : « Lancer une réflexion public-privé pour définir les modalités opérationnelles de ce label ».
C. G.
*Lire dans la LC d’aujourd’hui : Aides / Export : les CCE et le Medef remettent la pression sur Bercy