Si l’Afrique subsaharienne est dépendante de la Chine pour son commerce extérieur, c’est beaucoup moins vrai en matière d’investissement, tels sont les principaux enseignements de l’étude de Coface, intitulée « Chine-Afrique : le mariage de raison va-t-il durer ? ». Une interrogation liée à la baisse des cours du pétrole dans le monde et au ralentissement de l’économie de l’Empire du Milieu.
Non seulement la conjoncture est défavorable, ont expliqué les économistes de Coface, lors d’une conférence de presse, le 7 novembre, mais le géant asiatique s’achemine vers un modèle économique plus orienté vers la consommation domestique.
La région la plus dépendante du monde commercialement
Résultat, les exportations de l’Afrique subsaharienne vers ce pays ont plongé dès 2015. Ainsi, de 111,7 milliards de dollars en 2014, elles sont tombées à 54,8 milliards deux ans plus tard. Parallèlement, celles de la Chine vers le sous-continent ont accusé un retrait sensible en 2015, reculant de 82,7 milliards de dollars à 68,3 milliards en 2016.
Globalement, l’Afrique subsaharienne conserve une forte dépendance vis-à-vis de la deuxième économique mondiale. Son taux de vulnérabilité est même le plus élevée du monde, selon un calcul réalisé par Coface en tenant compte de trois critères dans chaque pays d’Afrique subsaharienne : concentration de ses exportations par produit, poids de la Chine dans les ventes de chacun de ses produits et puissance de ce grand partenaire comme acheteur de chaque produit.
L’Afrique subsaharienne, faisait valoir, Ruben Nizard, co-auteur de l’étude avec un autre économiste, Carlos Casanova, est la région de la planète la plus dépendante pour ses ventes extérieures avec un taux de 0,24 (sur 1 possible, ce qui signifierait une dépendance totale), devançant même l’Amérique latine, qui livre surtout des biens agricoles (soja…), alors que l’Afrique subsaharienne fournit des matières premières et des métaux : 80 % sont des hydrocarbures, une proportion qui monte à 90 % avec l’or.
L’Amérique latine est à 0,22 et l’Asie du Sud-est est à 0,16, ce dernier score s’expliquant notamment par le fait que cette zone « exporte vers l’Europe et les États-Unis », précisait Julien Marcilly, chef économiste de Coface. Au total, l’assureur crédit a examiné la vulnérabilité de 49 pays africains pour 250 produits.
Le Nigeria, faible dépendance, l’Afrique du Sud, dépendance modérée
A cause du pétrole, le Soudan du Sud est le plus dépendant de tous, une dépendance qui datait d’avant son indépendance en 2011 quand il y avait un seul Soudan, avec un taux très élevé de 0,83. Le second, l’Angola, dont les relations politiques avec la Chine sont historiques, semble loin derrière, avec 0,66. C’est aussi le pétrole brut qui en est la cause. Pour la même raison, le Congo est à 0,64.
Mais avant lui, à égalité avec l’Angola, il y a la petite Gambie, avec des exportations de bois brut chez le géant asiatique. « C’est un intérêt assez récent de la Chine pour le bois africain, qui est souvent ensuite transformé sur place », selon Ruben Nizard. L’Érythrée, à 0,58, est encore un autre cas, avec des exportations de minerais de cuivre ou de zinc.
A noter que la dépendance du Nigeria, souvent qualifié d’émirat africain, est faible, avec un indicateur de 0,16, ce qui traduit le fait qu’il exporte également aux États-Unis et au Royaume-Uni. « Celle de l’Afrique du Sud est aujourd’hui un peu plus élevée que celle du Nigeria parce qu’elle livre de l’or à Pékin, mais le risque demeure moyen car la richesse de ses ressources est avérée », a commenté encore Ruben Nizard.
Agroalimentaire : des opportunités d’export vers la Chine
En même temps, l’orientation plus consumériste de la Chine offre des opportunités aux nations agricoles, à l’instar justement de l’Afrique du Sud, premier fournisseur d’oranges de la Chine. D’après l’enquête de l’assureur crédit, « 15 % de l’ensemble des terres arables dans le monde se situe en Afrique subsaharienne », alors qu’en Chine, pays « le plus peuplé de la planète » et dont « la population a connu une augmentation rapide de ses revenus », il y a aujourd’hui « une demande pour un régime alimentaire plus riche ».
Ce qui devrait, selon les auteurs, ouvrir des portes aux ventes de graines oléagineuses, aux fruits et légumes frais, à la viande et au poisson. Ces ventes sont encore très faibles (à peine 2 % du total des exportations d’Afrique subsaharienne), mais elles devraient augmenter, même si l’Asie restera un partenaire important de la Chine.
Le tabac, dont le Zimbabwe est le premier fournisseur mondial de la Chine, est le produit qui connaît la plus forte progression. L’Éthiopie, également au premier rang pour le sésame, lui en vend 300 à 400 millions de dollars par an. Le Nigeria l’approvisionne, tout comme le Ghana, le Mozambique et le Cameroun, en bois brut. Le constat de Coface ne prend évidemment pas en compte le trafic, qui est particulièrement fort en Afrique de l’Ouest.
La Chine, investisseur mineur par rapport à l’Europe et aux États-Unis
S’agissant de l’investissement, contrairement à certaines craintes ou idées reçues, l’investissement chinois n’est pas si élevé. « En 2016, 32 milliards de dollars, c’est un niveau assez faible par rapport à l’Europe et aux États-Unis, même si on pense que ce chiffre est sous-évalué », indiquait Ruben Nizard, qui estime que Pékin est ouvert à tout type d’investissement. A l’heure actuelle, 60 % des investissements directs chinois seraient dans les services et seulement 29 % dans la transformation.
Ce sont toujours les secteurs traditionnels qui sont encouragés comme l’énergie. Il semblerait que le dynamisme des transports soit un peu émoussé. Ce fait serait corroboré par l’évolution des exportations chinoises en Afrique subsaharienne.
De façon concrète, si les expéditions d’articles manufacturés (près de 28 % en 2016) ont continué à croître, celles de machines et matériel de transport (moins de 23 %) ont régressé, certains pays, notamment d’Afrique centrale, touchés par l’évolution négative des prix des matières premières, ayant reporté, voire annulé certains projets d’infrastructure.
Le grand projet de la Route de la Soie et l’installation en juillet par Pékin de sa première base militaire à l’étranger à Djibouti pourraient laisser augurer une vaste offensive commerciale chinoise. Les auteurs de l’étude sont plus nuancés. « Quand on parle du terminal portuaire de Kribi au Cameroun, peut-on parler de stratégie nationale et de Route de la Soie ? Dans ce grand projet qu’est la Route de la Soie, que je sache, il n’y a que deux points mentionnés pour entrer en Afrique, Djibouti et Mombasa au Kenya », rappelait Ruben Nizard, le 7 novembre. Un des projets phare de la Chine dans les infrastructures ferroviaires est la construction de l’axe Addis-Abeba-Djibouti.
Industrie manufacturière : le sud moins bien placé pour les IDE que le nord de l’Afrique
« Ce qui est certain, ajoutait-il, c’est que là où on aurait aimé voir les Chinois, c’est-à-dire l’investissement dans l’industrie manufacturière, ça ne s’est pas passé ». Quelques opérations de diversification des exportations africaines ont bien été réalisées en Afrique dans le textile-habillement, avec Huajian et C&H Garments au Rwanda, et le cuir-chaussure, avec Huajian en Éthiopie, un pays qui a concocté un plan de développement pour se transformer en Manufacturing Hub.
« Reste que les volumes transformés demeurent anecdotiques et que le déplacement de l’usine de la Chine en Afrique subsaharienne se ne produit pas ». En outre, confiait encore l’économiste de Coface, « les pays d’Afrique du Nord sont bien avancés en matière d’industrialisation ». Il citait l’Égypte, redoutable concurrent pour l’Afrique subsaharienne, mais c’est aussi le cas du Maroc (*) ou de la Tunisie. Ces deux États du Maghreb accueillent aujourd’hui de gros investisseurs pour l’export, notamment dans l’automobile et l’aéronautique.
François Pargny
* Lire, à cet égard, France / Maroc : un partenaire au carrefour de l’Europe et de l’Afrique
et Dossier Spécial maritime (+ dossier Maroc, concurrent et partenaire de la France en Afrique)
Pour prolonger :
–France / Afrique : J.B Lemoyne veut recueillir l’avis des entreprises du Cian
–Chine / Commerce : le concept géant de route de la soie englobe l’Asie, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe
–Enquête : Afrique de l’Ouest, un grand marché à petit pas
–Rapport CIAN 2017 : Les entreprises françaises & l’Afrique
–Dossier Cameroun 2016