Alors que le prochain Sommet Afrique France se prépare à Bordeaux pour les 5 et 6 juin 2020, Hervé Gaymard, ancien ministre et président (Les Républicains) du Conseil général de Savoie, a rendu dans le courant de l’été, son rapport sur la relance des relations avec l’Afrique commandé par les ministres de l’Économie et des finances, de l’Europe et des Affaires étrangères.
Intitulé « Relancer la présence économique française en Afrique : l’urgence d’une ambition collective à long terme », le document de près de 240 pages*, daté du mois d’avril, a été déposé à Bercy et au Quai d’Orsay fin juillet et est maintenant accessible en ligne. Hervé Gaymard n’y fait pas moins de 47 propositions, qu’il présente en son nom propre comme des solutions « de long terme » pour lutter contre l’érosion de la présence française.
Les trois mythes
L’ancien ministre de l’Agriculture, puis de l’Économie et des finances entre mai 2002 et février 2005 rappelle en préambule que les exportations de la France ont plus que doublé de 13 à 28 milliards de dollars entre 2000 et 2017 sur un marché d’importation qui a quadruplé d’environ 100 à environ 400 milliards de dollars. D’où une division par deux de ses parts de marché.
Néanmoins, s’agissant de ses investissements, ils ont bondi de 6 à 52 milliards. C’est pourquoi, selon Hervé Gaymard, le « retrait des entreprises françaises » est un « mythe », tout autant, au demeurant, que « leur toute puissance ».
Autre mythe, « l’ascension inexorable de la puissance chinoise ». Preuve en est : les financements chinois seraient en voie de stabilisation avec 60 milliards annoncés lors du forum triennal Chine Afrique (FOCAC), en septembre 2018, un montant équivalent à celui de 2015.
Renforcer le rôle de l’AFD et de Proparco
Pour autant, il serait utile de relancer la dynamique franco-africaine. Et, pour ce faire, si le secteur privé doit être aux avant-postes, il doit être mieux soutenu.
En particulier, l’instrument pivot de la coopération française, l’Agence française de développement (AFD), doit « participer au service des intérêts nationaux, notamment en matière économique, dans les limites de son mandat d’aide déliée », notamment par « le recrutement de profils ayant une expérience en entreprise (…), la consultation des représentants du secteur privé dans la formulation des stratégies pays et sectorielles (…), la circulation de l’information sectorielle dont dispose l’AFD (…) » (proposition n° 6).
Dans la foulée, il faut donner plus de moyens à Proparco, la filiale de l’AFD dédiée au secteur privé. Ce qui doit passer par sa « recapitalisation » et « plus de ressources en subventions et davantage de souplesse dans le recrutement et la gestion des ressources humaines » (propositions n° 21 et 22).
S’appuyer sur la Team France Export
Le lien entre sphère publique et privé doit être amélioré. S’il faut « explorer les modalités d’association du personnel des ambassades à la solution CRM de la Team France Export », il faut aussi « faire en sorte que la plateforme numérique des acteurs de l’accompagnement soit une plateforme ouverte aux acteurs privés et non un énième site Internet (propositions n° 11 et 12).
S’agissant de la Team France Export, Hervé Gaymard prône que des « plans de déplacement en région », soient établis « chaque semestre » dans le but « de faire davantage connaître tous les instruments publics de financement », en incluant les aides du groupe AFD et « en y associant le secteur privé » (proposition n°13).
Renforcer les liens avec Bpifrance et les CCEF
Dès cette année, une nouvelle convention de financement devrait être signée entre l’AFD et Bpifrance « autour d’au moins quatre séries de thèmes » qui seraient : « le travail commun » dans les régions françaises, sur le continent africain, la coordination « accrue » vis-à-vis des acheteurs souverains et la « communication commune » vis-à-vis des entreprises sur les différents outils (proposition n° 20).
Parmi les propositions les plus innovantes, on peut encore noter l’appui que pourraient apporter les conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) dans le recensement des entreprises françaises en Afrique « faisant l’objet de difficultés de transmission » et l’orientation de leurs dirigeants vers de jeunes entrepreneurs de l’Hexagone, « le cas échéant issus de la diaspora » (proposition n° 9).
Créer une boîte à outils dans l’agroalimentaire
Ancien ministre de l’Agriculture, le président du Conseil général de Savoie n’a pas manqué de faire une proposition pour ce secteur, particulièrement important pour le développement de l’Afrique et potentiellement porteur pour les entreprises françaises.
La proposition n° 45 consiste ainsi en la mise en place, « dans une logique d’investissement pour le développement des marchés africains », d’une « boîte à outils française » qui soit « spécifique pour le secteur agricole et agro industriel, en lien avec le secteur privé ».
Cette recommandation a été saluée par François Burgaud, qui préside l’Adepta (association d’équipementiers de la filière), le 30 août, lors des Rencontres Agroalimentaire de Medef International, organisées par la task force Agroalimentaire de Medef International, que co-préside l’Adepta et l’Ania (Association nationale des industries alimentaires).
Lancer un dialogue entre la France et l’Allemagne
Enfin, l’Europe n’est pas absente des préoccupations d’Hervé Gaymard, qui préconise « un dialogue de haut niveau entre la France et l’Allemagne afin de rechercher des points d’intérêt communs (bilatéraux et multilatéraux) ».
Que Berlin et Paris puissent ainsi mieux coopérer auraient d’autant plus de sens, selon le ministre, que les entreprises européennes de l’Europe constituent une puissance réelle en Afrique. « En valeur absolue et depuis 2010, l’augmentation des exportations de l’Europe vers le continent africain a dépassé l’augmentation de celles de la Chine », constate Hervé Gaymard.
L’ancien ministre observe encore que « cinq des dix principaux partenaires bilatéraux du continent africain en 2016 sont européens » et que « les exportations européennes vers l’Afrique sont sept fois supérieures aux exportations américaines ».
Parallèlement, l’AFD cherche les voies d’un partenariat avec les institutions chinoises. Au moment où Chinois et Américains entendent se renforcer sur le continent, pour des raisons économiques et stratégiques, l’Afrique pourrait ainsi constituer un nouveau laboratoire de la coopération européenne. A suivre…
François Pargny
* Le rapport a été réalisé entre décembre 2018 et avril 2019 auprès des acteurs publics et privés concernés (sous forme d’entretiens, d’ateliers de travail, de questionnaires envoyés aux réseaux des CCEF et des bureaux de Business France, de visites en région). Le rapporteur en est Pierre-Ange Savelli, depuis avril dernier adjoint au chef du bureau des affaires bancaires au Trésor après avoir été de janvier 2017 à mars 2019 adjoint au chef du bureau Afrique de cette même direction à Bercy.